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Associations : contrer les dérives du contrat d’engagement républicain

Créé par la loi « séparatisme », le contrat d’engagement républicain tend à devenir, dans les mains de certaines préfectures et collectivités, un outil de répression des associations. Au nom de ce contrat, les menaces de retraits de subventions se multiplient. La question des recours est posée : des tribunaux administratifs au Conseil d’État, qui posera des limites aux dérives ? 

 

Ce 13 février, la ville de Poitiers a déposé son mémoire de défense au tribunal administratif de Poitiers. La préfecture de la Vienne, dirigée par Jean-Marie Girier, ex-directeur de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, l’y a traînée. Au coeur du litige : le contrat d’engagement républicain.

Rembobinons. En septembre 2022, l’association écologiste Alternatiba Poitiers organise un Village des Alternatives. L’évenement est terni par l’intervention du préfet de la Vienne : celui-ci exige que la Ville et à la communauté urbaine retirent leurs subventions (respectivement 10 000 et 5 000 euros) à l’association. En cause ? Des ateliers de désobéissance civile doivent s’y tenir. Or, ces ateliers « inciteraient à un refus assumé et public de respecter les lois et règlements », écrit alors le préfet de la Vienne. Ils sont jugés incompatibles avec le contrat d’engagement républicain, signé entre l’association et les collectivités.

La mairie et la communauté urbaine, à la tête desquelles siège l’élue écologiste Léonor Moncond’huy, ont refusé de retirer leurs subventions. « La République, ce n’est pas n’importe quoi, n’importe où, avec l’argent public », a réagi le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le 20 septembre devant la commission des lois, en soutien à Jean-Marie Girier.

Ces contrats d’engagement républicain ont été introduits par la loi « confortant le respect des principes de la République », dite loi Séparatisme, adoptée le 24 août 2021. Le décret d’application définissant le cadre de ces contrats est entré en vigueur au 1er janvier 2022. Il impose aux associations sollicitant des subventions de n’«inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public». Sauf que la marge d’interprétation est large.

 

Dérives propres au contrat d’engagement républicain

 

Au-delà de leur multiplication, certains exemples interpellent sur les dérives de la loi. D’abord, l’étendue de son champ d’application n’est pas claire. En décembre 2022, la maison régionale de l’environnement et des solidarités (MRES) de Lille, qui héberge près de 130 associations chaque année, est convoquée par la préfecture. Motif ? Elle a prêté une salle au collectif « Non à l’agrandissement de l’aéroport de Lille Lesquin », dont les actions reposent sur la désobéissance civile. Elle écope d’un rappel à l’ordre.

Or, ce collectif n’est pas une association agréée ni subventionnée : il n’a donc signé aucun contrat d’engagement républicain. Mais la préfecture a considéré que c’est la MRES qui allait à l’encontre du contrat, rien qu’en prêtant une salle à ce collectif. « La question posée est donc : qui est responsable ? Cela crée des tensions entre associations et promeut le contrôle plutôt que la coopération », déplore Claire Thoury.

Autre très grande marge d’interprétation : les motifs retenus. En février 2022, le Planning Familial de Châlons-sur-Saône organisait un rassemblement pour promouvoir les droits des femmes, place de l’Hôtel de Ville à Châlons. Pour assurer la promotion de l’événement, le Planning avait diffusé et collé des affiches dans la ville. Sur l’une d’elles figurait une femme voilée. Pour cette seule image, considérant qu’il s’agissait là d’une atteinte au principe de laïcité et d’égalité hommes-femmes, le maire de Châlons a décidé de retirer les subventions au Planning, au nom du contrat d’engagement républicain.

 

Les associations en attente de la décision du Conseil d’État

 

Le Planning a attaqué la décision au tribunal administratif de Dijon, qui lui a donné raison. L’affaire a été ensuite portée au Conseil d’État. Celui-ci a validé la décision du TA, et annulé le retrait des subventions souhaité par la mairie. L’importance du Conseil d’État est là : il peut poser certaines limites, et créer une jurisprudence sur le sujet.

C’est tout l’enjeu du recours formulé au Conseil d’État contre le décret d’application de la loi, par 25 organisations (parmi lesquelles Transparency International, France Nature Environnement, Greenpeace…). Ce recours poursuit son chemin, depuis son dépôt le 1er mars 2022. « On attend le mémoire en défense du ministère. On devrait avoir une décision d’ici la fin de l’année », indique Patrice Spinosi, avocat des organisations requérantes. « Nous attendons du Conseil d’État un certain nombre de précisions, de garanties octroyées aux associations ».

Entre ces deux audiences à venir, celle du tribunal administratif de Poitiers et celle du Conseil d’État, l’avocat voit une complémentarité. « L’un est un recours général concernant le décret ; l’autre concerne un cas d’espèce. L’un inspire l’autre. Il est question de liberté des associations, mais aussi de liberté d’administration des collectivités », explicite-t-il. « Le but de tout ça, c’est d’éviter qu’il y ait des abus ».

L’audience du tribunal administratif devrait avoir lieu également vers la fin de l’année. Mais il est probable que le TA audiencera l’affaire après la décision du Conseil d’État, afin de s’appuyer sur ses arguments, indique Patrick Spinosi.

 

Veiller à la liberté des associations

 

En attendant, le risque de voir des associations s’autocensurer « pour éviter de déplaire à leurs financeurs par crainte de perdre des subventions, de mettre à mal leurs activités et/ou par manque de moyens juridiques est grand », décrypte Le Mouvement Associatif dans un récent bilan sur l’impact de la loi.

Autre risque : que certaines collectivités créent leurs propres versions du contrat d’engagement républicain. C’est déjà le cas de l’Auvergne-Rhône-Alpes de Laurent Wauquiez, appliquant depuis mars 2022 une version renforcée sur des aspects de « laïcité » et de « neutralité ». Contraindre les associations à appliquer un principe de neutralité dans leurs actions, « tel que cela s’impose aux services publics, est parfaitement contraire au principe d’indépendance des associations et au droit », rappelle le Mouvement Associatif.

« On doit pouvoir avoir des subventions publiques y compris pour des actions politiques. C’est essentiel au bon fonctionnement démocratique, au pluralisme, et il nous semble que c’est à l’Etat de garantir cela. L’Etat est dans l’obligation de veiller à la liberté des associations », soutient Claire Thoury, la présidente du Mouvement Associatif.

Avant la loi Séparatisme, il existait une charte des engagements réciproques entre les associations et les collectivités. L’autorité judiciaire pouvait intervenir avec les leviers habituels en cas de litiges : diffamation, injures, incitation à la haine… La création des contrats d’engagement républicain ​​« ajoute en fait une couche de contrôle de l’État sur les collectivités », explique Nathalie Tehio, avocate et membre du bureau national de la Ligue des droits de l’Homme, à Reporterre. « C’est une mainmise de l’État sur la distribution des subventions, donc sur la politique de la ville défendue à travers les choix de soutien à certaines associations. »

« L’État n’a pas le monopole des principes républicains ; c’est aussi le cas des collectivités et des associations », conclut aujourd’hui Claire Thoury. Là où la loi de 1901 est « une grande loi basée sur la confiance, le contrat d’engagement républicain se base sur la défiance. Reste que si les associations ne peuvent exercer librement, cela a des conséquences concrètes sur la vie des gens. »