Lancés mi-avril sur les campus états-uniens, les occupations, blocages et protestations en solidarité avec le peuple palestinien ont gagné les universités françaises. Aux États-Unis comme en France, les étudiants font face à une répression violente. Malgré tout, le mouvement étudiant se renforce et ressemble de plus en plus à celui qu’a connu les États-Unis dans les années 60 contre la guerre du Vietnam.
«Extrémisme», «antisémitisme», «dogmatisme», pendant 25 minutes, jeudi 2 mai, les invités du grand entretien de la matinale de France Inter se sont livrés à une analyse du mouvement qui agite Science-Po Paris et les IEP un peu partout en France. Grands absents de cette séquence, les étudiants eux-mêmes, qu’on préfère imaginer «instrumentalisé par la France Insoumise», plutôt qu’animés par leurs propres convictions politiques. Un paternalisme symptomatique de la presse dominante lorsqu’il est question des mouvements étudiants, qui reflètent en même temps le climat répressif qui sévit sur les plateaux de télévision et dans la rue à l’encontre de quiconque manifeste son soutien à la cause palestinienne. Alors que les campus états-uniens sont en ébullition, cette semaine aura aussi vu les écoles et les universités françaises se lever pour dénoncer les massacres à Gaza, où 35 000 personnes sont mortes depuis le début de l’offensive Israélienne en octobre dernier. États des lieux d’un mouvement étudiant international inédit qui, face à la répression, n’a pas dit son dernier mot.
Après Science Po Paris, la mobilisation s’étend à toute la France
Si le blocage de Science Po Paris a retenu une grande partie de l’attention médiatique, le mouvement étudiant de solidarité avec la Palestine concerne en réalité de nombreux établissements d’enseignement supérieur à travers toute la France. Saint-Étienne, Bordeaux, Strasbourg, Rennes, Menton, Lille, les blocages et les manifestations se sont enchaînés tout au long de la semaine.
Mardi 30 avril en fin de journée, des étudiants ont convergé vers l’IEP de Bordeaux pour y établir une occupation. «Le comité de mobilisation de Sciences Po nous a demandé notre appui en tant qu’Union étudiante pour organiser l’occupation de ce soir. Donc évidemment on est là», raconte Yanis, secrétaire général de l’Union étudiante de Bordeaux. Malgré une occupation de courte durée, anticipée par l’administration de l’école, les étudiants mobilisés ont pu ressortir de l’établissement avec la promesse d’une rencontre avec la direction et l’intention de poursuivre le mouvement.
L’IEP de Strasbourg a aussi été bloquée ce mardi, tout comme celui de Rennes ou de Menton. Des occupations parfois symboliques de quelques heures, comme à Strasbourg, parfois réprimés par les CRS, comme à Rennes, ces mouvements montrent la capacité des étudiants d’IEP à se coordonner entre leurs différents établissements à travers la France. « On a décidé d’une date commune en coordination avec les camarades des autres villes de Science-Po, des IEP et de certaines universités », explique Rayyân, étudiant à Strasbourg.
Surtout, les IEP sont devenues cette semaine des lieux de convergences du mouvement étudiants, qui déborde Science-Po et ses antennes locales. L’occupation de l’IEP de Rennes a été décidée lors d’une AG, qui a réuni une centaine d’étudiants de différentes universités et de l’IEP. «Pour nous, ce qui s’est passé à Science Po Paris a été un déclencheur, explique Juliette, étudiante à Rennes 2 et présente à l’occupation mardi. Car tout ça, c’est très inquiétant : on ne peut plus tenir un message de paix dans les institutions de l’enseignement supérieur, sans que tout de suite ça affole les administrations !», souligne-t-elle.
Yasmine, qui a participé à l’occupation de la Sorbonne mardi 30 avril, se réjouit de voir ce mouvement étudiant prendre de l’ampleur : «tous les étudiants commencent à s’intéresser à ces comités Palestine et veulent nous rejoindre. On reçoit énormément de demandes, et je trouve ça magnifique, tous ces gens qui prennent conscience qu’il y a un problème en Palestine et que ce n’est pas “juste” quelque chose qui est dans l’actualité internationale». Jeudi matin, Lille a rejoint le mouvement, avec l’occupation de l’école de journalisme (ESJ Lille) et de l’IEP. L’université Tolbiac est aussi occupée depuis jeudi midi, tout comme Paris 8 ou le campus Jourdan de l’ENS.
