Commando de fac de droit de Montpellier : une agression contre la contestation de Parcoursup


22 mars 2018, 23 h 37 : un commando armé et cagoulé frappe des étudiants occupant un amphithéâtre à Montpellier. 20 mai 2021 : sept prévenus comparaissent durant deux jours devant le tribunal correctionnel. À cette occasion, Rapports de force, Le Poing, La Mule du Pape et Radio Gi·ne, médias indépendants de Montpellier, ont décidé de s’associer pour couvrir l’événement. Aujourd’hui, une de nos productions d’avant audience : celle racontant une lutte sociale en construction attaquée pour être contenue. Puis jeudi 20 mai à 21 h, nous vous proposons une émission en direct sur les réseaux sociaux.

 

Mars 2018. Dix mois qu’Emmanuel Macron est président de la République et qu’il déroule son programme favorable aux entreprises. Avec pour mise en bouche pendant les premiers mois d’état de grâce, une seconde réforme du Code du travail, après celle de 2016. Les ordonnances Macron permettent ainsi, entre autres choses, de « sécuriser le cadre juridique des licenciements », alors que la mobilisation souffre d’une apathie postélectorale.

Premiers accrocs en 2018. La loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE), de la ministre Frédérique Vidal, remet la sélection à l’université au goût du jour. Avec, au cœur de la réforme : Parcoursup, qui cristallise les oppositions. In fine, ce dispositif opère bien le tri social et la sélection à l’entrée de l’université, dénoncés il y a trois ans. Mais, voulant prouver sa capacité à « réformer », le gouvernement s’attaque aussi au baccalauréat et parallèlement, à la fin du mois de février, à la privatisation de la SNCF.

Une stratégie de rouleau compresseur. Le gouvernement vise aussi les fonctionnaires en lançant le plan « Action publique 2022 », qui préfigure la loi de « transformation de la fonction publique ». Les mobilisations se construisent chacune dans leur secteur, mais vont se rencontrer au mois de mars. Notamment le 22 mars où étudiants, fonctionnaires et cheminots se retrouvent ensemble dans la rue.

 

Un mois de mars au parfum de mai

 

Entre février et mars, les assemblées générales (AG) de la faculté Paul-Valéry, à Montpellier, passent d’une centaine à plus d’un millier de personnes. Le blocage du campus s’impose à la mi-mars, avec le soutien non négligeable d’une partie du personnel. Les commissions fleurissent, des contacts avec les lycéens se nouent, un emploi du temps alternatif anime l’occupation et les étudiants grossissent les rangs des manifestations des retraités et des personnels des EHPAD.

Le 22 mars, c’est l’apothéose : les lycées Clemenceau, Joffre, Monnet et Agropolis sont bloqués et la jeunesse rejoint la grande mobilisation syndicale contre Macron et pour la défense des services publics, largement animée par le secteur de la santé. Parmi les huit mille manifestants, la plupart des deux mille du cortège de tête se dirigent vers la faculté de droit pour y tenir une AG, autorisée par la présidence de l’université sous la pression des syndicats.

Sous le regard médusé de doctorants et de professeurs de droit aux allures de nobles, des danses s’improvisent sur les tables tandis qu’on cause lutte des classes et convergence des luttes à la tribune. Une oratrice fait très justement remarquer qu’une telle occupation de la faculté de droit n’avait pas eu lieu depuis… mai 68 ! La nuit tombe et quelques dizaines d’occupants restent.

La suite, on la connaît : la compagne d’un professeur de droit royaliste appelle ses amis d’extrême-droite pour déloger les étudiants à coups de bouts de bois et de taser, sous les applaudissements du doyen de la faculté et de ses fidèles. Une lutte sociale dans le viseur des partisans d’un certain ordre établi, celui qui procède au tri social et à la sélection à l’entrée des universités. Sélection depuis renforcée par Parcoursup, comme le dénonçait le mouvement social du printemps 2018.

 

Des luttes sociales défaites dans une ambiance détestable

 

Les étudiants n’ont pas eu raison de la loi Vidal. Pourtant, la répression de leur mouvement, à Montpellier comme dans d’autres villes, a choqué et, un temps, remobilisé les troupes. Le 27 mars, l’assemblée générale de la fac de lettres réunit 3000 étudiants, trois fois plus qu’au début du mois. Par contre, la mobilisation à la faculté de droit est tuée dans l’œuf. L’université est fermée par son président pour une semaine. La reprise des cours se fera dans une ambiance lourde, où les enseignants et chargés de TD ayant au moins applaudi le commando restent impunis, alors que les partisans de la mobilisation étudiante rasent les murs d’une institution qui leur est largement hostile. Un discours de soutien à l’ex-doyen incriminé en guise de bienvenue est annulé de justesse.

Mais les étudiants n’ont pas été les seuls à échouer face au gouvernement. Les fonctionnaires se verront imposer de nombreux reculs à travers la loi de transformation de la fonction publique, pendant que les cheminots subiront la loi ferroviaire. Malgré trois mois d’une grève tournante, ce sera la fin du statut pour les nouveaux entrants et la séparation en plusieurs structures juridiques de leur entreprise. Un grand bond en avant vers la privatisation.

L’agression à la fac de droit sort alors de son temps politique pour entrer dans sa phase policière, administrative, puis judiciaire, jusqu’à la mise en cause tardive des sept personnes qui seront jugées ces 20 et 21 mai. Entre-temps, seuls deux membres de l’université ont été sanctionnés, après une enquête administrative laissant de côté un petit monde universitaire ravi de l’expulsion manu militari d’étudiants contestataires par le commando cagoulé.

 

Photo : Charlotte Montels

 

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