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Kai Terada, enseignant syndiqué menacé de mutation : « il faut mettre un point d’arrêt à tout cet arbitraire »

Près de cent personnes se sont rassemblées, mardi 13 septembre, pour soutenir l’enseignant et militant Sud Éducation Kai Terada, actuellement suspendu de ses fonctions par le rectorat. Malgré un dossier administratif vide, celui-ci est menacé de mutation « dans l’intérêt du service ». Les syndicats prévoient d’ores et déjà une nouvelle mobilisation, mercredi prochain, devant le ministère. 

 

Devant le siège de la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) des Hauts-de-Seine, plusieurs dizaines de personnes arborent chacune un masque en carton, à l’effigie d’un seul et même visage. Celui de l’un de leurs collègues : Kai Terada, enseignant en mathématiques au lycée Joliot-Curie de Nanterre depuis 2006. L’homme a eu la mauvaise surprise de recevoir dans sa boîte aux lettres, la veille de la rentrée, un courrier du rectorat annonçant sa suspension pour quatre mois. Le voilà menacé d’une mutation vers un autre établissement.

Aucun motif ne lui est avancé. Lui et ses collègues tombent d’abord des nues. Très vite, tous dénoncent un acte de répression antisyndicale. Car Kai Terada ne fait pas qu’enseigner les mathématiques : il est aussi un militant bien identifié de Sud Éducation 92, co-secrétaire départemental du syndicat. Il est par ailleurs actif au sein du Réseau Éducation Sans Frontières, attaché aux droits des mineurs non-accompagnés et des jeunes sans-papiers.

Ce mardi 13 septembre, des collègues de Joliot-Curie et d’établissements voisins, appuyés par une intersyndicale (Sud, CGT, FO, FSU…) sont donc venus lui exprimer leur soutien. Cinq jours plus tôt, jeudi 8 septembre, Kai Terada a été reçu au rectorat. « Vu la manière dont on m’a présenté les choses, il est très clair que l’on se dirige vers une mutation », raconte aujourd’hui l’intéressé, qui se tient un peu à l’écart du rassemblement, avec calme et discrétion. « Moi, je n’ai pas du tout envie de muter. Ça fait 17 ans que je travaille dans ce lycée, j’y suis très attaché. » Son regard se pose sur la petite foule réunie sur le trottoir. « Et puis, comment quitter un lycée dans lequel on a un tel soutien… Impossible… », souffle-t-il.

 

« Dans l’intérêt du service »

 

C’est comme s’il avait du mal à croire que cela soit en train de lui arriver. Pourtant, « ce sont des situations que je connais et que je suis depuis longtemps : cela fait un moment que la répression règne dans l’Éducation Nationale. Mais on a beau se dire : « si ça m’arrive, je tiendrai le coup… » Quand ça nous tombe dessus, c’est vraiment dur », confie-t-il.

Mais surtout : son dossier administratif, qu’il a pu consulter le 8 septembre lors de son rendez-vous au rectorat, demeure complètement vide. Les personnes qui l’avaient accompagné lors de ce rendez-vous confirment. Alors, comment expliquer cette suspension ?

Interrogée par Rapports de Force, l’académie de Versailles répète la même version de l’histoire depuis le début : « il s’agit d’une mesure conservatoire qui ne revêt pas le caractère d’une procédure disciplinaire mais a été prise dans l’intérêt du service ». Impossible d’obtenir plus de détails sur ce que recouvre cette notion d’« intérêt du service », malgré notre demande de précision.

La mesure est présentée comme la conséquence d’un audit réalisé en février 2022 à Joliot-Curie par l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Suite à cette mission, « les éléments relevés par l’IGESR ainsi que les faits portés à la connaissance des services du rectorat de Versailles nous ont conduit à arrêter un certain nombre de mesures afin de garantir le fonctionnement serein de cet établissement. Figurent parmi ces mesures la suspension de Monsieur Kaï Terada, professeur de mathématiques », se contente d’expliquer le rectorat.