Un climat de suspicion et de censure
Accéléré par l’occupation de Science Po Paris, le mouvement étudiant pour la Palestine ne date pas d’hier. Cela fait plusieurs mois que les universités bouillonnent au rythme des événements en Israël/Palestine, où la lutte et les revendications on pu se construire peu à peu, malgré les pressions des administrations. Après l’expulsion de Science-Po Paris par la police mardi, les étudiants pensaient avoir arraché une victoire : l’école s’était engagée à revoir ses liens avec des universités israéliennes, la revendication principale des étudiants. Jeudi, la direction a pourtant refusé de remettre en cause ces partenariats. En réponse, les étudiants ont déclenché une grève de la faim et on reprit l’occupation. Une revendication que l’on retrouve aussi devant les portes de l’IEP de Rennes : « On demande de la fin partenariat de Science-Po avec l’entreprise Thalès, complice du génocide », pointe Juliette. Partout, les universités sont appelées à se positionner et à agir à leur échelle pour faire pression sur les État français et israélien.
Autre revendication, celle de pouvoir s’exprimer librement sur les campus. Car tous les étudiants interrogés soulèvent un climat de censure et de pression, qui empêche tout débat ou discussion depuis des mois sur ce qu’il se passe à Gaza. Un climat pesant, construit autour d’annulation de conférences et de refus de mise à disposition de salle pour organiser des rencontres ou des discussions. « La question de l’espace de débat a toujours été compliquée à Science Po Strasbourg. Rien qu’avoir un espace propre pour les personnes qui voulaient se mobiliser était compliqué », souligne Rayyân. Même son de cloche à Saint-Étienne, dont l’IEP a été occupée mardi 30 avril : « Avec les collectifs étudiants et BDS on faisait régulièrement des interventions à la fac ; mais ça depuis quelques années c’est devenu impossible. C’est devenu très difficile d’avoir des salles, alors même que ce sont des syndicats étudiants qui en font la demande», s’indigne Monira Moon, animatrice du mouvement BDS à Saint-Étienne.
Des interdictions perçues par les étudiants comme autant d’injonctions à se taire face aux massacres en Palestine. « On fait face à un refus de diffuser une parole autre que celle que l’on entend dans les médias mainstream », soutient Juliette de Rennes II.
Face aux revendications des étudiants, les matraques et le mépris
À la porte d’entrée de Sorbonne Université, des dizaines d’étudiants tiennent un sit-in, ce lundi 30 avril, à midi. Devant eux, derrière eux : des gendarmes, accompagnés de policiers cagoulés. La nasse formée par les forces de l’ordre sépare en deux les jeunes venus apporter leur soutien à l’occupation de l’université, tenu par une centaine d’étudiants, à l’intérieur, sous forme d’un petit campement. Dehors au micro, un étudiant annonce l’arrivée de huit fourgons supplémentaires : « honte à eux ! Les étudiants ne sont pas des criminels : ils dénoncent un génocide. On est du bon côté de l’histoire et ils veulent nous réprimander ».
L’occupation aura duré à peine trois heures. Anticipant l’arrivée des forces de l’ordre pour les déloger, « on était une soixantaine à vouloir poursuivre l’occupation, dont au moins trente en restant dans nos tentes », raconte Yasmine, une des occupantes. « Ceux qui sont restés dans les tentes ont été sortis assez violemment par la police. Moi, j’ai été traînée dans le couloir, alors que je leur ai dit que je pouvais marcher… » Pendant que Yasmine raconte, les centaines de soutiens déploient un immense drapeau palestinien, taché d’un rouge sang par endroits, sur la longueur de la place de la Sorbonne. « Quand la police nous a sorti, avant d’arriver jusqu’ici, on a été nassé à plusieurs endroits. Avec fouille, contrôle d’identité. Tout ça, ça doit être dénoncé ». Des scènes de violences qui se sont répétées tout au long de la semaine, à Lille vendredi matin, où la police a chargé sur les étudiants qui bloque l’IEP et à Saint-Étienne, où la police est intervenue pour déloger les occupants de l’université Jean Monet.
