Prides extrême droite

Mois des fiertés : des Prides sous la menace de l’extrême droite

 

Pendant tout le mois de juin, des marches des fiertés LGBTI ont eu lieu partout en France. Ces manifestations sont particulièrement ciblées par l’extrême droite, qui a multiplié les menaces en ligne mais aussi les passages à l’acte. A Bordeaux, Montpellier, Besançon ou encore Angers, Prides et rassemblements féministes ont été visés.

 

Cache-cols remontés jusqu’aux yeux, les neufs militants d’extrême droite se sont perchés sur le toit de la maison écocitoyenne, à quelques pas de la Garonne. Certains insultent la foule et jettent des bouteilles en verre sur les manifestant•es de la Pride de Bordeaux. D’autres gardent une main crispée sur un fumigène ou sur la banderole qu’ils sont parvenus à hisser jusqu’en haut : « Protégeons nos enfants, stop folie LGBT ».

L’agression des « fafs* », ce 12 juin, vient clore une marche des fiertés bordelaise de plus de 5000 personnes, déjà émaillée de violences : lettre de menace envoyée aux organisateurs, tags insultants, adolescents qui arrosent des manifestants avec un pistolet à eau rempli de dissolvant ou encore structure métallique d’un char qui s’effondre, faisant 6 blessés dont trois graves. Acculé, le Girofard, association organisatrice de l’événement, annule finalement les concerts qui auraient dû suivre la manifestation.

 

« On ne s’attendait pas à ça à Bordeaux »

 

« On s’attendait pas à ça à Bordeaux. Ça fait des années qu’on est plutôt tranquille côté fachos. Mais là, en quelques mois on a eu une ratonnade, une personne agressée pour port d’un t-shirt antifa, puis cette fameuse banderole au slogan LGBTIphobe en pleine Pride…», énumère Clem de l’Union Communiste Libertaire Bordeaux, présent lors de la manifestation.

Finalement interpellés par la police, les 9 militants d’extrême droite sont relâchés 24 heures plus tard, sans aucune poursuite judiciaire, dans un premier temps. Deux d’entre eux seront finalement déférés le 30 juin suite aux plaintes de la mairie de Bordeaux, du Girofard et de SOS Homophobie et jugés le 23 septembre. L’un pour « injure publique en raison de l’orientation sexuelle », l’autre pour « violence avec arme par destination n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail ».

L’action, habilement mise en scène par les militants, n’a duré que quelques minutes, mais elle est immortalisée par une vidéo diffusée sur Ouest Casual, canal Telegram de propagande identitaire et néonazie qui compte plus de 17 000 membres à travers l’Europe. Elle est signée « Bordeaux Indép’ », un nom utilisé par les militants d’extrême droite locaux afin de revendiquer des actions violentes sur internet.

 

Des Prides de plus en plus visées par l’extrême droite

 

« En France, l’extrême droite s’en prend à tout ce qui ne correspond pas à un homme, blanc hétérosexuel, souvent catholique. Le mouvement LGBT est donc évidemment une cible de longue date », explique Maya Valka, militante du groupe antifasciste Jeune Garde Paris.

Le mois de juin 2022 a cependant été particulièrement marqué par des revendications de violences, publiées sur les réseaux sociaux, notamment sur Ouest Casual. Sur le canal Telegram, près d’une vingtaine de photos de drapeaux LGBT, présentés comme volés, ont été postés lors du seul mois de juin. Les images sont souvent légendées du nom de la ville où aurait été commis le larcin et du slogan provocateur « Good night gay Pride ». Elles incitent les militants à passer à l’acte tout en constituant des menaces qui pèsent sur l’organisation des Prides.

« Toutes ces images ne correspondent pas forcément à une agression ou à un vol à chaque fois. Il faut s’en méfier. Parfois les fascistes ressortent de vieilles photos », continue Maya Valka. Néanmoins la militante note que « lorsque l’extrême droite gagne du terrain, comme c’est les cas en ce moment en France avec l’élection de 89 députés RN, les agressions augmentent. »

Dans le décompte des violences d’extrême droite tenu par Rapports de Force depuis janvier 2021, nous n’avions noté aucune attaque de Pride ou de manifestation LGBT ou féministe, aux mois de mai et juin 2021. Cette année en revanche, l’extrême droite a visé des Prides et des manifestations LGBTI ou féministes, à Bordeaux, mais aussi à Montpellier, Besançon, ou encore Angers.

