Palestine manifestation antifasciste

Répression du soutien à la Palestine : « ces atteintes aux libertés concernent tout le monde »

Interdictions de manifestations, arrestations de militants, menaces de dissolution, saisine du procureur de la République pour « apologie du terrorisme »… Les mesures répressives et les prises de parole du gouvernement contre les soutiens à la cause palestinienne se multiplient ces derniers jours. Au point de faire peser une chape de plomb sur les structures et les militants opposés à la politique coloniale d’Israël, qui tentent de penser une issue pour la Palestine, au-delà de l’hystérisation du débat public. 

 

Dans la ville de Saint-Étienne, « cela fait des années que je fais des manifestations pour la Palestine, dans le calme, sans dégradation. La préfecture, ici, sait très bien qu’il n’y a jamais eu de trouble à l’ordre public. Pourtant, elle a interdit notre manifestation du 12 octobre », raconte Monira Moon, animatrice de la campagne BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) en France. L’arrêté préfectoral en question pointe la présence d’« individus de la mouvance ultra-gauche » ou encore « d’inscriptions et des banderoles » pro-Palestine dans l’agglomération ; et estime qu’il existe « des risques sérieux de trouble à l’ordre public » en cas de manifestation.

Les interdictions de manifestation comme à Saint-Étienne pleuvent sur le territoire. Ont été visés, ces derniers jours, la manifestation du 15 octobre à Paris en soutien au peuple palestinien, celle du 13 octobre à Strasbourg, celle du 12 à Toulouse... « Il y a la volonté de faire taire tout ce qui n’est pas la ligne gouvernementale ; de disqualifier par avance toute parole en soutien du peuple palestinien », expose Christine Poupin, porte-parole du NPA. « Cela s’apparente à un mur d’interdiction. Interdictions de manif, de projections de film, de spectacles… »

Dans un télégramme envoyé le 12 octobre, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a donné instruction aux préfets d’interdire « les manifestations pro-palestiniennes » sur le territoire. L’organisation de ces manifestations « doit donner lieu à des interpellations », exige le ministre dans ce télégramme, cité par l’AFP ; et les ressortissants étrangers qui commettraient des infractions en lien avec ces interdictions « doivent systématiquement voir leurs titres de séjour retirés, et leur expulsion mise en œuvre sans délai ». 

Un recours en référé auprès du Conseil d’État a été audiencé ce mardi 17 octobre contre cette consigne de l’Intérieur. De fait, « le code de la sécurité intérieure ne permet pas de prendre de telles interdictions généralisées et absolues », souligne l’avocat Lionel Crusoé, spécialisé sur les questions de libertés publiques. Et puis, « il faut caractériser un trouble à l’ordre public. Or il y a un raccourci fait entre manifestations pro-palestiniennes et manifestations pro-Hamas… C’est ridicule : sur le terrain, on a des manifestants de divers courants politiques, en soutien de la population de Gaza, ou bien en demande d’une issue politique et pacifique »

 

Des dizaines d’arrestations, au moins un cas de poursuite judiciaire

 

Dans la plupart des cas, les personnes se sont malgré tout rassemblées spontanément. Conséquence : nombre d’entre elles ont été verbalisées, avec des amendes de 135 euros, pour participation à une manifestation interdite.

Des dizaines et des dizaines d’arrestations ont également été menées. À Strasbourg, 13 personnes ont été interpellées annonce la préfecture, dont le président local de l’Union juive française pour la paix (UJFP), Jean-Claude Meyer, qui a passé 24 heures en garde-à-vue, sans poursuite.

Une militante de BDS et de l’UJFP, arrêtée elle aussi à Strasbourg, écope pour sa part de poursuites judiciaires après avoir passé 48 heures en garde à vue. Elle passera au tribunal en janvier, accusée de faire partie des organisateurs de cette manifestation interdite, nous indique l’UJFP. 

À Toulouse, « il y a eu entre 5 et 10 arrestations », complète Tom Martin, porte-parole de Palestine Vaincra. Aucune n’a abouti à des poursuites. De nombreuses contraventions « ont été faites directement sur place »On décompte encore une militante de l’UFJP ayant passé 24 heures de garde-à-vue à Marseille ; ou encore l’interpellation du journaliste Taha Bouhafs à Paris. Les collectifs et associations peinent encore à agréger les remontées de terrain et à chiffrer l’ampleur des mesures répressives.

