Depuis une semaine, les blocages d’universités se multiplient. Au sein des facs comme dans la rue, les étudiants enchaînent les actions contre la réforme des retraites. Le 49.3 a réveillé un mouvement jusque-là endormi.
« C’était la première fois depuis plus de 15 ans ». Mercredi 15 mars, le blocage de l’Université de Versailles-Saint-Quentin apparaissait comme un symbole supplémentaire de l’envolée de la mobilisation étudiante contre la réforme des retraites. « La dernière fois, c’était pour le CPE », explique Grégoire Schumacher, secrétaire général de l’Union des Étudiant·e·s des Yvelines.
Le mardi 21 mars, les étudiants ont de nouveau bloqué le site saint-quentinois de leur université. Jusqu’à maintenant, cette université était « historiquement peu mobilisée », reconnaît Grégoire Schumacher. « Les étudiants sont totalement contre [la réforme] mais avaient des difficultés à franchir ce pas-là. Mais maintenant qu’ils se mettent dessus, ils sont très impliqués », souligne le responsable syndical.
Le même jour, une effervescence similaire a gagné les étudiants de Paris-Dauphine, peu habitués aux grands élans de mobilisation étudiante, où un blocage de l’université a été voté lors d’une assemblée générale ayant réuni 200 personnes. La date précise du blocage doit encore être fixée – mais celui-ci aura vraisemblablement lieu le mercredi ou le jeudi. Luc Fournial, président de l’Unef Paris Dauphine, est déjà ravi : « étant donné que ça n’a jamais réussi, si on arrive à tenir une demi-journée, cela serait déjà énorme ».
En retard, mais enfin mobilisés
Ce 21 mars, une cinquantaine d’établissements universitaires étaient occupés ou bloqués. « Nous venons de dépasser la centaine d’établissements différents mobilisés depuis le début du mouvement », nous indique le syndicat L’Alternative. À Paris, Caen, Grenoble, Rennes ou Mulhouse, des universités étaient ainsi bloquées, et des occupations de bâtiments universitaires avaient lieu dans de nombreuses autres villes.
Jusqu’à maintenant, la mobilisation étudiante peinait à atteindre l’ampleur qu’elle avait pu avoir lors de précédents mouvements sociaux, comme celui contre la loi Travail en 2016. Un paradoxe alors que le mouvement contre la réforme des retraites a été massif dans de nombreux autres secteurs de la société. « Il y a eu toute une phase de préparation du terrain qui prend du temps. Et ensuite, il y a eu une phase durant laquelle on attendait en se regardant. Il fallait créer des cadres pour s’organiser », explique Grégoire Schumacher. Mais désormais, assure le syndicaliste, « le 49.3 a rebattu les cartes ». « Le nombre attire le nombre. Quand on voit des gens bloquer, on a envie de rejoindre. J’ai bon espoir que ça continue », assure-t-il. Un diagnostic partagé par Luc Fournial : « la montée en motivation s’explique par le passage en force du gouvernement », confirme-t-il.
Des étudiants solidaires avec les salariés
Loin de se cantonner aux enceintes de leurs universités respectives, les étudiants mutualisent leurs forces. Dimanche dernier, une coordination nationale étudiante (CNE) a réuni une quarantaine de représentants d’AG, partout en France. Deux dates de mobilisation ont été votées : le mardi 21 et le jeudi 23 mars. « On voulait suivre l’annonce du vote de la motion de censure et montrer que la jeunesse pouvait jouer un rôle. On ne voulait pas attendre la journée de jeudi [ndlr : fixée par l’intersyndicale] ».
Les étudiants mobilisés contre la réforme n’oublient d’ailleurs pas les autres secteurs en lutte. « C’est très important d’avoir [les CNE] pour discuter même si concrètement, c’est au niveau local que ça se joue », assure Grégoire Schumacher. Les étudiants de l’Université de Versailles-Saint-Quentin ont ainsi participé à des actions « péages gratuits » et à un envahissement d’une voie de chemin de fer de Versailles, en coordination avec la CGT Cheminots. À Paris, les étudiants ont lancé une manifestation depuis l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine, le mardi 21 mars.
Répression du mouvement
Pour l’instant, l’acmé du mouvement étudiant semble avoir été atteint sur le campus de Tolbiac. Le lundi 21 mars, plus de 1 000 personnes étaient présentes en AG pour voter le blocage. Mais très vite l’ambiance s’est tendue. De très nombreux cars de CRS ont encerclé le campus. L’occupation a ainsi été levée aux alentours de 23 h. « Il y avait une inquiétude vis-à-vis de possibles interventions policières ou de l’extrême-droite », indique L’Alternative.
Inimaginable il y a encore une quinzaine d’années, l’intervention de la police sur les campus est désormais presque monnaie courante. Jusque-là, la « franchise universitaire » protégeait les étudiants en soumettant l’intervention de la police à une demande de la présidence de l’université. Si pendant longtemps, les présidents d’université étaient réticents à laisser entre la police sur leur campus, cette prudence semble avoir volé en éclats, depuis la mobilisation contre la loi Travail, en 2016, et lors des mouvements qui ont suivi. En janvier 2023, près d’une trentaine d’étudiants de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) étaient placés en garde à vue après avoir occupé un bâtiment du campus Condorcet, à Aubervilliers.
Mais au-delà de l’intervention de la police, les universités recourent de plus en plus à une autre méthode, plus subtile, pour contrer les blocages : les cours à distanciel. « Cela casse complètement la mobilisation étudiante, s’agace Grégoire Schumacher. Même pour d’autres secteurs comme les cheminots, cela réduit l’impact de leur grève ». Expérimenté pendant la crise sanitaire du Covid-19, l’enseignement à distance est désormais utilisé pour diminuer l’impact des mobilisations étudiantes. Pourtant, l’usage des cours en distanciel pour pallier un blocage d’université semble pour le moins contestable sur le plan juridique, voire illégal, comme le rappelle le blog spécialisé Academia. Ses modalités doivent notamment avoir été approuvées en conseil académique, une instance regroupant notamment des enseignants-chercheurs et des étudiants.
Les étudiants ne paraissent en tout cas pas prêts d’arrêter de s’impliquer dans le mouvement. Dans la nuit de lundi à mardi, les manifestations spontanées dans les rues parisiennes étaient majoritairement composées de jeunes. Une nouvelle coordination nationale étudiante aura lieu les 25 et 26 mars, à Grenoble, pour organiser la suite de la mobilisation.
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