Parmi les débats du neuvième congrès de l’Union syndicale Solidaires qui s’est tenu à côté de Toulouse du 22 au 25 avril, celui sur une recomposition syndicale du syndicalisme de lutte et de transformation sociale est loin de faire consensus parmi les délégué.e.s. Depuis quelques mois la CGT et la FSU ont engagé un processus de rapprochement pouvant conduire à la construction d’un nouvel outil syndical dans plusieurs années.
« On doit s’interroger sur notre outil syndical et sur quel serait le meilleur outil pour être en capacité de combattre à la fois les politiques du gouvernement, mais aussi l’arrivée probable du Rassemblement national au pouvoir », affirmait Sandra Demarcq, secrétaire nationale de Solidaires Finances publiques, quelques minutes avant le début du travail en commission sur la résolution n°3 du congrès.
Celle-ci aborde de nombreux points, dont l’épineux sujet de la recomposition syndicale. Pour la syndicaliste, « l’enjeu est de prendre un peu de hauteur de vue » au-delà de son secteur d’activité, en se posant la question de « ce qui serait le mieux pour l’ensemble des salariés de ce pays ». Sandra Demarcq admet que la position de premier syndicat de son organisation au sein des finances publiques est plus confortable en cas de recomposition. Mais si elle souhaite avancer sur le sujet, pas question pour autant que cette recomposition se traduise par une « absorption ou une fusion dans la CGT ».
Une question latente depuis trois ans
En 2021, le congrès de Solidaires avait déjà accouché d’une déclaration montrant un signe d’ouverture sur les questions d’unification syndicale, en affirmant qu’afin d’être plus efficace pour gagner, « se fédérer, discuter de la possibilité de la recomposition intersyndicale à la base, dans les territoires et les secteurs, ne doit pas être tabou ». Elle ajoutait plus loin : « l’union syndicale Solidaires ne construira pas des rapprochements seule et nous verrons si d’autres structures souhaitent partager cette démarche ». Cependant, au cours des trois dernières années, l’union syndicale n’est pas allée beaucoup plus loin malgré un réchauffement des relations avec la FSU, et surtout avec la CGT, pendant les dernières années du mandat de Philippe Martinez. Les débats se sont heurtés à l’hostilité de plusieurs structures nationales et la proposition de constitution d’un groupe de travail dédié en comité national est restée lettre morte, faute de participants.
Durant cette période, la FSU a pourtant fait un pas en avant conséquent. Lors de son congrès en 2022, elle s’est donnée comme mandat de « réunir le syndicalisme de transformation sociale en débattant pour cela avec la CGT et Solidaires des étapes allant dans le sens de la construction d’un nouvel outil syndical, sans exclusive des forces qui seraient intéressées ». En revanche, la CGT a appuyé sur la pédale de frein à l’occasion de son congrès confédéral en mars 2023. Le rejet de la candidature de Marie Buisson au poste de secrétaire général au profit finalement de Sophie Binet, ainsi que la sortie de la CGT de l’Alliance écologique et sociale, au sein de laquelle elle travaillait avec la FSU et Solidaires, en ont été les marqueurs. De même que l’entrée dans le bureau confédéral de la CGT de responsables issus de fédérations hostiles, dans leur champ professionnel, au travail étroit avec Solidaires, à l’instar de celles des cheminots ou de l’énergie.
Un changement qui s’est traduit par le lancement d’un processus de rapprochement syndical a l’initiative de la CGT, mais avec la seule FSU, à l’automne dernier. Celui-ci se donne comme horizon les années 2026 ou 2027 pour tester l’hypothèse d’un nouvel outil les réunissant. D’où l’enjeu urgent pour Solidaires de faire le point à son congrès. Les textes proposés aux délégués, validés par le comité national en janvier 2024, proposaient d’entériner le fait que « Solidaires n’a jamais considéré son existence comme une fin en soi » et que « l’éventualité d’un outil syndical de lutte nouveau devrait s’appuyer sur un débat profond parmi les syndiqué·es de l’ensemble des organisations qu’une telle recomposition pourrait concerner (CGT, FSU, Solidaires… mais aussi d’autres équipes combatives) ». Tout en précisant « qu’une recomposition implique une organisation syndicale profondément refondée, capable de répondre mieux qu’actuellement aux aspirations des travailleuses et des travailleurs ». Et ainsi, « une simple absorption ou fusion dans une structure existante ne peut pas avoir ce sens ».
Afin de traduire ces positionnements, le texte proposé initialement aux congressistes conclut sur deux propositions pour la prochaine mandature : « un débat interne à l’Union sur la question passant par la création d’un groupe de travail dédié. L’organisation de rencontres notamment avec la CGT et la FSU pour échanger sur ce que ces organisations peuvent attendre (ou pas) d’une telle recomposition ». Une formulation qui a suscité de très longs débats dans la commission qui devait travailler sur la résolution. Et une réécriture totale pour sortir de l’opposition absolue de plusieurs fédérations et des réticences d’autres.
