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Racisme à la RATP : « la direction a laissé faire » selon Solidaires

Ce vendredi, Solidaires RATP appelle à un rassemblement antifasciste dans les locaux de l’entreprise, afin de dénoncer le racisme qui y a cours. Au moins trois femmes ont été victimes de propos racistes répétés, de la part de leurs managers, ces deux dernières années, affirme le syndicat qui accompagne leurs dossiers. Une enquête interne est en cours. Les mesures prises seront-elles à la hauteur ? 

 

Au moins trois salariées de la RATP seraient victimes de propos racistes répétés, depuis un an pour l’une, deux ans pour les deux autres, selon Solidaires RATP. « Il te manque plus que ta ceinture de banane », « la France ne peut pas accueillir tous les immigrés », « les femmes voilées c’est inacceptable en France » : tels sont, entre autres, les propos racistes et islamophobes pointés par le syndicat, qui accompagne ces femmes dans leurs démarches. « Malgré les alertes, la Direction protège les agresseurs », tranche-t-il dans un communiqué appelant à un rassemblement antifasciste, contre ces discriminations au sein de l’entreprise, vendredi 23 juin.

« Il y a deux femmes sous l’autorité du même manager ; une troisième est sur un autre établissement », détaille François-Xavier Arouls, co-secrétaire de Solidaires RATP. « Elles ont averti leur direction, à l’oral. À chaque fois, la direction n’a rien fait ». Jusqu’à ce que les victimes de racisme saisissent le syndicat. À partir de ce moment-là, « elles ont écrit à l’inspection du travail, en mettant le syndicat en copie ».

 

Enquête interne à la RATP

 

Depuis ce signalement il y a deux mois, la direction a ouvert une enquête interne, indique le syndicat. Des mesures provisoires ont été prises : le manager mis en cause par les deux femmes « est en télétravail chez lui, il n’a pas le droit d’être sur site ». Le syndicat a accumulé les preuves : 13 salariés seraient prêt à témoigner. « Eux aussi ont subi de la part du même manager des propos insultants, dégradants en particulier sur le physique. La direction a laissé faire », soutient François-Xavier Arouls.

L’autre encadrant problématique, lui « est parti en retraite anticipée. Ils ont conclu dans une enquête interne à « une affaire de personne ». Mais la victime n’a même pas eu accès au dossier », expose le co-secrétaire général de Solidaires. Une affaire de personne ? La conclusion de l’affaire ne convient ni à l’intéressée ni au syndicat. Après le départ de cet encadrant, Solidaires RATP constate en effet sur le site concerné plusieurs tags haineux (« fuck les arabes », « à mort les Portugais »). Un rendez-vous avec l’inspection du travail est prévu dans les prochains jours à ce sujet.

François-Xavier Arouls assure qu’après avoir signalé les faits auprès de l’inspection du travail et du syndicat, les collègues concernées ont aussi subi « du harcèlement moral, des pressions managériales. On rend cela public, pour les soutenir. Dans un service public comme la RATP, on ne peut pas accepter ça ».

Interrogé sur les mesures prises concernant ces dossiers, et plus globalement sur ses actions de prévention contre le racisme au sein de l’entreprise, la RATP n’a, pour l’heure, pas répondu à nos questions.

 

Ne pas reproduire « la première déconvenue » dans la lutte contre le racisme à la RATP

 

Cette mobilisation n’est pas la première. C’est la seconde fois que Solidaires alerte sur ces enjeux. Il faut remonter presque deux ans en arrière, en octobre 2021. Le syndicat épingle alors dans un tract un agent d’encadrement RATP, basé sur la ligne 3 du métro, qui a pour habitude de déverser des propos haineux sur ses réseaux sociaux « contre les jeunes de banlieue, musulmans, immigrés… » . Une journée de grève est lancée, contre le racisme dans l’entreprise.

Suite au tract et à cette journée, l’entreprise lance une procédure disciplinaire. Résultat : « le manager en question a juste été muté sur un autre établissement, dans des bureaux… Alors qu’il était auparavant sur une ligne en 3-8. Tout le monde a perçu ça comme une promotion », raconte François-Xavier Arouls.

Cette séquence avait signé « la première déconvenue politique, syndicale » sur le plan de la lutte contre le racisme dans l’entreprise, estime aujourd’hui le syndicaliste.

Racisme et sexisme au travail : des luttes qui s’imposent dans les conflits sociaux

Il existe bien, à la RATP, un délégué général à l’éthique et à la conformité. Le poste a été créé en 2015. L’actuel délégué général est Frédéric Potier : nommé en 2021, celui-ci occupait jusque-là les fonctions de délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti LGBT (DILCRAH).

« Mais on ne voit pas quelle orientation, quelle formation est donnée, en particulier sur le racisme… Alors que ce sujet est régulièrement présent dans les établissements », regrette François-Xavier Arouls. « Cela se développe un peu plus sur le sexisme. Notamment parce qu’il y a eu des dossiers portés devant les tribunaux ». Une première condamnation aux Prud’hommes pour harcèlement sexuel, en décembre 2021, avait par exemple obligé la RATP à verser 15 000 euros de dommages et intérêts.

 

Quand le sexisme s’en mêle

 

Aux discriminations racistes s’entremêlent, justement, des propos sexistes pour les trois travailleuses concernées. Du sexisme dans « les attitudes, les propos, sur « les règles », « les chaleurs des femmes »… », détaille François-Xavier Arouls. Et de rappeler que « le sexisme, le racisme et l’homophobie sont un triptyque indissociable. C’est ça le combat syndical : lutter contre toutes formes de discriminations ».

Aujourd’hui, la responsable du suivi de l’enquête interne à la RATP est la même que celle qui avait été en charge des cas de harcèlement sexuel, selon François-Xavier Arouls. « On espère qu’elle saura faire mieux, et qu’elle mettra les mots noir sur blanc ».

Les mesures prises ces dernières années suite aux témoignages de femmes victimes de harcèlement sexuel (appuyés par un rapport de l’Inspection du travail) n’étaient en effet pas à la hauteur, selon plusieurs syndicalistes. « Une salariée m’a averti de son agression. Elle m’a transmis la main courante qu’elle avait déposée contre le chef, je l’ai transférée à ma direction pour l’alerter et on m’a répondu que je n’aurais pas dû faire ça », nous racontait par exemple Ahmed Berrahal, élu CGT à la RATP, en mai 2021.

La position hiérarchique de l’auteur des discriminations ou violences semble parfois déterminante. À la RATP, « il y a toujours eu des enquêtes internes lorsque des femmes dénonçaient du harcèlement ou des agressions. Le problème, c’est que quand c’est un chef qui en est l’auteur, ils s’arrangent toujours pour que l’enquête n’aboutisse pas », estimait encore Ahmed Berrahal, par ailleurs secrétaire de la commission santé, sécurité et conditions de travail, en février 2022. « L’enquête interne est faite pour minimiser les choses », concluait-il.

Pour les trois salariées dénonçant aujourd’hui du racisme et du sexisme, le rassemblement de vendredi vise à mettre en lumière la situation, « mais en laissant faire l’enquête interne », assure François-Xavier Arouls. L’heure est à la sensibilisation des collègues, et du public. Un positionnement important, dans « un contexte politique qui encourage les attitudes décomplexées des racistes de tous poils ». Mais le ton est donné : suite à l’enquête interne, « si la direction se positionne mal, on ira plus loin », promet-il.

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