Ce 27 janvier, une intersyndicale nationale appelait à la grève dans tous les secteurs afin d’exiger une augmentation des salaires. A Lyon, 4000 personnes sont venues marteler que les prix montaient plus vite que le niveau de vie et que, derrière les payes de misère et les conditions de travail dégradées, la précarité gronde. Reportage.
Au sein du cortège lyonnais, qui rassemble environ 4000 personnes selon les syndicats, elles sont une dizaine, blotties derrière leur banderole CGT, les mains transies par le froid. « Aide à domicile, en colère, augmentation des salaires », entonnent-t-elles en cœur.
Nora est aide médico-psychologique (APM). « On est payées au SMIC et on est pratiquement toujours à temps partiel. On a un planning trop chargé et nos frais kilométriques sont parfois mal pris en compte », explique cette salariée chez Adiam, une association d’aide et de soins à domicile. Comme beaucoup aujourd’hui, elle est venue se battre pour l’augmentation générale des salaires, ralliant ainsi le mot d’ordre de l’intersyndicale locale (CNT, CGT, Solidaire, CNT-SO, UNEF, FSU, FO). Dans son secteur, précaire, cette revendication trouve un écho particulier.
Aide à domicile : 15 ans d’ancienneté, 972 € par mois
Dans ce métier où 96,4 % des travailleurs sont des femmes, la précarité règne. Ainsi, sous le terme commun d’aide à domicile se retrouvent des activités de ménage, d’aide aux repas, mais aussi de toilette ou de soins infirmiers. « Une aide à domicile ou une auxiliaire de vie peut se retrouver dans tous ces secteurs. Elle fera le même travail, mais elle n’aura ni les mêmes statuts ou conventions collectives ni les mêmes garanties en termes de financement ou de prise en charge des trajets », expliquait Mireille Carrot, qui pilote le collectif national aides à domiciles de la CGT, lors d’une précédente interview à Rapports de Force.
Selon les données de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile, qui regroupe seulement un tiers des salariés de ce secteur (226 000 salariées sur 700 000), 89 % d’entre elles travaillent à temps partiel, bien souvent de manière contrainte. Elles effectuent ainsi en moyenne 27 heures par semaine pour un salaire brut moyen de 972 euros. Leurs employeurs sont des associations à but non lucratif, des entreprises privées, des particuliers ou encore diverses structures publiques rattachées à des hôpitaux ou des Ehpad, ce qui amplifie leurs difficultés à se réunir et à s’organiser dans la lutte. Plusieurs fois au cours de l’interview, Nora demande ainsi à ses camarade s’il n’est pas dangereux pour elle d’exposer son nom dans un article tout en citant son employeur, puis finit finalement par accepter d’être citée.
Pour la première fois, dans l’histoire de ce secteur, une journée de grève baptisée « 24 heures sans aide à domicile » leur était consacrée le 23 septembre 2021 et portait déjà en partie sur la question des salaires. Les aides à domiciles participeront également à la mobilisation du 8 mars : journée internationale de lutte pour les droits des femmes.
Enseignants : moins nombreux que le 13 janvier
Aides à domicile, livreurs chez Deliveroo, salariés de la construction, de l’énergie, de la fonction publique territoriale ou encore cheminots. De nombreux petits cortèges défilent dans les principales artères de la rive gauche du Rhône. Ceux du Snes-FSU et du Snuipp-FSU (principaux syndicats enseignants dans le premier et second degré) sont particulièrement dynamiques. Le 13 janvier, la profession se mettait massivement en grève, exténuée et en colère contre la valse des nouveaux protocoles sanitaires imposés par leur ministre. Cette fois la grève est bien moins massive, selon les chiffres du rectorat de Lyon, les enseignants étaient à 5,79%en grève dans le premier degré et à 6,61% dans le second. Même si ces chiffres sont sous-évalués du fait de la méthode de calcul choisie par le ministère, le même rectorat annonçait un taux de gréviste de 36,10 % dans le premier degré et 21, 60 % dans le second degré le 13 janvier.
Les enseignants sont vite suivis par un cortège de la CGT Spectacle : les intermittents aussi sont dans la lutte. Charles est régisseur son et intermittent du spectacle. Depuis le début de la crise sanitaire ils a bénéficié de « l’année blanche », c’est-à-dire du renouvellement de son statut d’intermittent quel que soit le nombre d’heures travaillées lors des multiples périodes de confinement – et pour cause les principaux lieux de spectacle étaient fermés.
L’augmentation des salaires est une revendication de longue date dans sa profession où on s’attend, après la récente offensive gouvernementale contre l’assurance chômage, aux attaques contre le statut d’intermittent (lire notre article). « Bien-sûr, on craint toujours pour nos salaires, les salles de spectacles à grosses jauges, comme le Transbordeur (NDLR : grande salle de spectacle lyonnaise) n’ont pas rouvert », explique Charles.
Dans la chimie : « une grande partie de notre paie, ce sont les primes »
Si, dans la manifestation lyonnaise, les cortèges constitués par les fonctionnaires et les salariés des professions à statut (énergie, cheminots) rassemblent plus que ceux des secteurs privés, une banderole de salariés du privé détonne pourtant : celle de la fédération FO-chimie. On peut lire sur celle-ci :
- Augmentation immédiate des salaires
- Respect des libertés syndicales
- Soutien à la Guadeloupe
« Quoi de plus normal que de soutenir la Guadeloupe ? Il y a peu c’étaient les gilets jaunes qui subissaient la répression, puis les syndicalistes guadeloupéens comme Élie Domota, si on ne se serre pas les coudes on est les prochains sur la liste. Ceux qui s’opposent sont dans le viseur », explique Pascal Miralles secrétaire fédéral de FO-Chimie dans le Rhône.
Outre sa solidarité avec les mouvements d’outre-mer, ce salarié, de l’entreprise Tokai-Cobex, basée à Vénissieux (banlieue Lyonnaise) et fabricant du carbone, est lui aussi venu exiger l’augmentation générale des salaires. Si le secteur de la chimie est réputé plutôt bien payé, il dénonce un calcul en trompe-l’œil.
« Contrairement à ce que l’on peut dire, les travailleurs de la chimie n’ont pas de particulièrement bon salaires. Ceux-ci sont gonflés par des primes qui compensent des contraintes, comme les horaires de nuit par exemple », explique le syndicaliste. Récemment les accords de branche dans la chimie ont permis une hausse des salaires de 2,6%, soit une augmentation au même niveau que l’inflation, telle que calculée par l’INSEE. Dans d’autres secteurs et dans d’autres entreprises – Leroy Merlin par exemple – les salariés ont parfois dû faire des semaines de grève pour obtenir des augmentations de salaires satisfaisantes. « Nos négociations n’ont pas été si mauvaises, mais on peine à dépasser ce seuil de l’inflation », constate Pascal Miralles.
Malgré cela, certaines entreprises de la chimie ont récemment dû rentrer en grève pour exiger des salaires corrects. « Après deux semaines d’une grève historique fin décembre, les salariés d’Arkema (NDLR : le leader français de la chimie des matériaux) ont obtenu 70€ d’augmentation de salaire mensuel alors que leur direction leur en proposait 50€ », conclut-il.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.