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Deliveroo : une condamnation historique


C’est une condamnation qui ouvre une page importante dans la lutte des coursiers. Après une semaine de procès, du 8 au 16 mars, l’entreprise Deliveroo France vient d’être condamnée à la peine maximale encourue pour travail dissimulé. La justice reconnaît ainsi que les livreurs de la plateforme auraient dû être salariés, et non auto-entrepreneurs. Et que l’entreprise a dévoyé le cadre légal du travail. 

 

« Cest la première condamnation au pénal d’une plateforme de livraison. Et pas n’importe laquelle : la première d’entre elles ». Ainsi est résumée par Laurent Degousée, juriste pour la fédération Sud Commerces, l’importance du verdict rendu par le tribunal correctionnel de Paris. Début mars, Deliveroo France a répondu aux accusations de « travail dissimulé » pendant une semaine de procès. La justice vient de rendre son jugement, ce mardi 19 avril. L’entreprise est condamnée à la peine maximale prévue par la loi : 375 000 euros d’amende.

Le verdict est historique. Il reconnaît que les livreurs de cette plateforme auraient dû travailler comme salariés. Et non comme auto-entrepreneurs. Si des coursiers ont pu, par le passé, gagner aux Prud’hommes sur cette question, c’est la première fois qu’une condamnation au pénal est établie.

Au-delà de l’entreprise elle-même, trois ex-dirigeants étaient sur le banc des accusés. Hugues Decosse et Adrien Falcon sont condamnés à douze mois de prison avec sursis, et cinq ans avec sursis d’interdiction de diriger une société. Tous deux avaient occupé le poste de directeur général de Deliveroo France sur la période couverte par le procès, de 2015 à 2017. Les deux ex-DG écopent également, chacun, d’une amende de plus de 27 000 euros à verser à l’URSSAF.

Le troisième homme, Elie Demoustier, directeur des opérations jusqu’en 2018, est condamné en tant que salarié complice à quatre mois d’emprisonnement avec sursis.

 

Deliveroo doit des dommages et intérêts aux syndicats et aux livreurs victimes

 

Le jugement rendu par le tribunal correctionnel est resté fidèle aux réquisitions de la procureure énoncées le 16 mars. Lors du dernier jour du procès, raconté en détails par Les Jours dans une série dédiée, la procureure avait dénoncé « une instrumentalisation et un détournement de la régulation du travail ». De quoi construire un système de « dissimulation systémique » d’emplois, selon ses termes. Elle avait requis les peines aujourd’hui prononcées à l’encontre des ex-DG.

« Leur défense était catastrophique. On a des faits qui parlent pour nous. Et personne n’est mieux placé que nous pour les dire. On ne pouvait que gagner », réagit Jérémy Wick, coursier à Bordeaux, engagé au sein du premier syndicat CGT de livreurs.

Contactée, l’entreprise Deliveroo France n’a pas encore donné suite à notre demande de réaction.

Elle devra verser 50 000 euros de dommages et intérêts à chaque syndicat engagé dans les parties civiles. À savoir : la CGT, Solidaires, Sud Commerce et Services, la CNT-SO, et le Syndicat national des transports légers.

Des dommages et intérêts seront aussi versés aux 116 livreurs qui se sont portés partie civile. « Ils auront au minimum 1 500 euros de provisions », explique Laurent Degousée. Une audience portée sur l’intérêt civil précisera le montant de ces versements individuels. Elle aura lieu le 6 février 2023.

Enfin, ce jugement en première instance devra être rendu visible là où Deliveroo est présent en ligne. Et ce, durant un mois. L’affichage devrait se faire sur l’application mobile et/ou le site de l’entreprise. Les modalités restent, là aussi, à préciser.

 

Ce procès, « c’est une grenade dégoupillée »

 

« Ce procès va déboucher sur d’autres procès. C’est une grenade dégoupillée », croit Laurent Degousée. Le procès faisait suite à plusieurs enquêtes, dont celles de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (ex-DIRECCTE) et de l’Office central de lutte contre le travail illégal. Il ne couvrait qu’une période précise : du 20 mars 2015 au 12 décembre 2017. « Or, depuis, la situation s’est empirée. On a encore plus tiré vers le bas ces travailleurs », souligne le juriste.

« Ce qui se passait durant la période 2015-2017, est encore largement valable aujourd’hui. La géolocalisation permanente, l’auto-édition des factures… Tout cela continue », complète Jérémy Wick.

Ce procès au pénal fera donc jurisprudence, et les Prud’hommes seront au coeur de la tourmente. « On a déjà eu des cas de coursiers qui se sont faits indemniser 15 000, 20 000 euros », rappelle Laurent Degousée. D’autres dossiers sont en cours de traitement.

Jérémy Wick, par exemple, fait partie d’un groupe d’une vingtaine de coursiers de Bordeaux espérant faire requalifier leurs contrats de travail Deliveroo aux Prud’hommes. L’audience a eu lieu la semaine passée. Le jugement devrait être rendu mi-juin.

En juin également, une affaire importante concernant Frichti, une autre plateforme, sera jugée aux Prud’hommes de Paris. Il s’agit de « 99 dossiers d’auto-entrepreneurs sans-papiers. Ils veulent obtenir réparation, avec la possibilité, à terme, d’être régularisés », expose Laurent Degousée. Sud Commerces et la CNT-SO les accompagnent.

Dans la foulée du jugement de ce jour, la CNT-SO dépose une requête visant à l’annulation des élections professionnelles pour les travailleurs des plateformes, prévues entre le 9 et le 16 mai. « La formule de représentation au rabais prévue par le gouvernement n’est pas acceptable au vu de la condamnation », estime le syndicat. Sur la forme également, « le scrutin a été organisé dans des conditions matérielles et juridiques déplorables ».

 

L’enjeu global du travail ubérisé

 

 

La question de fond était de savoir si Deliveroo était une plateforme de simple mise en relation entre coursiers et clients ; ou une entreprise prestataire de services de livraison. La justice a conclu à la seconde option. Elle estime que les livreurs étaient donc soumis à un lien de subordination par rapport à leur employeur, Deliveroo France.

La Cour de Cassation définit la subordination comme « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné », dans son arrêt du 28 novembre 2018 sur Take Eat Easy.

Pour Laurent Degousée, ce procès s’inscrivait dans un enjeu global. Celui du travail ubérisé, et de sa « forme d’emploi atypique dont l’enjeu est qu’elle ne devienne pas la norme ».

« C’est une des petites pierres apportées à l’édifice. Il en faudra d’autres pour les faire tomber. Mais il y en aura d’autres », espère aussi Jérémy Wick. D’ici là, le jugement du jour « ne va pas bouleverser notre quotidien. Mais il nous légitime et nous conforte. Cela aura un effet boule de neige pour motiver d’autres livreurs et organisations ». 


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