Autre forme de répression, lundi 29 avril, la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, affirmait vouloir couper toute subvention à Science-Po Paris, « tant que la sérénité et la sécurité ne seront pas rétablies dans l’école ». « Une minorité de radicalisés appelant à la haine antisémite et instrumentalisée par la LFI et ses alliés islamo-gauchistes ne peuvent pas dicter leur loi à l’ensemble de la communauté éducative », a-t-elle écrit sur son compte Twitter dans une saillie autoritaire aux relents extrêmes droitiers.
Aux États-Unis comme en France, un même schéma répressif s’installe
Le mouvement étudiant français s’inscrit dans la droite ligne de ce qu’il se passe sur les campus états-uniens. Depuis le premier campement monté à l’université de Columbia mi-avril, les universités d’Harvard, d’Austin, de Californie du Sud ou de Yale ont emboité le pas. Les étudiants exigent que leurs universités, dotées de fonds de parfois plusieurs milliards de dollars, cessent tout lien académique ou financier avec Israël. Après deux semaines de mobilisation, la répression bat son plein sur les campus. « Mercredi dernier, l’université a envoyé des policiers armés dans ce campement. Ils ont arrêté près de cent personnes. La majorité des étudiants ; mais aussi des professeurs », raconte Ben Ratskoff, professeur d’histoire et de culture juive à l’Université de Californie du Sud. « Très violente », l’intervention de la police s’est déroulée en dehors de tout cadre légal, souligne le professeur, pour qui cette situation lui rappelle la répression qui s’était abattue sur le mouvement étudiant contre la guerre au Vietnam, dans les années 60.
Aux États-Unis, comme en France, les accusations d’antisémitisme sont régulièrement utilisées pour justifier la criminalisation du mouvement, à l’instar de Valérie Pecresse. Les mains peintes en rouge des étudiants de Science Po, symbole régulièrement utilisé pour dénoncer les violences policières ou militaires, avaient été comparées à la photo d’un Palestinien, les mains rouges de sang après avoir lynché à mort deux soldats israéliens en 2001. Sur les campus états-uniens, la même logique de criminalisation est à l’œuvre, soulève Ben Ratskoff : « ce qui revient beaucoup, c’est l’idée de la “sécurité juive” : l’idée que le mouvement est dangereux pour les personnes juives, pour les employés juifs de la fac ; dans ce cas, ils utilisent cette idée d’antisémitisme, pour criminaliser ces mouvements. Mais ce qu’il manque, dans ce discours, c’est de dire qu’il y a beaucoup d’étudiants juifs qui se mobilisent avec eux. Les organisations juives de gauche, comme Jewish Voice for Peace ou Jews United for Justice, sont au centre du militantisme pro-palestinien ».
En même temps qu’il est réprimé, le mouvement étudiant, en France ou aux États-Unis, continue pourtant de s’étendre. Face à un gouvernement qui perçoit ce mouvement comme « une minorité agitée par des forces politiques notamment LFI », selon les mots du Premier ministre Gabriel Attal, les étudiants mobilisés défendent « l’expression d‘une jeunesse, dans sa diversité », rétorque Yanis, étudiant à Bordeaux, horrifié par la réponse sécuritaire et méprisante face à un mouvement qui réclame simplement la paix : « il y a un tournant qui est pris par le gouvernement qui est tout à fait glaçant : on est dans la criminalisation d’un mouvement étudiant qui agit de manière pacifique, sans haine, avec un seul mot d’ordre : cessez-le-feu, paix et stop au génocide ».
Tandis que rien ne semble faire infléchir Israël et ses alliés, le mouvement étudiant donne un second souffle au mouvement de solidarité pour la Palestine qui s’exprime depuis octobre dernier : «Cette répression fait aussi en sorte que la mobilisation s’élargit énormément», soulève Monira Moon.
Maïa Courtois et Simon Mauvieux
Crédit photo de l’occupation à Strasbourg : l’Union étudiante
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