Pourquoi beaucoup de salariés ont la tête ailleurs


 

Toulouse, Marseille, Lyon, Nantes, Montpellier, Le Mans, Perpignan, les premiers défilés de la matinée n’ont pas fait le plein. Annoncée dès le 9 juillet par Philippe Martinez, à la sortie de la rencontre entre le Premier ministre et les partenaires sociaux, la journée de grève et de manifestations du 17 septembre, centrée sur l’emploi, mobilise faiblement. Nous avons cherché à savoir pourquoi. Éléments d’explications.

 

Très tiède. C’est la température de la première journée interprofessionnelle de l’après épisode de crise sanitaire du printemps. Et même plutôt fraîche à considérer le baromètre que représente généralement la mobilisation dans les transports. « La circulation ferroviaire sera normale sur l’ensemble du réseau du mercredi 16 septembre à 20 h jusqu’au vendredi 18 septembre à 7 h 55 », a indiqué la SNCF dans un communiqué deux jours avant la grève. Même situation à la RATP. La régie ne prévoit pas d’impact sur le trafic.

« Nous sommes encore un peu au lendemain de la grève contre les retraites, puisque cela s’est enchaîné sur le Covid-19 qui a un peu tout figé. En cette rentrée, le moment est un peu moins collectif avec des préoccupations sanitaires, de retour à l’école des enfants. Ce n’est pas forcement la joie », explique Alexis Louvet, co-secrétaire de Solidaires RATP. Après la grève historique de l’hiver dernier, dont les conséquences financières se font encore sentir, l’actualité dans l’entreprise est la répression. Le licenciement début septembre d’Alexandre El Gamal, un syndicaliste CGT très apprécié dans l’entreprise, a marqué les esprits. Dans ce contexte, la date du 17 septembre n’est pas arrivée à se frayer un chemin. D’autant plus qu’elle n’est appelée que par la CGT et Solidaires. L’UNSA, première organisation ne s’y est pas associée.

 

« Le Covid est un étouffoir ! »

 

Même ambiance ou presque à la SNCF. Là aussi, la grève de l’hiver pèse encore et le licenciement cet été d’Eric Bezou donne le ton. Mais ici, en plus des incertitudes liées à la situation sanitaire, les agents sont dans l’expectative à propos de leur avenir, avec la mise en place progressive de la privatisation, votée par le parlement en 2018. « Le Covid est un étouffoir ! Cela pèse sur les mobilisations et la détermination », tranche Jean-Pierre Mercier syndicaliste CGT chez PSA. Son syndicat appelle à la grève jeudi dans toutes les usines du groupe automobile, cependant « les gars nous disent vous avez raison, mais ils ne se sentent pas d’y aller », rapporte le délégué syndical central. Du coup, il s’attend à une « mobilisation très militante ». Alors que la période est partout aux demandes de « sacrifices sur l’emploi, les salaires ou le temps de travail », il assure que « les salariés sont inquiets sur l’emploi et sur l’avenir, y compris à PSA où le groupe a pourtant dégagé 600 millions de bénéfice au premier semestre malgré deux mois de fermeture ». Ce qui n’empêche pas selon lui de nombreuses discussions dans les ateliers « sur ce qu’il faudrait revendiquer et contre qui il faut se battre ».

 

Une rentrée hors norme

 

Autre secteur remplissant les cortèges d’ordinaire, mais qui en cette rentrée est à la peine : l’Éducation nationale. « Les enseignants sont déjà assez fatigués alors que c’est juste la reprise », constate Marie Buisson CGT, la secrétaire générale de la FERC-CGT. Entre la nécessité de se protéger et de protéger les enfants, les masques, le nouveau protocole, les difficultés des parents lorsqu’une classe ou une école ferme, le rattrapage de deux mois de confinement  : « ils se posent beaucoup de questions et sont soumis à une forte pression » explique-t-elle. Une situation qu’elle juge peu propice à la mobilisation, au moins pour le 17 septembre, en tout cas sous cette forme et autour du sujet de l’emploi, le grand thème de cette journée de grève. « Rater une journée de cours quand c’est ta deuxième semaine est compliqué, d’autant que la première semaine a été grandement consacrée à l’adaptation des conditions sanitaires d’accueil des élèves », rappelle-t-elle.

