Ce jeudi se tient le procès de cinq postiers des Hauts-de-Seine, parmi lesquels Gaël Quirante (licencié en 2018) et Yann Le Merrer (révoqué en 2015). Cette affaire emblématique de répression syndicale vise des faits datant de plus de dix ans. De quoi démontrer l‘acharnement de la direction de La Poste vis-à-vis de syndicalistes encore très actifs auprès de leurs collègues.
Ils et elle sont cinq : Gaël, Yann, Mohamed, Brahim et Dalila. Syndicalistes Sud-PTT à La Poste des Hauts-de-Seine, toutes et tous passent en procès ce jeudi 12 juin et risquent pas moins de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. C’est une audience emblématique de la répression des libertés syndicales. Pour la comprendre, il faut remonter plus de dix ans en arrière.
Les faits pour lesquels ces cinq de La Poste sont poursuivis datent de 2014. Pendant 170 jours, des dizaines de postiers et postières ont maintenu une grève dans les Hauts-de-Seine pour dénoncer leurs conditions de travail précaires ainsi que les réorganisations internes s’agissant de la distribution du courrier. Pendant des semaines, la direction de La Poste a refusé le dialogue. La grève s’est étendu petit à petit à d’autres départements de la région parisienne. Le tort des cinq syndicalistes ? S’être rendus par deux fois au siège national de leur entreprise, pour obtenir des négociations.
La Poste les poursuit aujourd’hui pour « violation de domicile professionnel » et « violences » à l’encontre de responsables de la sécurité – des accusations niées en bloc par les prévenus. « Plus de dix ans après, comment on fait pour se défendre ? Ce n’est pas comme cela que l’on mène un procès équitable », réagit à l’avant-veille du procès Gaël Quirante, secrétaire de Sud Poste 92, l’un des cinq visés par la procédure.
Avec leur avocat, les syndicalistes comptent bien démontrer que l’enquête a été menée à charge. « Par exemple, les extraits de vidéosurveillance figurant dans le dossier ont été choisis par la Poste, alors que nous avions aussi demandé, en vain, l’accès à ces vidéosurveillances – extraits qui, par ailleurs, ne démontrent pas de violences. » Le syndicaliste estime qu’une telle audience, dix ans après les faits, sert avant tout « à salir, à faire peur. Nous faisons face à une entreprise d’Etat qui, dans un sentiment d’impunité, se permet de faire tout et n’importe quoi. »
La Poste « tente de nous détourner de nos combats légitimes »
Une condamnation pour « violation de domicile professionnel » serait inédite. Surtout, elle constituerait une jurisprudence plus qu’inquiétante pour l’ensemble du monde syndical et du monde du travail. « Se rendre au siège de sa propre entreprise n’est pas un délit et surtout pas une « violation de domicile », faire grève n’est pas un crime, défendre les intérêts des salariés ne doit pas conduire sur les bancs des tribunaux et encore moins en prison », commente une tribune parue dans L’Humanité le 4 juin. Celle-ci est signée par des organisations CGT et Solidaires ainsi que par des dizaines de personnalités politiques et militantes.
Les cinq de la Poste 92 se préparent donc à cette audience avec un sérieux teinté « de colère et d’indignation. Parce que cela nous fait perdre énormément de temps par rapport aux sujets les plus importants. À savoir, se battre pour une rétribution plus juste des postiers et postières, et contre le vol opéré par la direction basé sur une quantification du travail fantasmée, avec des algorithmes dont on ne comprend ni la réalité ni le sens », expose Gaël Quirante. À ses yeux, « c’est bien cela le but de la direction de la Poste : tenter de nous détourner des combats légitimes, pour nous concentrer sur la défense des pratiques syndicales et des syndicalistes. »
« Dissoudre pénalement » des syndicalistes encore actifs à La Poste
Car la répression de ces syndicalistes n’a été qu’on long continuum, ces dernières années. Après la grève de 2014, Yann Le Merrer, représentant fédéral de SUD-PTT, a été révoqué en 2015, pour « intrusions répétées » dans des établissements postaux et « prises de paroles non autorisées ». Autrement dit : pour avoir exercé son mandat syndical. Le Conseil d’État a définitivement validé cette révocation en décembre 2019. Gaël Quirante, lui, était dans le viseur de sa direction depuis 2010 : il a été définitivement licencié en 2018 avec le feu vert de la ministre du Travail d’alors, Muriel Pénicaud. Un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme a été émis en novembre dernier.
Son licenciement avait été validé au plus haut niveau de l’État malgré de nombreux avis contraires. Notamment celui de l’inspection du travail dans son rapport de contre-enquête de 2017 adressé à la Direction générale du Travail, rattachée au ministère, que Rapports de Force a consulté. Les faits reprochés au syndicaliste, survenus dans un climat délétère, ne sont « pas d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement », conclut ce rapport. L’inspection du travail y relève par ailleurs le fait que Gaël Quirante n’avait cessé de « faire l’objet de sanctions sévères, disproportionnées et discriminatoires » visant son activité syndicale.
Alors que l’histoire aurait pu s’arrêter là, La Poste s’est acharnée en portant plainte sur ces fameux faits remontant à 2014. Le parquet a demandé, en 2019, à une juge d’instruction de se saisir de cette plainte jusqu’ici restée sans suite. D’où l’audience, onze ans après les faits, de ce jeudi. Pour Gaël Quirante, cette procédure judiciaire vise à « dissoudre pénalement » les cinq syndicalistes qui n’ont, malgré les sanctions et la perte de leurs postes pour certains, jamais cessé d’intervenir auprès de leurs collègues du 92.
« Ça leur est insupportable que ces salariés qu’ils considèrent comme des pions désignent leurs propres représentants et s’organisent de manière indépendante », dénonce le syndicaliste. « C’est cela qu’ils veulent briser en s’attaquant à notre département : nous donnons l’exemple que même si les luttes et les grèves sont dures, elles sont peut-être le seul chemin pour obtenir gain de cause sur l’emploi et les conditions de travail. »
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