Un rassemblement en hommage à Clément Méric, dix ans après son assassinat par des néonazis, s’est tenu ce lundi, au lendemain de la grande manifestation qui a réuni des milliers de personnes à Paris. Les militants présents ont tenu à rappeler la « responsabilité immense » du mouvement social pour porter la lutte antifasciste, à l’heure des réformes néolibérales et des discours gouvernementaux servant les obsessions de l’extrême-droite.
C’est un carrefour commerçant, entre deux avenues. Comme dans une fourmilière, les Parisiens y circulent à pas pressés, entre de grandes enseignes. C’est ici même, rue de Caumartin, que des skinheads du groupuscule Troisième Voie ont violenté un groupe de militants antifascistes et tué l’un d’eux, Clément Méric, le 5 juin 2013. Huit ans plus tard, deux des agresseurs, Esteban Morillo et Samuel Dufour, ont été condamnés en appel à 8 et 5 ans de prison.
Aujourd’hui, comme chaque 5 juin depuis dix ans, des proches sont venus rendre hommage à leur camarade de lutte, sur les lieux du drame. Des drapeaux de Solidaires Étudiant.es – organisation dans laquelle militait Clément Méric, aussi engagé à l’Action antifasciste Paris-Banlieue -, flottent parmi les quelques centaines de personnes rassemblées. Une rangée d’une vingtaine de militants affichent des portraits de victimes de l’extrême-droite de ces dernières années. En noir et blanc, les photos s’alignent – de celle d’Imad Bouhoud, noyé dans un bassin du Havre en 1995, à celle de Federico Martín Aramburú, rugbyman argentin tué par balles à Paris en 2022.
Au micro, des organisateurs rappellent la nécessité de lutter contre l’extrême-droite sous sa forme « groupusculaire » mais aussi « institutionnelle ». « Aujourd’hui, la montée de l’extrême-droite se manifeste par une série de réformes anti-sociales, sécuritaires et racistes », estime l’un d’eux. Loi sécurité globale, dissolutions du CCIF, de Baraka City – jusqu’aux tentatives, inabouties, de dissoudre les organisations antifascistes la GALE et Nantes Révoltée… Le porte-parole évoque également les menaces inédites vis-à-vis de la Ligue des droits de l’Homme, proférées par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin puis appuyées par la Première ministre Élisabeth Borne.
« La lutte contre la réforme des retraites est antifasciste ! »
« Plus récemment, le gouvernement a utilisé tous les moyens institutionnels à sa disposition pour faire passer en force sa réforme des retraites, au plus grand mépris de la démocratie sociale », rappelle une militante de Solidaires. « La lutte contre la réforme des retraites est antifasciste ! », soutient-elle.
En parallèle, on assiste à une « banalisation du Rassemblement national », craint un porte-parole au micro. Une banalisation qui permet à l’extrême-droite de « se poser comme alternative sociale à ce gouvernement néo-libéral ».
Quant à la politique menée vis-à-vis des personnes étrangères, le gouvernement donne aussi du grain à moudre à l’extrême-droite. Et ce, qu’il s’agisse d’un énième projet de loi immigration – dont la seconde mouture doit être présentée en juillet – ; ou de sa démonstration de force, à Mayotte, avec l’opération Wuambushu. « Toutes ces lois anti-sociales, sécuritaires et racistes, brisent toute notion de solidarité collective et ouvrent le terrain à l’extrême-droite », insiste la militante de Solidaires.
L’agenda gouvernemental autour de l’immigration sert en effet de creuset aux actions de l’extrême-droite sur le terrain. Le parti Reconquête! d’Éric Zemmour, largement défait aux dernières élections présidentielles, a amplifié voire initié ces derniers mois des attaques contre les centres d’accueil pour personnes migrantes. Ces attaques agrègent des groupuscules d’extrême-droite, face auxquels les collectifs antifascistes locaux réagissent, comme à Saint-Brévin, par des contre-manifestations.
Répression du mouvement social VS « complaisance » vis-à-vis de l’extrême-droite ?
Mais quand le mouvement social réagit, « le gouvernement recourt à la répression. Que ce soit lors des manifestations contre la réforme des retraites, ou à Sainte-Soline [lutte écologiste contre les méga-bassines, ndlr], ou encore avec les violences policières quotidiennes qui perpétuent un ordre racial et colonial », analyse la militante de Solidaires.
Une répression qui contraste, à ses yeux, avec la « complaisance » des autorités préfectorales face au défilé des militants d’extrême-droite du « comité du 9-Mai », à Paris. Une parade qui avait déclenché la polémique. En réponse, le ministre de l’Intérieur avait engagé une circulaire demandant aux préfets « de prendre sans délai les mesures nécessaires pour éviter que de tels rassemblements et manifestations ne se reproduisent ». Sauf que le soin est laissé à la justice de trancher. Mi-mai, une interdiction préfectorale de l’hommage à Jeanne d’Arc par l’Action Française a ainsi, malgré tout, été levée par le tribunal.
« Ces combats s’insèrent dans notre action syndicale »
« Notre responsabilité est immense », soutient la militante de Solidaires. Celle-ci appelle chaque acteur du mouvement social à « consacrer une énergie déterminée et convergente dans les luttes sociales et antifascistes », affirmant que le combat contre l’extrême-droite « s’insère dans notre action syndicale ».
Une proche de Clément Méric, la voix par instants nouée, est la dernière à prendre la parole. « Se souvenir veut dire lutter », encourage-t-elle. Le rassemblement de ce lundi clôt ainsi plusieurs journées de mobilisation. Dimanche, une manifestation a rassemblé pas moins de 5 000 personnes (1 950 selon la préfecture). D’autres événements ont été organisés, dont le lancement du livre Clément Méric : une vie, des luttes (éd. Libertalia) écrit par les proches du jeune homme ; ou encore un forum à la Bourse du travail avec des collectifs antifascistes venus d’autres pays.
Cette dimension internationale reste valable ce lundi, avec la présence de militants internationaux dans la foule. Au micro, on défend la nécessité de soutenir le peuple kurde « en particulier depuis la récente réélection d’Erdogan ». Et de rester « en constante vigilance » face à la montée de groupes d’extrême-droite « en Allemagne, en Italie, en Grèce et ailleurs ».
Des bras se lèvent dans la foule, brandissent des fumigènes rouges et violets. Le rassemblement touche à sa fin. Un homme se place au centre du cercle d’hommage, danse sur une dernière musique, avant de laisser son fumigène se consumer en cendres. Des bouquets de fleurs et des bougies sont déposées, un peu plus loin, sur les pavés.
Crédit photo : Serge D’Ignazio
Rapports de force cherche 1000 soutiens pour sortir la tête hors de l’eau
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.