Grand emballement cette semaine. Alors que le rapport du Conseil d’orientation des retraites sort officiellement ce jeudi, Emmanuel Macron a affirmé, dès lundi, vouloir mener la réforme des retraites le plus vite possible. Et ce, sans exclure de l’intégrer dans le budget de la Sécurité sociale à l’automne ni d’utiliser le 49,3 pour contourner les oppositions. Des déclarations fracassantes qui pourraient remplir les mobilisations syndicales du 29 septembre. Nous vous proposons un récapitulatif des dernières infos.
Finie la promesse d’un changement de méthode et la « concertation apaisée ». Retour à la brutalité. Lundi 12 septembre, Emmanuel Macron a fait du Emmanuel Macron. À l’occasion de sa rencontre avec une centaine de journalistes de l’Association de la presse présidentielle, le chef de l’État a annoncé la couleur. La réforme des retraites, dont il avait annoncé l’entrée en vigueur à l’été 2023, doit se faire le plus vite possible. Pour cela, le président de la République a laissé planer la possibilité d’intégrer un allongement de l’âge de départ au projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) qui devrait être adopté en Conseil des ministres le 26 septembre et arriver à l’Assemblée nationale début octobre. Par ailleurs, il n’a pas exclu d’utiliser l’article 49,3 s’il n’obtient pas de majorité sur ce texte.
Ces déclarations tonitruantes ont précédé de quelques jours la publication par le Conseil d’orientation des retraites (COR) d’un rapport sur la trajectoire financière des régimes de retraite. Un rapport annonçant des déficits à venir sur lequel Emmanuel Macron compte surfer pour avancer sa réforme, quitte à tordre la réalité à son avantage.
Des déficits, mais pas de dépenses incontrôlées selon le COR
« Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses », affirme le Conseil d’orientation des retraites qui égratigne au passage les discours faussement alarmistes du camp présidentiel, qui ont laissé entendre que la réforme des retraites a pour objectif de sauver un système en danger de mort.
Pour autant, le COR projette des déficits jusqu’en 2030 ou 2050 selon les scénarios de croissance retenus. Mais rien d’abyssal ou d’insoutenable. Les dépenses resteraient maîtrisées au regard du pourcentage de la richesse produite. Correspondant à 13,8 % du PIB en 2021, ce pourcentage évoluerait marginalement à la hausse, puis à la baisse jusqu’à se fixer entre 12,1 % et 14,7 % du PIB en 2070.
Le COR annonce aussi des excédents en 2021 (900 millions d’euros) et en 2022 (3,2 milliards). En cause, le rebond économique et des créations d’emploi nombreuses qui permettent d’augmenter le montant des cotisations collectées. Même de courte durée, cette embellie laisse entrevoir ce que pourraient être les comptes des régimes de retraite sans les exonérations de cotisations sociales (9,7 milliards en 2019), non entièrement compensées par l’État, dont bénéficient de plus en plus largement les employeurs.
Des justifications gouvernementales délirantes
Si l’argument selon lequel le financement des retraites est en danger ne tient pas, alors que dire ? Au gouvernement, le choix de dire n’importe quoi semble l’avoir emporté. Et très tôt. Dès le mois de septembre 2020, Bruno Le Maire voulait remettre en route la réforme des retraites pour financer les dépenses exceptionnelles liées au Covid-19. Plus tard, c’était pour financer la poursuite des baisses d’impôts de production des entreprises. Depuis quelques mois, il est question de faire des économies sur le dos des futurs retraités, afin de financer des projets gouvernementaux pour l’école, l’hôpital ou l’autonomie et le grand âge.
Un détournement de l’argent des cotisations salariales et patronales qui avait déjà fait bondir Laurent Berger de la CFDT en début d’été. Et qui ne tient guère, dans la mesure où les besoins financiers sur ces projets sont à très court terme, alors que les économies réalisées par un allongement de l’âge de départ à la retraite n’interviendront que dans plusieurs années.
La méthode : du flou et des loups
« Quand c’est flou, il y a un loup » anticipait Martine Aubry au moment de la primaire socialiste pour la présidentielle de 2012, à l’endroit de François Hollande. Dix ans plus tard à propos de la réforme des retraites, le moins que l’on puisse dire c’est que c’est très flou et qu’il y a un loup, voire plusieurs. D’abord sur le recul de l’âge de départ voulu par l’exécutif. Est-ce 65 ans comme évoqué dans le programme d’Emmanuel Macron à la présidentielle ? Ou 64 ans avec une clause de revoyure en 2030 comme avancé dans l’entre-deux tours des élections. A moins qu’il s’agisse d’accélérer le rythme de la réforme Touraine qui prévoit à ce jour pour 2035 la nécessité d’avoir cotisé 43 années afin de bénéficier d’une retraite à taux plein.
De même, cette réforme des retraites sera-t-elle vraiment discutée avec les organisations syndicales et patronales, incluant des concertations sur la pénibilité et les carrières longues ? C’était le plan annoncé, mais il semble s’écrouler avec les propos d’Emmanuel Macron de lundi dernier. Et quel rôle aura le Conseil national de la refondation qui s’est réuni une première fois le 8 septembre ? Nul ne semble réellement le savoir. Les partenaires sociaux seront reçus le lundi 19 septembre, mais il est difficile de voir dans cette réunion une réelle concertation. Le chef de l’État laisse en effet planer la possibilité d’un passage en force dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui doit être validé en Conseil des ministres la semaine suivante. En tout cas, le loup devrait sortir du bois assez rapidement s’il s’agit d’obtenir un vote avant fin novembre.
Des mobilisations à venir contre la réforme des retraites ?
Une accélération du calendrier de la réforme des retraites aura forcément quelques conséquences sur le calendrier des mobilisations syndicales. À ce jour, l’ensemble des organisations de salariés ont exprimées leur hostilité au recul de l’âge de départ. Pour le moment, seules la CGT, la FSU et Solidaires appellent le monde du travail à la grève le 29 septembre pour réclamer des mesures générales d’augmentation des salaires. Mais si le dossier des retraites s’invite plus rapidement que prévu, une ou de nouvelles dates de mobilisation, avec un périmètre syndical plus large, pourraient être annoncées. La CFDT, le syndicat le moins favorable à des manifestations nationales interprofessionnelles sur les salaires a déjà annoncé qu’elle pourrait descendre dans la rue sur le dossier des retraites.
D’ici là, Force ouvrière, qui a décidé de ne pas participer à la date du 29 septembre, devra se poser la question de sa stratégie, dans la mesure où la protection sociale et les retraites sont le socle fédérateur du troisième syndicat de salariés du pays. Autre inconnue, comment les travailleuses et travailleurs réagiront-ils si l’accélération du calendrier de cette réforme se confirme ? Dans ce cas de figure, la journée interprofessionnelle de fin septembre pourrait devenir le premier test de la capacité des salariés à refuser l’allongement de l’âge de départ. Réponse dans deux semaines, même si déjà, le syndicat Sud-Rail mettait en avant la question des retraites, en plus de celle des salaires, hier, dans sa communication pour le 29 septembre.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.