« Nous n’avons distribué que la moitié des tracts par rapport à d’habitude. Une partie des boîtes ciblées était déserte », admet le responsable CGT d’une union départementale. Pour lui, entre les congés tardifs de septembre, le télétravail et les secteurs d’activité touchés par la crise, le constat est évident : « tout n’a pas repris ». Autre problème, avec la crise sanitaire, « nous ne savons même pas comment la manifestation va se dérouler » s’interrogeait Marc Godard, le secrétaire départemental héraultais de Sud-PTT, quelques jours avant le 17 septembre. Son département étant classé en rouge depuis plus de deux semaines, il admet que ni son syndicat ni la CGT n’ont vraiment mobilisé les postiers : « nous avions peur de faire sortir des gens en grève, alors qu’il est difficile de les mobiliser, et que les manifestations ne soient pas autorisées ». Mais au delà, ce qui préoccupe facteurs comme syndicalistes postiers, ce sont les multiples cas de Covid-19 qui sont apparus dans plusieurs bureaux de distribution du département ces derniers jours. Une crainte qui, associée à « un mélange d’attente et de résignation » de nombreux postiers, limite leur envie de rejoindre les manifestations apprécie Marc Godard.

 

Recentrage sur son secteur et replis sur soi

 

À défaut d’un sujet immédiatement identifiable pour cristalliser les colères, comme la réforme des retraites dans l’hiver, nombre de salariés, et même d’équipes syndicales, se recentrent sur leur secteur d’activité. « Les collègues étaient hyper nombreux dans les heures d’informations syndicales, mais les questions portaient sur les masques, les récréations ou les protocoles » observe Marie Buisson de la fédération CGT de l’Éducation. Les sujets plus loin du quotidien au travail y sont moins débattus. Même son de cloche à La Poste. « Nous n’arrivons pas à élargir au-delà des préoccupations postales qui sont déjà importantes. Alors qu’elles sont liées à la politique générale du gouvernement », regrette Marc Godard de Sud-PTT. Pour le moment, ce qui domine, c’est la « crainte pour leur boulot ». Une peur légitime dans un contexte où le mot PSE n’est plus complètement tabou dans la bouche de certains cadres affirme le syndicaliste.

« Avec le confinement et ses suites, les gens sont dans un repli sur soi. Il y a un rétrécissement de la société que l’on ressent aussi sur le terrain syndical », analyse Serge Ragazzacci, le secrétaire départemental de la CGT dans l’Hérault. Des signes qui inquiètent aussi Marie Buisson. Siégeant à la commission exécutive confédérale de la CGT, elle note qu’après le confinement, l’été, et maintenant la reprise épidémique « il est difficile de faire revenir les gens » dans les réunions et les structures syndicales. Alors que dans le même temps, les unions locales sont submergées de demandes de salariés et de syndicats d’entreprise confrontés à un chantage à l’emploi, avec à la clef, des propositions de signature d’accord.

Jusque-là, « les batailles pour l’emploi se produisent boîte par boîte » observe Marie Buisson. L’enjeu de cette journée interprofessionnelle pour les syndicats, CGT en tête, est d’en faire une question nationale. Des salariés de certaines entreprises ayant annoncé des licenciements seront bien présents dans les manifestations, sans que pour l’heure se dessine un front des « boites en lutte contre les licenciements ». À Lyon, des salariés de Renault Trucks répondront à l’appel à la grève. L’entreprise avait annoncé 463 suppressions de poste en juin. À Toulouse, des syndicalistes de plusieurs entreprises du secteur aérien se réuniront à l’issue de la manifestation à la bourse du travail. Dans le Nord, des salariés d’Auchan ont prévu une action en direction de magasins de l’enseigne avant de rejoindre la manifestation. Même chose à Paris, où des salariés de TUI France confrontés à un PSE au rabais se retrouveront devant le siège de l’entreprise.

Des signaux faibles pour le moment. À l’inverse, à côté de Rennes, les employés de Technicolor ne comptaient pas renforcer les cortèges, malgré l’annonce de 110 suppressions de postes, avant de se décider tardivement. Ceux des laboratoires Boiron étaient en grève, mais le 16 septembre. Pour le mouvement d’ensemble souhaité par les syndicats : tout reste à construire.