Ainsi, le terme de « recomposition syndicale » disparaît au profit de celui d’ « évolution du syndicalisme ». De même, pour les propositions de création d’un groupe de travail dédié au sujet et de rencontres avec la CGT et la FSU pour savoir ce qu’elles attendent d’un tel processus. A la place le consensus a fixé une déclaration nettement moins ambitieuse : « L’Union syndicale Solidaires ouvre en son sein, à tous les niveaux, un débat sur l’évolution du syndicalisme et de quel outil serait capable de répondre mieux qu’actuellement aux aspirations des travailleurs et des travailleuses ». Pour autant le congrès confirme le travail intersyndical pérenne sur l’antifascisme, l’écologie et le féminisme et appelle de ses vœux son élargissement aux champs de la protection sociale ou de l’immigration. Ainsi formulé, la partie sur la recomposition syndicale a été enregistrée dans la résolution numéro trois qui a été votée à une écrasante majorité : plus de 97 % des structures nationales et 98 % des solidaires locaux.
Plus de freins que d’enthousiasme
L’inscription de la recomposition syndicale au sein de la troisième résolution du congrès intitulée « Notre outil syndical » aura au moins eu un mérite. Celui de lancer réellement le débat dans les structures de Solidaires et de le placer à hauteur des militantes et militants qui ont dû préparer leur congrès. « Il y a des adhérents qui étaient très éloignés de cette question-là, voire qui ne savait pas qu’elle existait » explique Mathilde Peyrache, qui porte les mandats des structures professionnelles de son département, la Loire-Atlantique.
« De façon générale, les gens n’y sont pas favorables, même s’ils sont favorables à l’unité syndicale interprofessionnelle dans les luttes », rapporte-t-elle. La question qui prime étant : « est-ce que l’on est certain que cela apporterait une plus-value syndicale auprès des collègues ? ». Dans son département, les réponses ne pointent pas forcément dans cette direction, même si « certains disent que oui, parce que c’est assez vendeur » de montrer que des syndicats se sont mis d’accord pour se regrouper. Le doute domine cependant. « On ne voit pas pourquoi être dans le même syndicat nous rendrait plus forts, puisqu’il existe déjà des cadres unitaires et qu’on lutte tous pour la défense des travailleurs et des travailleuses. On ne voit pas en quoi il y aurait une plus value par rapport à la lutte contre l’extrême droite ou dans le monde du travail » explicite Mathilde Peyrache.
Par ailleurs, l’attachement aux spécificités de Solidaires domine pour la plupart des militant.e.s. « Nous sommes très horizontal, pour nous, c’est l’assemblée générale qui est souveraine », souligne la secrétaire de l’union départementale du 44 qui évoque « des peurs liées aux fonctionnements », le souhait que « cela parte de la base », en plus de l’inquiétude d’une absorption pure et simple dans une CGT six fois plus importante en nombre d’adhérents. Des craintes partagées par Sylvain de la fédération Sud-Rail. Pour le syndicaliste, qui travaille à la Gare de Lyon, à Paris, « tous ceux qui se retrouvaient dans Solidaires disparaîtraient. Nous n’aurions plus un toit pour mettre nos pratiques et nos idées au sein d’une grande structure où la CGT serait obligatoirement majoritaire ». Historiquement, les relations sont exécrables entre les deux syndicats dans le ferroviaire, même si les deux organisations travaillent ensemble dans une interfédérale nationale, depuis plusieurs années. L’arrivée de Laurent Brun, l’ancien secrétaire général de la CGT-Cheminot, au poste de numéro 2 de la confédération CGT n’est pas pour rassurer Sylvain. « L’ancienne équipe confédérale était plus ouverte. Depuis leur dernier congrès, ils sont sortis de l’AES [l’Alliance écologique et sociale – NDLR] et ils procèdent à un repli sur eux même et sur certaines pratiques. Je suis sûr qu’on perdrait beaucoup de militants » en cas de réunion des deux syndicats.
Le regard se porte d’abord sur son secteur professionnel
Yann Puech de Sud-Rail en Midi-Pyrénées tire globalement les mêmes constats. Dans le rail, « on a une GGT très vieille école avec son ancien secrétaire général, maintenant au bureau confédéral, qui n’a jamais accepté que SUD-Rail puisse exister à la SNCF ». Constatant que l’unité est déjà difficile, une fusion lui paraît inenvisageable pour l’heure. D’autant qu’à l’exception de rares champs professionnels dans la fonction publique d’État, il n’y a pas de listes communes aux élections professionnelles qui montreraient des signes qu’une telle hypothèse soit mûre, pointe Yann Puech. Néanmoins, il imagine « qu’à moyen ou long terme il y aura une recomposition syndicale, plus contrainte et forcée. En cas d’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, nos équipes syndicales seront confrontées à une pression très forte. On sera obligé de se regrouper, mais aujourd’hui on ne peut pas balayer d’un revers de la main l’histoire et les traditions syndicales ». Très concrètement : « on syndique aussi des gens qui viennent de la CGT et étaient en désaccords sur la politique syndicale. Leur dire qu’il faut faire le chemin inverse paraît compliqué ».