Toujours est-il que ces mesures sont perçues comme le « signe d’un soutien inconditionnel » au gouvernement israélien d’extrême-droite, caractérise Tom Martin. Un gouvernement actuellement accusé de crimes de guerre à Gaza, par des ONG comme Human Rights Watch, au vu de l’utilisation de phosphore blanc (démentie par Israël) ou du déplacement forcé de populations. « Tout cela rend difficile toute manifestation de soutien à la population palestinienne, au moment où, menacée d’une crise humanitaire, elle en a le plus besoin », déplore Christine Poupin du NPA.

Ces mesures empêchent aussi d’apporter de la nuance et de la pensée politique, voire de la profondeur historique, au débat public. Elles produisent un sentiment de rétrécissement : rares sont les espaces médiatiques où il est encore possible d’évoquer les racines de la violence, la structuration du Hamas, ou encore la politique coloniale d’Israël, sans se faire couper immédiatement

 

L’Intérieur exige l’expulsion « en urgence absolue » de la militante Mariam Abou Daqqa, 72 ans, venue de Gaza

 

Une autre arrestation fait grand bruit, hors manifestation cette fois. Celle de l’activiste et intellectuelle palestinienne Mariam Abou Daqqa, interpellée à Marseille ce 16 octobre, placée sous procédure d’expulsion à la demande du ministre de l’Intérieur. Habitante et militante à Gaza, elle était en tournée en France grâce à un visa de court séjour, délivré par le consulat de France à Jérusalem en août, en théorie valable jusqu’à fin novembre.

« Elle était depuis cinq jours chez moi à Marseille. Visiblement, ils le savaient : on avait déjà repéré des voitures suspectes autour de nous », raconte Pierre Stambul, porte-parole de l’UJFP, depuis la chambre d’hôtel où Mariam Abou Daqqa est assignée. À ses côtés, le téléphone de la militante âgée de 72 ans n’arrête pas de sonner. Des appels de Palestiniens partout dans le monde, de Gaza… Des soutiens aussi, informés de son arrestation.

Lundi matin, peu après 6h, alors que les deux activistes étaient en voiture vers la gare de Marseille, « la police nationale nous a arrêté », raconte-t-il. « Puis la police aux frontières a pris le relais »Mariam Abou Daqqa est désormais assignée à résidence pour une durée de 45 jours dans le département des Bouches-du-Rhône. Elle a pour obligation de se présenter à 12h30 tous les jours au commissariat de Noailles à Marseille, et de ne pas quitter son hôtel entre 22 heures et 7 heures, indique sa notification d’assignation à résidence, signée par la sous-préfète, que nous avons pu consulter. 

L’Actu des oublié.es : Israël / Palestine, relier les luttes

Son visa lui a été retiré, indique l’arrêté d’expulsion, émis, lui, par le ministre de l’Intérieur. La liste des motifs (que nous avons pu consulter également), est longue. Entre autres : « le 7 octobre 2023, une attaque de grande ampleur a été menée par le Hamas (…) le jour même, Mme Mariam Abudaqa était présente à une conférence intitulée “Occupation, oppression, blocus ! Résister à Gaza” qui s’est tenue à Saint-Étienne »

Plus loin, on trouve des références à l’attaque terroriste du vendredi 13 octobre à Arras, mais aussi aux représailles d’Israël à Gaza. Le tout pour dépeindre un cadre de tensions dans lequel « le maintien des conférences de Mme Mariam Abudaqa (…) est de nature à entraîner de graves tensions » entre communautés. « La présence de l’intéressée représente une menace grave pour l’ordre public », conclut l’Intérieur.

La militante a saisi le tribunal administratif pour tenter de faire annuler ces arrêtés. « Je viens de perdre 29 membres de ma famille dans les bombardements israéliens sur Gaza », témoigne-t-elle auprès de l’Humanité. « Ma maison a été détruite. Mais le discours que je porte ne s’en prend à personne ». La possibilité concrète de son expulsion « en urgence absolue », comme l’exige l’Intérieur, pose aussi question : l’expulser, mais comment ? Et vers où ? Vers Gaza, à l’heure actuelle ? 

