En 2021, Amazon licenciait un salarié pour avoir critiqué son entreprise sur la messagerie interne de celle-ci. Une démarche qui entravait la syndicalisation dans un de ses entrepôts. En décembre 2024, la multinationale est finalement condamnée pour atteinte à la liberté d’expression.
Jeff Bezos est le propriétaire du Washington Post, se pose en protecteur des journalistes… mais ne supporte la liberté d’expression que lorsque qu’elle ne le dérange pas. Ainsi, lorsqu’un salarié français d’Amazon prend un peu trop d’importance dans sa boîte et décide de critiquer l’entreprise, on le licencie (voir notre article).
C’est l’histoire de Jérémy Paglia, agent de tri pour la multinationale de la livraison à Saint-Priest, en banlieue lyonnaise. « Salarié modèle », tenant du record du scan de colis en 2020, il avait été licencié en 2021 pour des propos tenus sur la messagerie interne de son entrepôt.
Quatre ans après, le 16 décembre 2024, il a pourtant fait reconnaître l’invalidité de son licenciement auprès des Prud’hommes de Lyon. Amazon a été condamné à lui verser un peu plus de 17 000€ de dommages et intérêts et d’indemnité. Cette somme comprend notamment 10 000€ pour « licenciement sans cause réelle et sérieuse », et, plus rare et plus notable, 5000€ pour « atteinte à la liberté d’expression ». S’il se dit satisfait, le salarié aurait cependant pu obtenir davantage selon son avocate.
« En tant qu’avocate en droit du travail, cette décision ne me convient pas. Le conseil des Prud’hommes reconnaît une atteinte à la liberté fondamentale, le droit d’expression. Or la conséquence d’une telle atteinte, c’est que le licenciement aurait dû être frappé de nullité et non par une absence de cause réelle et sérieuse comme ça a été le cas », insiste Sofia Soula-Michal auprès de Rue89 Lyon.
La différence est de taille. Frappés de nullité, les dommages et intérêts dus par Amazon n’auraient pas été soumis au barème Macron, qui les diminue fortement. Mais la lenteur de la justice prud’homale, et les 4 ans de procédure, usent. « Amazon a été condamné, j’ai eu ce que je voulais. J’avais besoin de passer à autre chose », estime Jeremy Paglia.
Chez Amazon : pas de liberté d’expression, pas de syndicat
Derrière la victoire individuelle en justice, la décision prud’homale consolide aussi la possibilité de la lutte syndicale. Sans liberté d’expression, pas de syndicat chez Amazon.
Car, loin d’être « calomnieux et belliqueux », comme ils ont été qualifiés dans sa lettre de licenciement, les propos reprochés à Jérémy Paglia tentaient surtout de résoudre des questions d’organisation du travail. Consultés les messages les plus « virulents » tenus par le salariés se résumaient à : « Essayez la communication, je vous jure, cela fonctionne chez l’être humain » ou encore à : « On n’est pas des esclaves qui doivent à chaque fois rester jusqu’à je ne sais quelle heure pour faire le surplus de travail ». Les Prud’hommes de Lyon le confirment dans leur jugement : « Jérémy Paglia a usé de son droit fondamental d’expression sans que celui-ci ait porté un trouble au bon fonctionnement de l’entreprise ou dans les rapports entre collègues. »
Une question subsiste pourtant. Et si les revendications sociales exprimées publiquement par le recordman du scan de coli avaient plus joué dans son licenciement que ses soi-disant propos belliqueux ? Contacté, Amazon ne nous a pas répondu à cette heure.
Frédéric Leschira, syndicaliste de Solidaires Rhône, le soutenait pourtant dès 2021 : « Même si Jérémy n’avait pas pour objectif de fonder une section syndicale, il détenait une véritable audience et un capital sympathie parmi ses collègues. Il était également proche de Steeve Ndong, le représentant syndical de Sud Commerces et Service sur le site et la direction le savait. Elle aurait pu avoir fort à perdre s’il avait joué un quelconque rôle lors des élections syndicales qui auront lieu en 2022. »
Outre Atlantique, Amazon est d’ailleurs connu pour sa lutte farouche contre l’implantation syndicale. Pour ce faire, tous les moyens sont bons : carte des entrepôts « à risque de syndicalisation », recrutement d’experts anti-syndicalisation, propagande…
Finalement, le licenciement du salarié recordman n’aura pas entravé la dynamique de développement syndical de Sud commerce chez Amazon. « Aujourd’hui nous sommes 13 élus sur 15 au CSE Amazon Sud-Est. On ne peut pas dire que tout va bien dans la boîte, loin de là, mais les salariés savent désormais à qui s’adresser pour faire remonter les problèmes« , relate Steeve Ndong, aujourd’hui devenu délégué syndical central.
Crédit photo : Solidaires 69. Manifestation devant l’entrepôt Amazon de Saint-Priest en 2021.
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