Ces difficultés, Frédéric Madelin de Sud-PTT ne les nie pas. Cependant, pour ce salarié des centres d’appel : « la discussion ne peut pas se faire que sur notre intérêt à la base » secteur par secteur. Pour lui, ce qui doit primer dans ce débat, « c’est ce qui nous permet de gagner et de défendre la classe ouvrière, ce ne sont pas juste les mandats et les postes de délégués syndicaux, où tout le monde se regarde en chiens de faïence ». Pour lui, on ne peut s’arrêter aux reproches et à l’attitude de telle ou telle équipe syndicale. « Aujourd’hui, au regard de la division et de l’implantation syndicale dans le privé, personne ne peut y arriver tout seul. On ne doit pas être spectateur de cette recomposition et regarder la CGT fusionner avec la FSU », assume le syndicaliste.
Pour autant, les avis sont partagés dans sa fédération, selon les réalités vécues à Orange, où Sud a perdu sa représentativité, à La Poste ou dans les centres d’appel. Il en est de même à Sud-éducation. « Avec la FSU, nous pratiquons une unité d’action assez forte dans les luttes, comme actuellement contre le choc des savoirs. En dehors des périodes de luttes, nous pouvons construire des choses ensemble. Nous faisons aussi des formations locales ou nationales communes, comme celle qui se tiendra sur l’écologie à l’automne », précise Lucie Gautier-Guida de Sud-éducation 44. Pour autant, la question de la recomposition syndicale « n’est pas un débat clos et rencontre des positions diverses. Sud-éducation n’est pas opposé à une évolution de son outil syndical, mais celle-ci doit se faire par des débats avec l’ensemble des syndiqués. Nous sommes pour discuter avec la CGT et la FSU pour savoir ce qu’ils envisagent pour l’avenir », explique-t-elle.
Ce n’est pas le cas d’autres fédérations qui ont clairement manifesté leur hostilité. Celle de l’industrie par exemple – la seule à avoir voté contre le rapport d’activité du secrétariat sortant – avait déposé un amendement pour supprimer tous les paragraphes faisant référence à la recomposition syndicale. Pour autant, quelles que soit les positions des uns et des autres, l’ensemble des militant.e.s de l’union syndicale sont confrontés à un contexte difficile. Le congrès laisse apparaître un reflux du nombre d’adhérents : 92 000 cotisations remontées en 2022. Même si, selon son porte-parole sortant Simon Duteil, le nombre réel de membres se situe plutôt légèrement au dessus de 100 000 cela représente tout de même quelques milliers de moins que les 110 000 annoncés lors du congrès précédent. Cette perte se conjugue à des résultats électoraux en baisse dans la fonction publique, avec une grande inquiétude : la perte de représentativité et des moyens alloués qui lui correspondent.
Le débat n’est ni mûr ni clos sur la recomposition syndicale
Si Solidaires a réduit ses ambitions en termes de recomposition syndicale, la porte ne se referme pas complètement. Certes, à l’occasion de ce qui aura été finalement le premier round de discussion pour la plupart des syndicalistes de l’union, les réactions premières sont des crispations. D’abord, sur les singularités de leur outil syndical : démocratie à la base, horizontalité ou auto-organisation des travailleurs et travailleuses. Mais aussi, sur la réalité des bonnes ou mauvaises ententes avec leurs homologues dans leur secteur. Celle-ci a pris le pas, au moins dans un premier temps, sur d’autres considérations.
Le fait que le dernier congrès de la CGT ait lui aussi montré moins d’ouverture envers Solidaires pouvait-il créer d’autres réactions ? Probablement pas. Ainsi, les arguments ne portant pas sur les réalités vécues dans chaque secteur ont eu peu de prises, face au quotidien. L’intervention, pourtant appréciée, de Benoît Teste, le secrétaire général de la FSU, pour insister sur un processus ouvert à toutes les questions avec la CGT et à une attente des salariés et de la population dans un contexte politique effroyable, n’a pas suffi à lever les doutes et les oppositions.
Pour autant, le débat se poursuivra dans Solidaires. « On ne sort pas du congrès avec un mandat permettant de provoquer des rencontres pour un rapprochement organique. Le débat ne va pas être réglé en trois mois. Il va se mener dans les syndicats départementaux, les sections, les unions locales. On aura des temps d’instances nationales et des points d’étape réguliers », analyse Aurélien Boudon du secrétariat national, à l’issue des votes du congrès. Déjà, au mois d’octobre prochain, Solidaires Finances publiques inscrira cette question à son congrès pour prendre une position.
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