 

Gérald Darmanin accuse d’« apologie du terrorisme » 

 

Au-delà des arrestations, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé lundi 16 octobre avoir effectué onze saisines du procureur de la République pour « apologie du terrorisme ». Pour l’heure, seuls le collectif Palestine Vaincra, le comité Action Palestine, mais aussi le Parti des Indigènes de la République, ont été nommément visés.

Le collectif Palestine Vaincra avait déjà été la cible d’une procédure de dissolution engagée par le gouvernement en mars 2022, de même que le Comité Action Palestine. « C’est un acharnement politique. Un acharnement disproportionné au regard de ce que l’on fait et ce que l’on est », soupire Tom Martin, en rappelant que son collectif tient des stands lors des manifestations et organise des événements uniquement sur Toulouse. 

Le juge des référés du Conseil d’État avait mis à l’arrêt ces velléités de l’Intérieur en suspendant, en avril 2022, ces deux dissolutions. Avec des arguments qui font écho aujourd’hui : « ni l’instruction, ni l’audience n’ont permis d’établir que les prises de position de ces associations, bien que tranchées voire virulentes, constituaient un appel à la discrimination, à la haine ou à la violence ou des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme. » L’audience au fond n’a pas encore eu lieu : elle devrait se tenir dans quelques mois.

 

Mise au ban de personnalités et partis politiques soutenant la Palestine

 

Mais ce lundi, le ministre de l’Intérieur a aussi demandé à ce qu’un travail soit fait sur de nouvelles procédures de dissolution. Là encore, on ne sait pas qui est visé précisément. « Ils savent que tout cela ne tiendra pas le coup. Mais pour l’Intérieur, le but est de s’agiter, de rouler des mécaniques, de communiquer », estime Christine Poupin.

Des partis politiques sont aussi attaqués, en premier lieu le NPA, mais aussi LFI. Le député de Renaissance Mathieu Lefèvre a affirmé sur CNEWS que « la question de la dissolution [du NPA] se posait » suite à un communiqué publié le 7 octobre. Pour l’heure, le NPA n’a pas été notifié d’une telle décision, mais reste sur ses gardes. 

Ce mardi 17 octobre, Gérald Darmanin a annoncé saisir le procureur de la République pour « apologie du terrorisme » contre la députée LFI Danièle Obono. Le matin même, celle-ci avait défini sur Sud Radio le Hamas comme « un groupe politique islamiste qui a une branche armée et qui s’inscrit dans les formations politiques palestiniennes », et déclaré qu’il s’agissait ainsi d’« un mouvement de résistance qui résiste à une occupation et qui se définit comme tel ». 

Une semaine auparavant, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti avait exigé de son côté une réponse pénale « ferme et rapide » face aux délits d’ « apologie du terrorisme », dans une circulaire aux procureurs.

 

Une « radicalisation de la politique répressive » au-delà des mobilisations pour la Palestine

 

 

« Il y a une radicalisation de la politique répressive des autorités françaises assez évidente, mais qui n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein », retrace Tom Martin de Palestine Vaincra. « On le constate depuis un certain temps, pas que sur la question palestinienne : répression du mouvement écologiste avec les Soulèvements de la Terre, répression du mouvement contre la réforme des retraites, tentative de dissolution de La Gale… Ces atteintes à la liberté d’expression et d’associations concernent tout le monde. Toutes les personnes soucieuses de garantir un minimum de liberté démocratique », insiste le militant. 

Comment y répondre ? À Toulouse le 13 octobre, le collectif Palestine Vaincra était présent au sein de la manifestation intersyndicale. « Laccueil a été très chaleureux, parce que l’on fait un travail local avec les syndicats depuis des années. C’est encourageant », croit Tom Martin. « On peut avoir beaucoup de points communs sur les questions de libertés de manifestation et d’expression. C’est le fond commun de toute la gauche », abonde Christine Poupin. 

En attendant de construire un front plus uni, « on en train de faire face à la fois à cette vague répressive ici ; et à quelque chose d’hyper violent à Gaza avec une dynamique génocidaire », soupire Monira Moon. « On est sous l’eau. Mais on s’organise. »