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Retraites : ce que l’on sait déjà et ce que l’on ne sait pas encore de la réforme à venir

Au lieu d’annoncer ses arbitrages sur le contenu de la réforme des retraites le 15 décembre, le gouvernement a reculé l’échéance au 10 janvier. Pour autant, l’exécutif a largement dévoilé ses intentions et les grandes lignes de son projet dans la presse, plus d’ailleurs que dans les concertations avec les syndicats et le patronat. Avant la trêve des confiseurs, Rapports de force passe en revue pour vous ce que l’on sait et ce qui reste incertain sur la réforme.

 

Depuis l’été dernier, la réforme des retraites ressemble finalement à une drôle de guerre. Un peu comme lorsqu’en septembre 1939 la France déclare la guerre à l’Allemagne, mais qu’il ne se passe rien sur le front pendant des mois. Et ce, jusqu’à l’invasion express en moins de 50 jours des Pays-Bas, de la Belgique et de la France à partir du 10 mai 1940.

Dans le dossier de la réforme des retraites, les intentions d’une déclaration de guerre au monde du travail, avec un passage à 65 ans de l’âge légal de départ, sont affichées depuis juillet, si ce n’est depuis mars 2022. La mobilisation générale, côté gouvernemental, a connu une accélération fin septembre avec la menace de passer en force à l’automne au moment du vote du budget. Et elle a eu sa symétrie : les responsables des confédérations syndicales s’étant réunis en urgence en visioconférence pour préparer une réaction immédiate.

Puis le gouvernement a changé de pied en lançant des concertations, pour la forme, sur deux mois, à compter du 8 octobre. Chacun s’est retranché derrière sa ligne Maginot en quelque sorte, attendant une inéluctable confrontation renvoyée à plus tard. Un faux rythme qui aurait dû prendre fin aujourd’hui le 15 décembre, date retenue initialement pour le début de l’offensive gouvernementale avec l’énumération par Élisabeth Borne des arbitrages concluant les concertations sur les retraites. Et l’annonce le soir même, par huit syndicats, d’une date de première journée de grève en janvier. Mais le faux rythme va se poursuivre jusqu’au 10 janvier, date à laquelle l’exécutif devrait se dévoiler. Avant d’accélérer franchement avec un ou deux projets de loi présentés en Conseil des ministres, possiblement le 23 janvier. Voire même avec une tentative de guerre éclair, et passage aux 65 ans, via un budget rectificatif du projet de loi de finances de la Sécurité sociale, assorti d’un énième 49-3 budgétaire.

 

Une certitude, ils veulent nous faire travailler plus longtemps

 

Emmanuel Macron et ses ministres ont assez répété sur tous les tons « il faut travailler plus longtemps », pour que l’on soit certain que le futur projet de réforme des retraites impliquera de partir plus tard. Le report de l’âge légal comme mécanisme d’un allongement de la durée de travail, aujourd’hui fixé à 62 ans, est lui aussi quasi certain, car trop souvent martelé par l’exécutif, pour ne pas apparaître comme un recul dans la capacité du chef de l’État à réformer s’il y renonçait. Ce sera 65 ans, donc trois années de travail supplémentaire, si la volonté du chef de l’État l’emporte. Ou 64 ans, deux ans de plus, éventuellement assortis d’une augmentation rapide du nombre d’années de cotisation nécessaires pour une retraite à taux plein, si d’autres voix issues de la majorité s’imposent. Tout sauf un cadeau si cette option était retenue, même si le gouvernement tentera de présenter cela comme une concession ou un signe d’ouverture.

Réforme des retraites : démontez les arguments du gouvernement en 5 minutes

L’allongement qui sera retenu s’appliquera à l’ensemble du monde du travail : salariés du privé comme fonctionnaires. Selon les vœux d’Emmanuel Macron, la réforme prendra effet dès l’été 2023. Elle concernera tous les salariés à partir de la génération 1961, selon les déclarations d’Élisabeth Borne de début décembre. L’allongement devrait être progressif jusqu’à 2031, probablement à raison de quatre mois supplémentaires par an. Ainsi, si vous avez 60 ans aujourd’hui et que vous pensiez partir à la retraite au dernier trimestre 2024, vous devriez patienter jusqu’en 2025. Pire, si vous avez eu 57 ans en 2022, selon votre mois de naissance, votre date de départ à la retraite pourrait passer de 2027 à 2029. Et dès la génération 1969 ou 1970, ce sera trois années de plus. Plein pot.

