Les grèves ne disparaissent pas entre les deux tours de l’élection présidentielle. Elles sont pourtant quasi absentes des discours des candidats. Ainsi, pendant que les caméras sont braquées sur Emmanuel Macron et Marine Le Pen, on en oublierait presque que les luttes continuent dans les entreprises. Tour d’horizon.
En 2017, il y avait Whirlpool. L’entreprise d’électroménager avait servi de ring de boxe à Emmanuel Macron et Marine Le Pen, dans l’entre-deux-tours de la présidentielle. Cinq ans plus tard, pas de grande rencontre orchestrée dans une usine en lutte pour tenter de s’attirer les grâces de la France qui fait grève.
Pourtant, les luttes continuent dans les entreprises. Près de Bordeaux, les employés de Capgemini sont entrés en grève jeudi 14 avril, et ce pour la première fois depuis 2008. Ils exigent des augmentations de salaire. Chez les hôtesses de l’air, les stewards et les pilotes de la compagnie espagnole à bas coût Volotea, un mouvement de grève est prévu à partir du 16 avril pour protester contre des salaires jugés indécents. A la SMAD, entreprise pharmaceutique près de Lyon, une centaine de salariés entament actuellement une grève reconductible, une fois encore sur la question des salaires. Dans les services publics, chez RTE, à la SNCF, les conflits régionaux et locaux ne s’arrêtent pas non plus en période présidentielle. Enfin, en grève depuis maintenant six mois, les travailleurs sans-papiers de La Poste demandant toujours leur régularisation.
La Sam aurait pu être le nouveau Whirlpool
Occupée depuis 144 jours, la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM) aurait pu être le Whirlpool de l’élection présidentielle 2022. La liquidation de l’entreprise aveyronnaise en novembre 2021 incarne la désindustrialisation des campagnes françaises. 347 salariés risquent de perdre définitivement leur travail et tout un bassin d’emploi est menacé.
Après une lutte longue de plus d’un an, les salariés attendent désormais beaucoup du plan de reprise, proposé par une entreprise du Lot : MH Industries. Une discussion rassemblant l’État, les collectivités, les salariés et cette entreprise devrait avoir lieu en juin ou en juillet.
En attendant, les fondeurs de la SAM se relaient nuit et jour pour « protéger l’outil industriel ». Comprendre : éviter que les machines ne soient vendues aux enchères. « Il y a, à la SAM, des machines et des savoir-faire que l’on ne trouve plus en France. Toute notre action aujourd’hui consiste à les préserver pour que nos métiers ne disparaissent pas », explique David Gistau, représentant CGT des ex-salariés de la Sam.
Dans le bassin decazevillois, pas question de faire appel à un providentiel candidat à l’élection présidentielle pour espérer sauvegarder des emplois. « Lors d’une AG, mercredi soir, nous avons décidé que ni Macron ni Le Pen ne seraient les bienvenus à la SAM dans le cadre de leur campagne. On ne pense pas que les promesses d’entre-deux-tours puissent nous apporter quoi que ce soit. Nous, on croit à la lutte », affirme David Gistau de la CGT.
Chez Amazon, bataille pour les salaires
Dans un contexte d’inflation généralisée, les luttes pour les augmentations de salaire se multiplient dans les entreprises françaises. Depuis peu, Amazon a ouvert des négociations autour des salaires de ses employés. Et cela se passe mal. Le géant du e-commerce a lui-même mis le feu aux poudres en annonçant son augmentation de salaire, via CHIME, la messagerie interne de l’entreprise.
L’anecdote vaut la peine d’être racontée tant elle en dit long sur la manière dont Amazon traite ses syndicats. « Le 31 mars, alors que tous les syndicalistes de la boîte sont réunis pour un comité social et économique (CSE) central, ils constatent, à la pause café, qu’Amazon annonce sur CHIME des augmentations de salaire de 3 %. Ils n’ont pourtant rien négocié du tout ! », s’indigne Jean-François Bérot, syndicaliste Sud-Commerce chez Amazon.
Lundi 4 avril, une intersyndicale rassemblant la totalité des syndicats français du géant du e-commerce annonce une série de débrayages pour une période indéterminée. « L’objectif c’est qu’Amazon nous lâche au moins 5 % d’augmentation. C’est un minimum dans un contexte où l’inflation atteint 4,5 % », fulmine Jérôme Guislain, de Sud-Commerce. Mais Amazon ne l’entend pas de cette oreille. Malgré une pression continue et des débrayages dans au moins 7 des 8 plus grands entrepôts de France, lors de la réunion de négociation ce jeudi 14 avril, la direction a concédé seulement 3,5 % d’augmentation. Trop peu pour les syndicats, qui prévoient de continuer leurs actions.
À la raffinerie de Donges, Total ne lâche rien
Malgré 20 jours de grève, la direction de la raffinerie Total de Donges reste inflexible. Pourtant, sur le papier, le rapport de force semblait en faveur des grévistes. La grève est massive (250 des 300 salariés postés), l’outil industriel est bloqué, alors même que la raffinerie entame son redémarrage, et les revendications des grévistes sont largement accessibles à une multinationale qui se targue d’avoir réalisé 13,5 milliards d’euros de profit en 2021. « On veut que la direction embauche 43 salariés précaires en CDI », rappelle David Arnould, élu CSE sur le site Total de Donges et militant CGT.
Niet. « Total est sur une ligne dure : refus absolu de négocier avec des grévistes. Du côté de l’État, la sous-préfecture a refusé de nous recevoir et de nommer un médiateur, sous prétexte que nous avions organisé une manifestation non déclarée devant ses fenêtres. » Pour les salariés de la raffinerie de Donges, l’embauche des précaires est aussi une question de sécurité. « Faire tourner une raffinerie avec autant de précaires c’est dangereux. On saura se rappeler l’attitude de la direction s’il y a un problème un jour », affirme David Arnould. Une assemblée générale des grévistes doit se tenir ce vendredi matin pour décider de la suite du mouvement.
Grève du nettoyage à l’ARS Marseille
Les grands collectifs de travail ne sont pas les seuls à être engagés dans de longues grèves dans cet entre-deux-tours. De nombreuses grèves ont lieu dans des entreprises de taille plus modeste. A Marseille, les 7 agents qui nettoient les locaux de l’agence régionale de santé (ARS) sont en grève depuis le 29 mars.
« Au départ ils étaient 8 à assurer le nettoyage de ces locaux, puis ils sont passés à 7 et finalement à 6. C’était impossible de nettoyer ces locaux en étant si peu, le chef d’équipe s’est opposé à cette décision… et il a finalement été muté. C’est ça qui a déclenché la grève », raconte Camille El Mhamdi, juriste à la CNT-SO, le syndicat des grévistes. Ces derniers exigent l’annulation de la mutation du chef d’équipe, le retour à 8 salariés et le paiement d’un certain nombre d’heures supplémentaires indues.
Comme souvent dans le nettoyage, ces agents – 3 hommes et 4 femmes – sont employés par une entreprise sous-traitante : Laser. Or, cette dernière refuse catégoriquement d’accéder à leur requête et envoie d’autres membres de ses équipes pour nettoyer l’ARS lorsque les grévistes ne sont pas sur le piquet.
Photo : Serge d’Ignazio
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