La généralisation de l’usage des drones par la police fera son retour sous une forme vaguement réécrite dans le projet de loi sur l’irresponsabilité pénale à la mi-septembre. Ainsi que d’autres mesures. À ce propos, nous avons interrogé Arié Alimi, avocat, membre de la Ligue des droits de l’homme et auteur du livre « Le Coup d’État d’urgence ».
Certaines des dispositions de la loi sur la sécurité globale ont été censurées, mais le gouvernement veut les réintroduire. Pouvez-vous expliquer lesquelles et comment ?
Quoi que l’on puisse en penser en regardant le verre à moitié vide ou à moitié plein et compte tenu de l’expérience des mobilisations sociales contre les textes liberticides, cette mobilisation et la décision du Conseil Constitutionnel sont une victoire pour le camp de la liberté et du mouvement social. Pas totale, mais une victoire néanmoins. Le problème est que l’on se rend compte que ces victoires sont souvent des victoires temporaires. La preuve en est de la résurgence, très peu de temps après, de certaines dispositions qui ont été censurées.
Sur l’article 24 [interdiction de filmer des policiers pendant leurs interventions – NDLR] de la loi sur la sécurité globale, on peut se satisfaire qu’il ne soit pas remis pour l’instant dans le prochain projet de loi, même s’il pourrait revenir par la voie d’amendements. En revanche, une des dispositions les plus liberticides, l’instauration du système de drones et de caméras aéroportées qui va amplifier largement la surveillance de masse et le contrôle social, est remis au Parlement par l’intermédiaire de cette nouvelle loi « responsabilité pénale et sécurité intérieure ». C’est une loi qui comme d’habitude vient à la suite d’un fait divers particulièrement choquant, à savoir le meurtre de Sarah Halimi et la décision de la chambre de l’instruction de considérer que la personne est irresponsable pénalement. C’est un nouveau texte pour restreindre les cas d’irresponsabilité pénale.
Le problème, c’est qu’on en fait une loi fourre-tout. On nous remet des mesures sécuritaires comme les drones qui avaient été censurés, une augmentation supplémentaire des transferts des pouvoirs de la police nationale vers la sécurité privée, ainsi qu’un grand nombre de dispositions qui n’étaient pas prévues antérieurement. Donc : une nouvelle loi fourre-tout pour essayer de faire passer ce qui a été retoqué par le Conseil Constitutionnel.
Quel est le calendrier de ce nouveau projet de loi au Parlement et est-il possible de faire voter des articles censurés quelques mois plus tôt ?
Il a déjà été déposé au bureau de l’Assemblée nationale en juillet et la première audition publique du ministre aura lieu le 14 ou 15 septembre. Rien ne s’oppose à présenter de nouveau ces dispositions. Ils ne les remettent pas de la même manière et ont prévu une étude d’impact. Il faut bien préciser que le premier texte porté par Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot émanait de parlementaires. Il n’y avait donc pas d’obligation de faire des études d’impact. Là, c’est un projet de loi pour laquelle une étude d’impact est nécessaire. Ils avancent de façon moins masquée.
Il n’y a pas d’interdiction légale ou constitutionnelle de revoter un texte qui a déjà été censuré, sous réserve qu’il n’y ait pas une nouvelle censure. Et pour cela, il faut écrire différemment le texte, sans quoi avec une rédaction identique, il y aura une nouvelle censure. Donc, ils ont essayé de rédiger différemment. Un nouveau texte va remplacer symboliquement les interdictions de filmer les fonctionnaires de police en sanctionnant plus sévèrement certaines violences contre les policiers. Le Conseil d’État a déjà été saisi et estime que cela rend totalement illisible le Code pénal en ajoutant des couches et des couches de nouvelles infractions n’ayant aucune objectivité légale ou pénale. Elles ont juste pour vocation de plaire à une certaine clientèle pour le gouvernement. Là, les policiers. Cela va compliquer le travail des juges et des avocats.
Les réseaux qui s’étaient mobilisés contre la loi sur la sécurité globale vont-ils se remobiliser à la rentrée ?
Nous sommes en train de travailler à cela. Cette fois, nous allons préparer la mobilisation juridique, utilisée à la fin des manifestations contre la loi sur la sécurité globale, en même temps qu’une mobilisation politique. On se rend compte qu’il faut articuler les deux.
La coordination contre la loi sécurité globale était très variée. Il y avait des syndicats et sociétés de journalistes au départ, mais à la fin nous nous sommes retrouvés avec 90 associations dans la coordination. Je ne peux pas vous dire aujourd’hui qui s’impliquera dans cette mobilisation ni si elle aboutira, mais nous sommes en train de mettre cela en œuvre. Et c’est toute la problématique des mouvements sociaux et des rapports de force : l’État a le temps devant lui. Il peut revenir après un échec en comptant sur l’épuisement et le fonctionnement psychologique qui consiste à ne pas croire que l’on puisse gagner deux fois sur la même chose. Nous allons essayer de ne pas tomber dans cet écueil et revenir aussi fort que la première fois.
Pour vous, dans quel contexte politique ce nouveau projet de loi s’inscrit-il ?
Nous assistons depuis une vingtaine d’années au remplacement du droit commun par un droit d’exception. On peut l’observer en matière pénale, en matière administrative avec un transfert de compétences du juge judiciaire vers le juge administratif ou avec un renforcement des pouvoirs de l’exécutif et de la police. Cette loi ne fait que surajouter et confirmer le mouvement de restriction progressive des libertés. C’est un mouvement qui se nourrit de lui-même. D’abord parce qu’il y a une volonté du pouvoir politique qui est fragile de tenir la population dans un moment de crise importante et de contestation sociale lourde. Le seul moyen de tenir la population, c’est de restreindre sa liberté, notamment de contestation sociale. Pour le droit de manifester, on l’a vu avec les lois anticasseurs, avec des pratiques (gaz lacrymogènes, violences policières), avec l’utilisation de drones alors que c’est illégal, avec les interpellations massives pendant le mouvement des gilets jaunes et dans d’autres mouvements.
De plus, l’État d’urgence sécuritaire et l’État d’urgence sanitaire changent le paradigme du principe de liberté, notamment de la liberté de manifester, d’aller dans un café ou de se réunir. Les libertés collectives et individuelles deviennent quasiment soumises à un régime d’autorisation. Pendant le confinement, il a fallu l’intervention du Conseil d’État et du juge administratif lors de la marche des libertés le 28 novembre où nous avions eu une interdiction de manifester. Nous avions réussi judiciairement à faire annuler par le juge administratif la décision du préfet, mais on se rend compte que les interdictions de manifester se sont généralisées sur tout le territoire. Les préfets n’hésitent plus à interdire des manifestations pour tel ou tel motif.
Finalement, le droit de manifester qui était le principe – il n’était pas nécessaire d’obtenir une autorisation – est pratiquement soumis avec l’État d’urgence sanitaire et la pratique des préfets à l’obligation d’obtenir une autorisation avant de manifester. C’est un changement de société. Nous passons d’un régime où le principe c’est la liberté, avec une possibilité d’interdiction, à un régime où le principe est l’absence de liberté, avec une possibilité d’autorisation. La loi dont il est question aujourd’hui s’inscrit dans cette habituation des esprits et dans une confirmation de ce nouveau système qui nous attend.
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