 

La fin programmée de certains régimes spéciaux

 

Là aussi l’exécutif a affirmé qu’il mettrait fin à un certain nombre de régimes spéciaux. Combien ? Lesquels ? Pour le moment, Élisabeth Borne a pointé celui des agents de la RATP, celui des industries électriques et gazières et celui de la Banque de France. À l’inverse, ceux des marins et des danseurs de l’Opéra de Paris seraient épargnés et celui des parlementaires n’a pas été réellement évoqué. Pour les autres, ce sera la surprise le 10 janvier.

En tous les cas, afin de ne pas jeter des professions entières dans la rue, le gouvernement ne les supprimera pas tous. Et il prévoit d’ores et déjà une « clause du grand-père » pour les faire disparaître. À savoir, réserver leur fin aux salariés qui entreront dans ces métiers ou entreprises après la réforme. Pour autant, cela ne veut pas dire que ceux déjà en exercice ne seront absolument pas concernés par un allongement de l’âge de départ à la retraite. En effet, lors du passage, lui aussi progressif, de 60 à 62 ans entre 2010 et 2015, les régimes spéciaux avaient fini par voir leur âge de départ décalé également de deux années à partir de 2016. Sur ce point, c’est encore l’inconnue. Le gouvernement a été très peu loquace, mais on peut aisément imaginer qu’en 2031, date d’atterrissage aux 65 ans, une harmonisation soit envisagée.

 

Pénibilité : de très très maigres compensations

 

C’est un des points particulièrement incertains, dans la mesure où le mois supplémentaire donné aux concertations jusqu’au 10 janvier pourrait être utilisé par la Première ministre pour donner quelques gages à la CFDT, qui fait de la pénibilité un de ses chevaux de bataille. Et ainsi, sans lui faire soutenir la réforme des retraites, tenter de l’éloigner des cortèges et des grèves de début 2023. Pour autant, la partie ne va pas être facile, le patronat pesant de tout son poids pour qu’aucune contrainte ne pèse sur les entreprises en la matière.

Mais quelles sont les propositions sur l’usure professionnelle, terme préféré à celui de pénibilité par Emmanuel Macron qui déclarait en 2019 ne pas l’adorer « parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible » ? Rien d’exceptionnel en réalité. Pas question pour l’heure d’intégrer dans le compte professionnel de prévention (C2P) les critères de pénibilité évincés en 2017. À savoir : le port de charges lourdes, les postures pénibles ou l’exposition aux vibrations mécaniques et celle à des agents chimiques dangereux. Le patronat y étant fermement opposé, le gouvernement privilégie l’idée de renvoyer le bébé vers des discussions dans les branches professionnelles.

Pour autant, comme il faut bien afficher au moins une mesure, le ministre du Travail a proposé de déplafonner le nombre de points (100 maximums aujourd’hui) permettant d’obtenir des trimestres ouvrant droit à départ anticipé à la retraite (deux ans maximum aujourd’hui). Mais le flou gouvernemental ne permet pas à ce jour de savoir à combien d’années de départ anticipé pourront prétendre ces salariés. Pour qu’ils puissent partir dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, il faudrait potentiellement que le C2P permette un départ anticipé de cinq années. On peut réellement en douter. Cependant, le gouvernement pourrait aller plus loin d’ici le 10 janvier pour satisfaire la CFDT et semer la division dans l’unanimité syndicale contre le projet de réforme.

 

Carrières longues et catégories actives

 

Quand on dit te faire une fleur, mais qu’en réalité on t’arnaque. C’est clairement l’objet de la transformation du dispositif « carrière longue » en dispositif « carrière très longue » qu’a présenté Olivier Dussopt à la presse le week-end dernier. C’est même un tour de bonneteau. Aujourd’hui, le dispositif permet de partir deux ans avant l’âge légal, quand on a quatre à cinq trimestres travaillés avant l’âge de 20 ans. Donc potentiellement à 60 ans. Demain, à moins que la proposition soit encore modifiée d’ici le 10 janvier, il faudrait rajouter trois années de travail si l’âge de départ retenu est 65 ans. Du coup, le ministre avance que le dispositif « carrière très longue » permettra de partir quatre ans avant. Soit 61 ans. Donc vous partirez à la retraite un an plus tard qu’aujourd’hui. Et au passage, les conditions pour en bénéficier deviendraient plus draconiennes. Là où il fallait 4 à 5 trimestres avant 20 ans, il en faudrait autant, mais avant 18 ans.

