Reprise par de nombreuses structures syndicales, la date du 5 décembre, comme début d’une grève reconductible à la RATP, est aussi devenue, mardi 15 octobre au soir une échéance interprofessionnelle. Les débats internes se poursuivant dans les syndicats sur la stratégie à adopter pour faire reculer le gouvernement, l’appel commun CGT, FO, FSU, Solidaires n’évoque pas encore la question de la reconduction de la grève.
C’est la leçon de la journée de grève du 13 septembre à la RATP : quand une grève est suivie à 90 %, cela se voit. Et ce, malgré les textes de loi sur le service minimum, votés au début du mandat de Nicolas Sarkozy, qui avaient fait dire à ce dernier en 2008 : « Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ».
Mais la mise à l’arrêt de 10 lignes de métro sur 14 au mois de septembre n’est pas passée inaperçue. Surtout pas auprès des opposants à la réforme du système de retraite qui n’avaient alors à se mettre sous la dent que la démonstration d’une désunion. Force ouvrière appelait seule à une manifestation nationale à Paris le 21 septembre, alors que la CGT avait pris de son côté l’initiative d’une journée de grève interprofessionnelle trois jours plus tard. La grève réussie à la RATP a amené un peu de fraîcheur et regonflé le moral des troupes. Puis, l’appel à une grève reconductible dans les bus et métros franciliens à compter du 5 décembre a chamboulé les perspectives de mobilisation.
« Tous ensemble » le 5 décembre !
L’idée présentée en intersyndicale nationale la semaine dernière par la CGT, d’une journée intermédiaire en novembre dans l’objectif de construire la mobilisation, a été écartée au profit d’un saut directement à la date choisie par les syndicats de la RATP. « Les organisations syndicales et de jeunesse appellent l’ensemble des salarié-es du secteur privé comme du secteur public, des retraité-es, des privé-es d’emploi, des jeunes, à une première journée de grève interprofessionnelle le jeudi 5 décembre », écrivent ensemble la CGT, FO, FSU, Solidaires, la FIDL, le MNL, l’UNL et l’UNEF. Leur communiqué commun fait des retraites et des revendications portant sur l’emploi, les salaires, l’égalité homme-femme et les conditions de travail, une seule et même bataille.
Le choix du 5 décembre est assez logique. Depuis l’annonce par les syndicats de la RATP d’une grève reconductible à cette date, les déclarations en faveur d’une grève prolongée à la place de dates saute-moutons se multiplient. Dès le 24 septembre, Sud-rail et FO Transport décident d’ajouter leur appel à une reconductible le 5 décembre. Le comité confédéral national (CCN) de Force ouvrière annonce le 26 septembre que « FO est prête à aller à la grève » en entendant œuvrer à l’unité syndicale, et propose de « rejoindre, par un appel interprofessionnel, la grève unie des syndicats de la RATP ». Une décision qui installe la date du 5 décembre dans le paysage des mobilisations contre la réforme des retraites. Suivent, les fédérations de l’éducation, de la santé et des territoriaux de Solidaires, puis fin septembre de l’union syndicale dans son ensemble.
Le 2 octobre, c’est au tour de l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, puis de celle de Seine-Maritime cinq jours plus tard de déclarer leur volonté d’en découdre. La commission exécutive de cette dernière appelle « à se saisir du 5 décembre en s’engageant dans la construction d’un puissant mouvement interprofessionnel de grève reconductible en mesure de faire reculer le gouvernement et le patronat ». La fédération CGT des Services publics comme l’union départementale du Val-d’Oise s’alignent sur la même position.
Prendre le risque d’un 6 décembre
Si l’idée d’une grève reconductible avant la fin de l’année continue à faire son chemin, l’appel de la CGT, FO, Solidaires et FSU n’évoque pas cette option, malgré l’utilisation du terme « première journée de grève interprofessionnelle » qui indique le coup d’envoi de la mobilisation, faisant fi des manifestations des 21 et 24 septembre. Pour le moment, les organisations syndicales avancent à tâtons. Plusieurs d’entre elles craignent que l’impact psychologique positif de la grève réussie à la RAPT ne se retourne contre la mobilisation si le gouvernement réussissait par quelques concessions sur le régime spécial de la Régie, à faire sortir du conflit l’UNSA RAPT, le premier syndicat de l’entreprise. Mais même sans cela, de nombreux syndicalistes s’inquiètent de voir émerger à l’égard de la RAPT, le même phénomène de grève par procuration qu’observé en 2010, avec la grève dans les raffineries contre la réforme Sarkozy sur les retraites.
C’est donc la capacité qu’un nombre suffisant de salariés se lancent dans une grève longue qui interroge les syndicats. De ce point de vue, malgré une suspicion importante des ouvriers et employés à l’égard des intentions du gouvernement sur le dossier des retraites, les syndicats n’ont pas de texte de projet de loi sur lequel s’appuyer pour convaincre les salariés. En effet, le gouvernement a annoncé le vote d’une loi seulement à l’été 2020, et la réforme paraît lointaine à nombre de salariés. Le risque d’attentisme est réel, et les appels incantatoires à la grève reconductible ne suffiraient pas, confient plusieurs cadres syndicaux. Alors pour convaincre dès maintenant, la CGT va diffuser gratuitement un journal spécial sur les retraites, tiré à un million d’exemplaires, alors que Solidaires sort plusieurs centaines de milliers d’exemplaires d’un quatre pages explicatif. De son côté FO multiplie les débats dans les syndicats. « Il y a un réel frémissement », assure un responsable départemental du troisième syndicat français.
Prochaine étape importante pour connaître la portée du 5 décembre : la CGT réunit ses secrétaires de fédérations et d’unions départementales les 5 et 6 novembre. C’est à ce moment-là que la confédération déterminera ses modalités d’action. D’ici là, les prises de position de structures syndicales, notamment CGT, en faveur d’une grève reconductible devraient se poursuivre. Des intersyndicales professionnelles pourraient se lancer à leur tour. En tout cas, il reste aux syndicats un peu plus d’un mois et demi pour faire du 5 décembre une grève qui se voit.
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