 

« C’est du camouflage »

 

Kai Terada n’était pas présent le jour de l’inspection. Il n’a donc pas été auditionné, comme l’ont été ses collègues. De quoi laisser ces derniers perplexes. « Le rectorat le présente comme responsable de tensions, de divisions dans l’établissement… Si c’était le cas, on ne serait pas aussi nombreux aujourd’hui. Il y a unanimité sur sa personne », défend Charles*, enseignant à Joliot-Curie.

« C’est quelqu’un de calme, toujours à l’écoute, jamais clivant. Tout le baratin que nous sert le rectorat, eux-mêmes ne doivent pas y croire ! C’est du camouflage », déplore également Philippe, ancien enseignant à Joliot-Curie.

Depuis la rentrée, le personnel du lycée mène une grève perlée en soutien à Kai Terada. Ils sont près d’une trentaine d’enseignants en grève tous les jours, selon les témoignages recueillis. Ce mardi 13 septembre, on en compte au moins le double. Du côté de la vie scolaire, « nous sommes neuf sur dix, voire l’ensemble de la vie scolaire, en grève. Ce qui est très rare », complète Louis*, un assistant d’éducation lui-même membre de cette équipe. Une caisse de grève et une pétition circulent.

 

« Décision violente et discrétionnaire »

 

À l’issue du rassemblement du jour, l’enseignant a pu être entendu avec des collègues de l’intersyndicale par les services de la DSDEN. « On a été reçu dans les fins fonds du bâtiment administratif, dans une salle exiguë. Ce n’est pas la directrice académique qui nous a reçu, mais son adjointe », raconte à la sortie Nicolas Russeil, co-secrétaire départemental de Sud Éducation 92.  Celle-ci « n’avait pas d’élément nouveau à nous communiquer. Elle a répété ce qui nous avait été dit au rectorat le 8 septembre : que ce n’était pas une sanction, que le salaire était maintenu… » Ce à quoi l’équipe a répliqué qu’il s’agissait tout de même d’une « décision violente et discrétionnaire ».

Kai Terada devrait recevoir, dans les jours qui viennent, une convocation pour un second rendez-vous au rectorat. La décision finale lui sera alors présentée.

En attendant, les syndicats ont saisi le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, du cas de Kai Terada. Le député Paul Vannier (LFI-NUPES) a également adressé une question écrite au ministre sur ce dossier, le 8 septembre.

 

La multiplication de ces procédures inquiète

 

De son côté, Sud Éducation envisage de saisir le Défenseur des droits face à la multiplication des ces procédures, touchant particulièrement des enseignants syndiqués à Sud Éducation.

« S’attaquer à Kai, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Cette répression s’est accélérée de manière extrêmement forte depuis le mandat Blanquer », retrace Jules Siran, co-secrétaire fédéral. La séquence avait commencé avec le collège République de Bobigny. Un audit avait eu lieu, suite à quoi deux mutations et un blâme avaient été actés. Des recours juridiques sont encore en cours.

Des situations similaires se sont reproduites dans plusieurs autres établissements. Parmi celles-ci, le cas de six enseignants de l’école Pasteur de Saint-Denis, tous mutés d’office.

La loi de transformation de la vie publique de 2019 a aggravé ces mutations « dans l’intérêt du service », en supprimant l’examen de ces procédures par une commission paritaire. « C’est le bon filon. N’importe quel directeur d’établissement, directeur académique ou recteur peut se dire : lui, il nous gêne, allez hop », dénonce Jules Siran. « C’est le fait du prince. L’Etat de droit est foulé par l’administration et le ministre », conclut-il.

Le responsable syndical espère que le sujet émerge avec force au niveau national. C’est aussi le souhait de Kai Terada qui tente, avec d’autres, de constituer un collectif d’enseignants concernés par ces procédures. « Avec cette histoire, ils m’ont offert une tribune. Je vous assure, je vais m’en servir », promet l’enseignant. « Je ne suis que le dernier d’une très longue liste. Pour tous ceux qui sont réprimés et pour tous ceux qui vont l’être, il faut mettre un point d’arrêt à tout cet arbitraire. »

L’intersyndicale prévoit un rassemblement mercredi prochain, le 21 septembre, devant le ministère de l’Éducation nationale.

 

*Les prénoms ont été modifiés afin de respecter l’anonymat des interlocuteurs.