 

Violences à Montpellier, Besançon et Angers

 

En amont du mois des Fiertés, à Besançon, le 21 mai, la marche contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie a ainsi été l’objet de menaces émanant de militants d’extrême droite. « Vers 15h45, 4-5 d’individus sont sortis du “Kraft” (ndlr : bar mis en cause localement pour ses proximités nationalistes), se remémore un antifasciste local. Ils cherchaient visiblement des cibles précises, mais ont dû se contenter de remonter la manif en balançant des blagues et insultes… avant de repartir, dix minutes plus tard. » Parmi eux, on trouve Théo Giacone, responsable local de la Cocarde étudiante. Le groupe de militants d’extrême droite réapparaît le soir, alors qu’un pot est organisé à la suite de la manifestation, dans un autre bar de la ville. Plus nombreux cette fois : une dizaine. « Là encore, ils étaient en mode recherche et provocation, avant de repartir bredouille en balançant des cris et des insanités », confie la même source.

Rebelote à Montpellier, le 25 juin, alors que 15 000 à 20 000 personnes défilent dans le centre ville de Montpellier, une dizaine d’hommes, dont un militant de Génération Zemmour, connu localement et portant un t-shirt « Ben voyons** », s’infiltrent dans le cortège. Ils sont repérés par des membres de Solidaires étudiant.es 34. « Au départ, ils restaient sur les bords du cortège. Finalement ils se sont approchés de nous, pour tenter de mettre un coup de pression mais nous les avons dégagés. Il n’y a pas eu de violences. En partant, ils ont essayé de voler un drapeau ainsi que des casquettes, mais ils n’y sont pas parvenus. Quand nous sommes rentrés au local, notre boîte aux lettres était cassée », relate Nicolas de Solidaires étudiant.es 34. Même si l’attaque reste moins violente qu’à Bordeaux, la présence de militants d’extrême droite dans ces Prides est inédite. « C’est la première fois que je vois ça à Montpellier. Certains militants se sentent pousser des ailes parce qu’ils sont aussi membres de Jeunesse Saint Roch, les jeunes fafs de Montpellier en lien avec la Ligue du Midi », conclut l’étudiant.

Enfin le 29 juin à Angers, ce n’est pas une manifestation LGBTI qui est cette fois la cible des militants d’extrême droite, mais le mouvement féministe. Le RED (Réseau des étudiants de droite), faux-nez de l’Alvarium, groupuscule identitaire récemment dissous, perturbe un rassemblement d’environ 200 personnes venues réaffirmer le droit à l’IVG. Même procédé qu’à Bordeaux : une banderole provocante comparant l’IVG à la « solution finale », des slogans et des fumigènes.

 

L’extrême droite menace les Prides aussi à l’étranger

 

Les attaques de l’extrême droite sur les mouvements LGBTI et féministe ne se cantonnent pas à la France. A Istanbul, où les marches des fiertés sont interdites depuis 2015, 200 manifestant•es ont été arrêtées fin juin pour avoir participé à la Pride. Aux Etats-Unis, la police américaine a arrêté, le 11 juin, 31 membres d’un groupe d’extrême droite qui planifiaient d’attaquer une Pride organisée dans l’Etat de l’Idaho.

« En Pologne, le gouvernement d’extrême droite au pouvoir fait passer des lois liberticides visant ces minorités. Les attaques de milices se développent. Plus ces personnes sont proches du pouvoir, plus leurs militants se sentent tout permis », conclut Maya Valka de la Jeune Garde.

 

 

*Acronyme de France aux Français. Terme dont s’affuble parfois eux-mêmes les militants d’extrême droite.

**Expression attribuée à Éric Zemmour et portée en étendard par ses militants.

 

Crédit photo : Guillaume Paumier