Ce vendredi matin, Olivier Dussopt a actionné l’article 44-3 de la Constitution pour mettre fin aux débats sur la réforme des retraites au Sénat. Un nouveau coup de force, qui intervient le même matin que la réponse écrite d’Emmanuel Macron à l’intersyndicale.
Quel sens du timing ! « Le débat sur la réforme des retraites est nourri et continue de l’être dans nos instances démocratiques », répondait ce matin le président de la République au courrier de l’intersyndicale, qui lui demandait de prendre la mesure de l’opposition à la réforme des retraites et de recevoir tous les syndicats. Au même moment, au Sénat, son ministre du Travail, Olivier Dussopt, mettait fin aux travaux parlementaires qui auraient dû se terminer dimanche soir : « le gouvernement demande à votre assemblée de se prononcer par un vote unique sur l’ensemble du texte ».
Olivier Dussopt venait d’actionner l’article 44-3 de la Constitution, qui permet de demander un « vote bloqué » sur une partie, voire sur la totalité d’un texte de loi. Le gouvernement n’a pas fait dans la dentelle et requis un seul vote sur l’ensemble du projet. Concrètement, le texte présenté au vote sera conforme à la version initiale du gouvernement, incluant les seuls amendements retenus par ce même gouvernement. Pas tout à fait ce qu’on appelle « un débat nourri ». Et assurément un bras d’honneur au mouvement social en cours, à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation ce samedi 11 mars.
Passage en force un jour, passage en force toujours
Emmanuel Macron et son gouvernement n’en sont pas à leur coup d’essai en matière de passage en force sur le dossier des retraites. Dès la mi-septembre, le chef de l’État laissait planer la menace d’une réforme expédiée en deux mois, à l’occasion des discussions budgétaires de l’automne. S’il s’était ravisé, alors que des mouvements sociaux sur les salaires se multipliaient, c’était pour lancer des concertations, dont l’objet était de donner l’illusion d’une co-construction de la réforme. Et gagner du temps.
La manière dont se sont déroulées les concertations a révélé le peu de sérieux que l’exécutif accordait à cette séquence. Olivier Dussopt n’ayant rien d’autre à présenter ce jour-là qu’un PowerPoint expliquant le contenu du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) à des syndicats qui siègent pourtant dans cette instance. Les deux mois de discussions qui ont suivi ont été sensiblement du même niveau. Les propositions des syndicats sont, pour l’essentiel, restées lettre morte et, du côté du ministère, les intentions étaient souvent vagues ou annoncées préalablement dans la presse.
Finalement, en janvier, nouveau coup de force : le gouvernement décide de ne pas présenter un projet de loi classique. À la place : un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale et l’utilisation de l’article 47-1 de la Constitution. Soit la modification d’un texte budgétaire adopté seulement deux mois plus tôt. Mais surtout, un texte qui présente l’avantage de pouvoir être adopté en 50 jours à peine, de pouvoir utiliser l’article 49-3 de la Constitution sans limite et même de le mettre en œuvre par ordonnances, si d’aventure le Parlement ne le votait pas.
Gouverner c’est mentir
Ainsi, tous les moyens sont bons pour faire passer la réforme. Passer en force au Parlement, certes, mais aussi passer outre l’avis de l’ensemble des syndicats de salariés et de l’opinion publique, très majoritairement hostile au recul de l’âge de départ à la retraite, et d’un mouvement social qui a produit les plus grandes manifestations successives vues depuis l’après-guerre.
C’est encore cet exercice auquel s’adonne Emmanuel Macron dans sa réponse écrite aux syndicats ce matin. Outre qu’il ne dit mot de leur demande de rencontre, le chef de l’État enchaîne les petits arrangements avec la vérité, voire les mensonges éhontés. « Le gouvernement est, comme il l’a toujours été, à votre écoute pour avancer par le dialogue, trouver des solutions innovantes, sans transiger sur la nécessité de restaurer un équilibre durable de notre régime de retraite… », ose Emmanuel Macron. Des propos quelque peu orwelliens au regard de la façon dont se sont déroulées les concertations, du refus catégorique de prendre en compte les propositions de financement des syndicats et de l’absence de contact avec les représentants des salariés depuis début janvier. Son rappel : « il est de mon devoir de préserver ce temps parlementaire qui se déroule actuellement et qui est l’essence même de notre démocratie » au moment où son gouvernement met fin aux travaux du Sénat, est tout aussi lunaire.
Le président de la République tient même des propos mensongers, lorsqu’il fait dire au Conseil d’orientation des retraites (COR) ce qu’il ne dit pas, et même son contraire. « De même, le conseil supérieur des retraites a également rappelé la nécessité d’une réforme pour assurer la pérennité [du système], » affirme-t-il par écrit. Nous lui passerons le fait de parler d’un Conseil supérieur des retraites, qui n’existe pas. Il fait soit référence au COR, soit au Comité de suivi des retraites. Mais aucun des deux ne dit réellement ce que prétend le président. Le COR expliquant de son côté qu’il n’avait pas à se prononcer sur les choix politiques à tirer de ses projections financières, tout en alertant sur le fait que les discours alarmistes sur les dépenses de retraites étaient infondés.
Mais il est vrai qu’après avoir osé présenter la réforme comme « juste » le 10 janvier, ou comme étant « de gauche », selon Olivier Dussopt début mars, tout est possible pour le gouvernement et le chef de l’État. Et tant pis si tant de mensonges, comme la pension minimale à 1200 euros, ou le fait que la réforme favoriserait les femmes, sont déjà apparus au grand jour.
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