grève raffineries

Raffineries : la grève peut-elle s’étendre ?


 

La grève dans les raffineries Total dure depuis 12 jours. Malgré les bénéfices records, la multinationale pétrolière refuse d’augmenter les salaires et s’enlise dans un conflit long. Alors que les grèves essaiment dans les entreprises et que la bataille pour la réforme des retraites se prépare, les raffineries peuvent-elles être le fer de lance d’un mouvement social d’ampleur ?

 

« Ce n’est pas une fenêtre de tir qu’on a, c’est une baie vitrée ». Au téléphone, Eric Sellini répète la formule qu’il a sortie quelques jours plus tôt à ses camarades. Avec une inflation qui galope, des salaires qui n’augmentent pas et une réforme des retraites qui couve, les conditions sont réunies pour qu’une grève générale éclate dans le pays, estime le coordinateur CGT TotalEnergies*. Dans sa boîte, les salariés montrent la voie. Après avoir annoncé 3 jours de grève du 27 au 29 septembre, ils sont entrés en grève reconductible. « Le 29 au soir, on a demandé aux grévistes s’ils voulaient continuer et ils nous ont dit oui », explique-t-il.

 

Double objectif

 

En prenant cette décision au soir de la première journée de grève interprofessionnelle de cette rentrée, les grévistes de Total ont rejoint ceux des 2 raffineries du groupe Esso-ExxonMobil, déjà en grève reconductible depuis le 23 septembre. Eux aussi pour leurs salaires. Résultats : 4 raffineries françaises sont actuellement inactives et plusieurs dépôts pétroliers sont bloqués. Loin de s’essouffler, le conflit s’enracine, provoquant des pénuries dans certaines stations-services. Pour la CGT TotalEnergies, syndicat largement majoritaire dans le groupe, c’est l’occasion d’atteindre deux objectifs.

Tout d’abord aller chercher 10% d’augmentation de salaire, des investissements dans l’outil de travail et des embauches auprès de Patrick Pouyanné, patron de Total, qui a versé 2,6 milliards d’euros à ses actionnaires cette année, alors que le salaire de ses employés n’a augmenté qu’à la marge. Mais également initier un rapport de force avec le gouvernement afin qu’il indexe les salaires sur l’inflation et abandonne la réforme des retraites qui se prépare. Or pour obtenir cela il ne faudra pas être seul.

 

Un secteur fer de lance ?

 

« Oui, les raffineries peuvent être le fer de lance de la mobilisation », convient Benjamin Tange, délégué syndical central CGT du dépôt de Flandre. De fait, le pouvoir de blocage des grévistes de Total est colossal. Et la démonstration de force a de quoi entraîner dans sa roue d’autres secteurs.

En mettant à l’arrêt la raffinerie de Normandie le 27 septembre, la France a immédiatement perdu 22% de ses capacités de raffinage. Or elle n’est pas la seule en grève, la raffinerie de Feyzin (banlieue lyonnaise) est aussi entrée dans le mouvement. « A Feyzin, la grève du service expédition empêche les livraisons. Il y a 31 embauchés en deux-huit et 28 grévistes, rien ne sort », résume Sébastien Saliba, secrétaire général CGT à Feyzin. La bioraffinerie de La Mède, les dépôts de carburant de Flandres et de Grandpuits, près de Dunkerque sont également en grève.

Ainsi, selon les chiffres du gouvernement donnés ce vendredi, 15 % des stations essence subissent des problèmes d’approvisionnement. Si ce dernier refuse d’employer le mot « pénurie », la situation est préoccupante dans certaines régions. Dans les Hauts-De-France, la grève affecte ainsi 30% des stations-services et plus précisément 42% dans le Pas de Calais et 43% dans le Nord. Certaines sont réservées à des professions jugées prioritaires, ce qui laisse forcément d’autres travailleurs sur le carreau. Le syndicat Snuipp-FSU 62 s’est ainsi fendu d’un communiqué pour alerter sur la situation des enseignants et AESH qui n’arrivent plus à se fournir en carburant.

 

Total compte une fois encore se payer la grève

 