Du côté des catégories actives, des professions présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles justifiant un départ anticipé à la retraite, il n’y a pas vraiment de cadeau non plus. Les pompiers, policiers, égoutiers, aides-soignantes, etc. devront aussi partir plus tard à la retraite. De façon symétrique, avait déclaré Stanislas Guérini, le ministre de la Transformation et de la Fonction publique. Mais avec peut-être quelques aménagements selon les professions.

 

Un peu mieux pour les petites pensions, mais pas pour tout le monde

 

C’est le volet présenté par le gouvernement comme celui de la « justice sociale » de la réforme des retraites : le passage à 1200 € de pension minimale pour les personnes ayant une carrière complète. Le mécanisme qui sera mobilisé par le gouvernent pour atteindre un niveau de pension équivalent à 85 % du SMIC sera l’augmentation du minimum contributif. Mais on ne sait pas vraiment comment techniquement. Ici, le risque d’usine à gaz est majeur.

Mais outre que de nombreux salariés n’ont pas de carrière complète au moment de faire valoir leurs droits à la retraite, la mesure ne concernerait que les nouveaux entrants, croit savoir le journal Les Échos, selon plusieurs de ses sources. Soit un peu plus de 600 000 personnes par an, au lieu des plus de 5 millions de retraités sur près de 16 millions, dont la pension est inférieure aujourd’hui à 1000 €. Et pour un coût assez limité. Quelques centaines de millions d’euros s’il s’agit des nouveaux retraités ou autour de trois milliards si les retraités actuels sont concernés. Une goutte d’eau : soit environ +0,1 %, soit à peu près +1 % d’augmentation des dépenses de retraites, qui s’élèvent approximativement à 350 milliards par an.

 

Le refus de contraindre les entreprises sur l’emploi des seniors

 

Là aussi, malgré le manque à gagner en milliards d’euros chaque année pour les caisses de retraite que représente le fait que seulement 56 % des plus de 55 ans sont en activité, le gouvernement bricole des propositions sans envergure. Première d’entre elles : la création d’un index permettant de connaître les pratiques des entreprises sur l’emploi des seniors. Mais sans rien de contraignant a rappelé Élisabeth Borne le 1er décembre, malgré qu’un pic de rupture de contrat de travail soit constaté à l’âge de 59 ans. Un dispositif équivalent, l’index égalité professionnelle, avait été mis en place au sujet des inégalités entre les hommes et les femmes pendant le premier mandat d’Emmanuel Macron. Sans grands changements depuis.

Autre mesure envisagée : promouvoir la retraite progressive, un dispositif déjà existant et peu mobilisé. Et à côté, un catalogue de mesurettes, passant de l’accès à un bilan de compétence au cumul emploi-retraite. Voire même par de possible exonération de cotisations sociales pour les employeurs pour qu’ils se séparent moins de leurs salariés les plus âgés. Plus inquiétant encore, Olivier Dussopt avait évoqué au mois d’octobre la création d’un dispositif appelé « assurance-salaire ». En gros : la possibilité pour un senior au chômage de conserver une partie de ses indemnités s’il accepte un emploi à un salaire inférieur à son précédent travail.

 

La pilule de la réforme des retraites est difficile à avaler

 

En résumé, des mesures assassines. À savoir deux à trois années de travail supplémentaires pour pouvoir partir à la retraite et la fin de plusieurs régimes spéciaux. Des aménagements pour certaines catégories de salariés qui impliquent quand même de travailler plus longtemps malgré la pénibilité, les carrières longues ou les services actifs. Et en face, quelques mesures dites de « justice sociale » au rabais sur les petites pensions, l’emploi des seniors, et quasiment aucune mesure sur l’égalité femmes hommes, alors que les retraitées ont des pensions inférieures de près d’un quart à celles des hommes.

Avec un tel projet de réforme des retraites, largement impopulaire, il faut bien des manœuvres pour arriver à l’imposer. D’où le faux rythme déployé depuis des mois, les tentatives de fracturer le front syndical et les tractations avec les parlementaires Les Républicains.