La France a connu à six reprises une grande réforme des retraites depuis 1993. Si par le passé, les arguments utilisés par les gouvernements de droite ou de gauche pour allonger la durée du travail étaient centrés sur les questions d’équilibre du système de retraite, cette fois-ci l’exécutif avance des justifications plus décalées ou disruptives.
Ce sera pour l’été 2023. Emmanuel Macron a annoncé, vendredi 3 juin, dans une interview donnée à la presse quotidienne régionale, que la réforme des retraites entrera en vigueur dans un an. Certes il reste de nombreuses zones d’ombres sur le calendrier, le fond et la méthode. Et pas seulement sur le contenu de l’annonce surprise de la création d’un Conseil national de la refondation, dont personne ne sait s’il ressemblera au « grand débat pour rien » pour clore la crise des gilets jaunes, ou à la « convention citoyenne pour pas grand-chose » sur le climat.
Mais en attendant d’en savoir plus, après le second tour des législatives ou en septembre, les éléments de langage de la majorité présidentielle pour vendre cette réforme mangent à tous les râteliers. Sauf, à de rares exceptions près, à celui de l’équilibre du système de retraites par répartition. Et pour cause : le conseil d’orientation des retraites (COR) prévoit un retour à l’équilibre autour de 2035, sans réforme supplémentaire. Et une trajectoire maîtrisée jusqu’à 2070.
« Nous sommes dans une société qui vieillit […] il est donc normal, surtout compte tenu aujourd’hui de la nature des comptes publics, de la réalité, que nous travaillons plus » justifiait Emmanuel Macron, le jour de son discourt de lancement de campagne, le 17 mars 2022, pour assumer le report de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Un argument d’appel au bon sens qui fait l’impasse sur le fait que selon l’Insee, l’allongement de la durée de la vie s’est nettement ralenti depuis 2012 (un peu plus d’un mois par an pour les hommes et à peine plus de deux semaines par an pour les femmes). Sans compter que cet argument oublie que la moyenne de l’espérance de vie en bonne santé reste de 65,9 ans pour les femmes et de 64,4 ans pour les hommes, selon l’Insee.
Réforme des retraites : taper dans les caisses
Alors, depuis le 17 mars 2022, tout type d’arguments ont été mobilisés pour expliquer et justifier cette réforme emblématique du prochain quinquennat d’Emmanuel Macron. « Comme on vit plus vieux et qu’il y a de moins en moins de gens qui travaillent, le déséquilibre s’établit entre les contributeurs et les pensionnés », essayait de temporiser François Bayrou dans l’entre deux tours, suggérant un « déséquilibre » que l’on pourrait comprendre comme un déficit à combler. Mais toujours en dépit des projections du COR. Un exercice auquel s’est aussi attelé Bruno Le Maire, toujours après le gros score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour des présidentielles : « une réforme des retraites est indispensable pour sauver notre régime ». Sans plus d’explication.
Mais une fois l’émotion passée d’une crainte de ne pas gagner la présidentielle, Bruno Le Maire est revenu à un argumentaire d’après victoire électorale. « Nous baisserons les impôts de production […]. Pour ça, il faut être capable de l’autre côté, si on ne veut pas augmenter la dette, d’engager des réformes structurelles qui permettent à l’ensemble des Français de travailler davantage […] c’est l’objectif de la réforme des retraites ». En réalité, rien de moins qu’une proposition de transférer une partie de la richesse produite. Ici, des pensions des salariés devenus retraités vers les entreprises. Et ce, alors que le gouvernement Castex avait déjà fait cadeau à ces dernières de 10 milliards d’euros, en baissant les impôts de production en 2020. Un argument qui ne risque pas de convaincre les 64% de Français opposés à un report à 65 ans de l’âge de départ à la retraite.
Mais il est vrai que Bruno Le Maire n’en est pas à son coup d’essai pour baisser la part du PIB consacrée aux retraites afin d’utiliser ces dépenses à d’autres projets. En septembre 2020, il prétextait les dettes contractées pendant l’épidémie de Covid-19 pour promouvoir un allongement de la durée de travail : « Demain, nous rembourserons cette dette par de la croissance […] par des réformes de structure que je continue d’estimer indispensables, la première d’entre elles étant la réforme des retraites ». Si Bruno Le Maire parle sans détour, d’autres ont tenté de présenter des justifications plus présentables. « L’enjeu, pour notre pays, est d’assurer la force de notre modèle social, de poursuivre le progrès social et d’investir, notamment dans la santé et l’éducation », déclarait la nouvelle Première ministre Élisabeth Borne le 22 mai dernier.
Pour autant, même sous couvert de financer des secteurs jugés utiles par la majorité des Français, comme la santé ou l’éducation, cela reste un détournement en utilisant les économies réalisées par une réforme des retraites (7,7 à 9 milliards en 2027 selon les estimations) à toute autre chose que les pensions. C’est d’ailleurs le même principe avec un autre argument : « permettre le financement de la dépendance ». Une proposition de tour de passe-passe qui avait fait réagir durement la CFDT, par la voix de Marylise Léon, sa numéro deux, pour qui « ce n’est pas au régime des retraites de financer l’autonomie ou la dépendance ».
Il reste encore quelques semaines ou quelques mois à l’exécutif pour peaufiner sa communication. Mais comme il lui sera difficile de présenter sa reforme en prétextant un besoin d’équilibre du système, la partie risque d’être compliquée. Même en faisant preuve d’imagination.
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