Alors que le gouvernement Lecornu II et son nouveau ministre de l’Éducation vient d’être nommé, une journée de mobilisation est prévue ce mardi dans l’enseignement professionnel. L’application de la réforme du bac professionnel et son parcours différencié – vivement contesté depuis ses origines – au printemps 2025 a eu les effets négatifs escomptés : absentéisme, stress des enseignants, désorganisation… Unanimes, les syndicats tentent de peser face au ministère pour faire retirer la réforme et orienter les choix budgétaires.
L’unanimité est claire : huit syndicats appellent ce mardi à la grève et la mobilisation contre la réforme du bac professionnel pleinement appliquée depuis le printemps. Snuep-FSU, CGT Éduc’action, SE-UNSA, CFDT Éducation, Sud Éducation, CNT-FTE et SNALC composent l’intersyndicale, revendiquant tous la suppression de cette réforme et davantage de moyens pour les lycées professionnels.
Les syndicalistes s’accordent à dire qu’après le 10 et le 18 septembre, puis le 2 octobre, il sera difficile d’avoir un fort taux de grévistes. Faire grève une quatrième journée, « ce n’est pas anodin au regard des salaires des enseignants, surtout qu’en lycée professionnel 1 enseignant sur 5 est contractuel », rappelle Axel Benoist, du Snuep-FSU. « Pour autant il y a vraiment un ras le bol qui s’exprime : des rassemblements sont prévus dans toutes les académies et il y aura des petits rassemblements devant des établissements ».
« Le mécontentement est général. Et nous, on pense que c’est possible d’arracher une suppression de cette réforme », croit Philippe Dauriac, de la CGT Éduc’action. La dernière audience ministérielle avec les syndicats a eu lieu le 25 août. À l’issue, le ministère a annoncé la réduction du parcours différencié de 6 à 4 semaines. Et donc, des examens revenus à la mi-mai (ils avaient lieu mi-juin avant la réforme). Aux yeux de la CGT, il s’agit là d’un « début de constat d’échec », souligne Philippe Dauriac. « Mais étant donné que c’est une réforme qui a été porté par Emmanuel Macron, il y avait une volonté de ne pas lâcher totalement les choses. »
Le parcours différencié toujours au coeur de la contestation
« Si cela avait était réellement le constat d’un échec du ministère, ils ne se seraient pas arrêtés en chemin », observe de son côté Axel Benoist. « C’est positif de rétablir deux semaines de cours, mais ce n’est pas suffisant. » Or, comment aller plus loin dans la crise politique actuelle, qui n’aide pas à la continuité du suivi et des négociations ? Il n’y a pas eu de nouvelle audience ministérielle depuis le 25 août, au vu de l’actualité politique chaotique de ces dernières semaines.
Quant au dernier nommé ministre de l’Éducation par Sébastien Lecornu, Édouard Geffray : les syndicalistes de l’enseignement professionnel le connaissent bien. Nommé par Jean-Michel Blanquer en 2019 comme directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), il est resté à ce poste pendant cinq ans. Il fut donc le bras droit de l’ex-ministre pour appliquer sa réforme de 2019 (loi de 2018 sur l’avenir professionnel), puis l’actuelle réforme de la voie professionnelle engagée à partir de 2023. « On sait bien qu’avec lui il sera difficile d’obtenir une inflexion sur cette réforme », concède Philippe Dauriac.
Pour rappel, le parcours différencié est l’un des axes majeurs de cette réforme. En vigueur pour la première fois en ce printemps 2025, le parcours différencié consiste pour les élèves de terminale à choisir, après leur examen à la mi-mai, entre continuer leur parcours d’études, ou partir en période de formation en milieu professionnel (PFMP), un stage gratifié par une allocation de l’État. Un questionnaire envoyé par la CGT et la FSU au cours de l’été et en cours d’analyse laisse entrevoir des remontées de terrain similaires partout : absentéisme fort après les examens – « dans la moitié des établissements plus des ¾ des élèves absentéistes », précise Axel Benoist -, désorganisation, perte de sens pour les enseignants au vu de la diminution du temps scolaire à chaque réforme.
« Échec patent »
Fin août, des ajustements avaient aussi été promis pour une meilleure anticipation et organisation de la période de parcours différencié, qui avait procuré un stress supplémentaire aux équipes. « Déjà en temps normal on du mal à finir… Là, on a dû tout faire au pas de course. Il n’y a aucune visibilité, tout est fluctuant », confiait Emanuelle Lavaud, une enseignante en lettres-histoire, à Rapports de Force en juin. « On nous demande de faire avec moins d’heures, on applique une réforme à laquelle on ne croit pas, il y a une surcharge de travail pour essayer de monter des choses pour 3 élèves qui eux-mêmes n’ont pas forcément envie d’être là… » se désespérait aussi Didier Sabalot, enseignant en biotechnologies.
Les ajustements promis par le ministère à ce sujet ne suffisent pas non plus à rassurer. Le 3 octobre, lors du dernier Conseil supérieur de l’éducation (CSE, une instance consultative de la communauté éducative), ces ajustements n’ont recueilli aucun vote favorable. Quelques jours plus tôt, le 28 septembre, avait lieu la première réunion d’un comité de pilotage et de suivi, annoncé par le haut commissaire à l’enseignement et la formation professionnelle Éric Garnier lors de l’audience du 25 août. Mais à peine mis en place, ce comité n’emporte pas non plus l’adhésion : la quasi totalité des organisations syndicales l’ont boycotté. « Accompagner et améliorer une réforme dont on refuse les axes fondamentaux, cela ne nous paraît pas être la bonne position », justifie Philippe Dauriac.
Au-delà des syndicats, les parlementaires ont commencé à s’emparer du sujet. Une mission flash sur les impacts des réformes successives du baccalauréat professionnel, portée par les députés Géraldine Bannier (Modem) et Jean-Claude Raux (Les Ecologistes, lui-même enseignant en lycée professionnel), a été publiée en juillet. Son constat s’agissant du parcours différencié est sévère : « S’il est encore trop tôt pour établir un bilan (…) des témoignages nombreux et convergents conduisent à penser qu’il s’agit d’un échec patent ». L’IGESR a été chargée de mener une évaluation complète du dispositif. Ses résultats, attendus pour octobre, n’ont pour l’heure pas été publiés.
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