Pourtant, pour l’heure, la pression semble insuffisante pour faire plier Total. Patrick Pouyanné ne compte pas ouvrir de négociation sur les salaires avant le 15 novembre. Date déjà prévue pour évoquer les augmentations de 2023, quand la CGT veut absolument négocier ceux de 2022. Sans surprise, face à la colère des consommateurs, l’Etat joue le rôle de briseur de grève et assure pouvoir améliorer la situation, notamment en important du pétrole. « Ça va prendre deux ou trois jours a priori. Sur la base de ce que les pétroliers peuvent rapatrier depuis la Belgique et depuis Rouen, et pour faciliter les choses nous libérons une partie de nos stocks stratégiques », a assuré jeudi soir sur BFMTV la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Rien d’étonnant dans l’attitude très frontale de la multinationale pétrolière. Depuis des années, TotalEnergies met un point d’honneur à ne rien lâcher à ses syndicats. Les grévistes confient d’ailleurs que leurs dirigeants préfèrent perdre de l’argent plutôt que de céder. Rappelons le cas de Fabien Privé Saint-Lanne, délégué syndical CGT de la raffinerie de Donges, qui a tenu 16 jours de grève de la faim en mars dernier dans l’indifférence totale de ses employeurs. Les grévistes, se préparent donc à mener un conflit long. « On est rentré dans le jeu du chat et de la souris, entre Total et nous ce sera au premier qui cédera. On est organisé avec des caisses de grève et on va tenir longtemps », assure Sébastien Saliba de Total Feyzin.

 

Pourquoi un délégué syndical a fait 16 jours de grève de la faim à la raffinerie de Donges

 

Une confédération trop attentiste ?

 

Face à une direction qui ne lâche rien, la question de l’élargissement de la lutte se pose. Au sein de la fédération CGT de la Chimie, connue pour se montrer critique de la Confédération CGT, on trouve Philippe Martinez trop attentiste. « La confédération ne fait pas son boulot. Il a fallu attendre le 5 octobre pour obtenir un communiqué de soutien à la chimie, c’est vraiment tard », tance Emmanuel Lépine, secrétaire fédéral de la Fédération Nationale des Industries Chimiques (FNIC) « On a besoin d’une vraie impulsion, pas d’une simple journée de grève interprofessionnelle », ajoute Eric Sellini de la CGT Total.

Mais à la confédération, on cherche d’abord à construire un mouvement rassemblant le plus de syndicats possibles. « Si on annonce une date tout de suite, on se retrouvera seuls avec Solidaires et la FSU. Sur les retraites, d’autres syndicats peuvent nous rejoindre, je pense à FO, je pense à la CFDT. Or si on veut cela, ça passe par des discussions avec eux. Elles auront lieu la semaine prochaine », explique Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT en charge de la question des salaires. « Tout le monde n’est pas encore prêt à se mettre en grève reconductible. D’ailleurs ce n’est pas le cas dans la chimie non plus », fait remarquer le cégétiste.

 

« Travail de fourmi dans les syndicats »

 

Emmanuel Lépine le reconnaît lui-même, le secteur de la chimie n’est, lui non plus, pas totalement mobilisé. Dans le pétrole, la raffinerie de Donges, pourtant elle aussi un bastion de la CGT, n’est pas en grève. « Nous sommes en difficulté sur ce mouvement », avoue un syndicaliste qui y travaille et ne souhaite pas nous en dire plus. « Nous aurions voulu que le dépôt pétrolier de la CIM, au Havre, rejoigne le mouvement mais ça n’a pas été possible non plus », confie également Emmanuel Lépine.

À la raffinerie Petroineos de Lavera (13), le temps n’est pas non plus à la grève puisque les salariés ont déjà obtenu des augmentations salariales jugées satisfaisantes. « Les résultats sont tellement bons en ce moment que c’était bien normal », assure Sébastien Varagnol de la CGT du site. Les raffineurs ont ainsi raflé une augmentation de salaire plancher de 200€  ainsi qu’une hausse de 20% de la prime de déplacement. « Partir en grève pour les salaires des camarades de Total ne paraît pas envisageable aujourd’hui malheureusement », concède le cégétiste.

 

Chez Total : grève inédite de l’ensemble des syndicats CGT

 

Enfin la coordination CGT Total, qui regroupe des syndicats CGT parmi les 200 filiales de Total en France (comme la SAFT, spécialisée dans la conception de batteries à usage industriel, Hutchinson connue pour ses pneus ou encore Argedis, qui gère les stations-services) et qui s’était mise en lutte de manière inédite en juin dernier, ne semble pas repartie pour un tour. « Les salariés ne sont pas au rendez-vous », regrette Éric Sellini. « Il faut faire un travail de fourmi dans les syndicats, dans les fédérations et à la confédération pour faire en sorte que ça prenne. » Une date de grève dans les entreprises du caoutchouc (Hutchinson, Michelin…) était d’ailleurs envisagée pour le 18 octobre. Elle a finalement été remplacée par un appel de la FNIC à la mobilisation aux côtés des raffineurs, sur les piquets de grèves, le 11 octobre. À la confédération, on réfléchirait à une nouvelle date de grève interprofessionnelle dans la semaine du 18 octobre.

 

 

*Le nom du groupe est TotalEnergies, mais nous avons parfois préféré l’appeler simplement Total.

Le crédit photo : Baptiste Soubra – Les amis de la terre