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« Aux parents qui ont les moyens, le privé. Aux pauvres, un résidu de service public » : les enseignants en grève le 1er février


Les enseignants du primaire et du secondaire seront en grève le 1er février, à l’appel de quatre syndicats. Au-delà des revendications autour des salaires et des postes supplémentaires, la contestation vise les différentes réformes commencées sous l’égide de Gabriel Attal et que la toute nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéra-Castera, déjà sous le feu des polémiques, promet de poursuivre. 

 

La première rencontre entre la nouvelle ministre de l’Éducation nationale Amélie Oudéra-Castéra et les organisations syndicales, a tourné court. Lundi 15 janvier, les représentants syndicaux ont claqué la porte de son bureau avant la fin de la réunion. « Nous avons dit la colère de la profession. Nous exigeons des excuses publiques. En guise de réponse, pas d’engagements à traiter nos deux chantiers prioritaires : salaires et conditions de travail », a résumé Sophie Vénétitay, secrétaire du SNES-FSU, sur X.

Des excuses publiques réclamées suite à la sortie de la ministre fraîchement élue. Interrogée vendredi 12 janvier sur la scolarisation dans le privé de ses enfants, celle-ci a mis en avant une frustration face aux « paquets d’heures pas sérieusement remplacées » dans le public. Seul l’un de ses enfants est passé dans le public : un semestre, en maternelle ; avant de basculer dans le privé à Stanislas. Surtout, la ministre « pointe des défaillances, mais des défaillances qui sont le résultat de la politique qui a été menée, notamment depuis 2017 », a réagi Sophie Vénétitay sur BFMTV, affirmant que cette déclaration a été vécue comme une « provocation ».

« Cela prouve bien le peu de considération pour l’école publique dont elle est censée assurer l’avenir », réagit de son côté Catherine Prinz, de la CGT Éduc’action. « On est sur une école à deux vitesses : aux parents qui ont les moyens, le privé ; et aux pauvres, un résidu de service public ». Cette séquence a ajouté de l’huile sur le feu à un contexte contestataire. Une grève des enseignants, tous niveaux confondus, était en effet déjà annoncée pour le 1er février, par l’intersyndicale FSU, FNEC-FP FO, CGT Éduc’action et SUD éducation.

 

Des réformes qui « vont toujours plus dans le sens d’une inégalité de traitement des enfants »

 

Cette grève du 1er février vise à remettre en cause la politique menée au sein de l’Éducation nationale depuis 2017, encore plus à l’heure de ce changement ministériel. « Les réformes annoncées vont toujours plus dans le sens d’une inégalité de traitement des enfants par rapport à l’école publique », estime Catherine Prinz de la CGT Éduc’action. Dans le viseur : les dernières annonces de Gabriel Attal, tout juste nommé Premier ministre dans le cadre du remaniement en cours, jusqu’ici à l’Éducation nationale. Le 5 décembre, celui-ci a dévoilé un ensemble de mesures lors d’une conférence de presse, en réaction à la dernière enquête Pisa (Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves).

Selon les organisations syndicales reçues lundi, Amélie Oudéra-Castéra s’inscrit dans la droite ligne de son prédécesseur sur la mise en oeuvre de ces mesures. Celles-ci sont regroupées sous le nom de « choc des savoirs ». Parmi elles : la modification des programmes, notamment en primaire ; ou encore le fait de redonner aux enseignants – non plus aux familles – le dernier mot sur les redoublements. Mais aussi : la mise en place de groupes de niveaux en français et en mathématiques, tout au long du collège, sur l’ensemble des heures consacrées à ces disciplines.

« En 6ème, être tout de suite catégorisé comme n’étant pas un bon élève, c’est une ségrégation supplémentaire. Les groupes de niveaux n’ont jamais porté les fruits », estime Caroline Marchand, co-secrétaire du SNUIPP-FSU en Seine-Saint-Denis. « Même pour nous : cela ne tire pas notre pédagogie vers le haut ! Avoir des classes hétérogènes, cela permet de nous nourrir, nous, tout comme les élèves. L’entre-soi, ça ne donne jamais rien de bon », conclut l’institutrice, en clin d’oeil aux dernières déclarations de la ministre.

 

Les enseignants du lycée professionnel en grève le 1er février, malgré une bataille presque déjà perdue

 

Une autre réforme en cours a agité le monde enseignant ces derniers mois : celle du lycée professionnel. Le 1er février, l’enjeu est de « donner une visibilité particulière à la voie pro », insiste Catherine Prinz, en charge de cette filière à la CGT Éduc’action. Pourtant, la bataille est presque déjà perdue.

Le 8 janvier, lors du Conseil supérieur de l’Éducation (un organisme consultatif), le texte réorganisant le parcours scolaire du bac professionnel a été examiné. Ce texte modifie les grilles horaires et augmente de 50 % les temps de stage pour les élèves qui se destinent à l’insertion professionnelle. Lors du CSE, il n’a obtenu aucune voix pour : 50 voix contre, 18 abstentions, sur 68 présents. Un « fait inédit au CSE » qui « témoigne une fois de plus du refus massif de la réforme des lycées pros », commente la dizaine de syndicats impliqués.

« Malgré cela, et malgré notre dernière mobilisation le 12 décembre, il y a fort à parier que ce texte sera publié vite. D’ici mars, comme on nous l’avait indiqué », déplore Catherine Prinz. Et ce, afin de correspondre au timing des rectorats, qui planchent actuellement sur les dotations horaires globales aux établissements. D’autres textes règlementaires, y compris des circulaires et notes de service, doivent suivre, pour parachever la réforme.

Avec ces modifications des parcours, près de 170 heures de cours vont être supprimées. « Cela va forcément faire baisser les dotations dans les établissements, amenant de la suppression de poste. Des conséquences en cascade », soupire Catherine Prinz. Reste que la gestion de la mise en oeuvre de cette réforme interroge. Jusqu’ici, Carole Grandjean était la ministre déléguée en charge de la formation professionnelle. Mais depuis le remaniement, elle n’est plus en poste. La question de son remplacement reste en suspens.

 

Salaires : les enseignants peu satisfaits du Pacte

 

Au-delà des réformes en cours, les autres axes prioritaires de cette grève sont les salaires et les recrutements. Le gouvernement met en avant son Pacte enseignant, se targuant d’avoir augmenté les rémunérations des enseignants. Pour rappel, ce Pacte se découpe en différentes parts, correspondant à des missions basées sur le volontariat, débloquant chacune des revenus supplémentaires. Or, sur le terrain, ce Pacte rencontre un succès plus que mitigé.

Augmentation des salaires enseignants : qu’en est-il réellement ?

S’il est trop tôt pour en tirer un bilan national, en Seine-Saint-Denis par exemple, « il y a environ 10 000 enseignants : il n’y a pas 25 % des parts du Pacte disponibles qui ont été prises. Beaucoup de collègues n’ont pris aucune mission supplémentaire car nous avons déjà nos 6 heures de classe par jour, plus la préparation, plus les heures de réunion », égrène Caroline Marchand du SNUIPP-FSU 93.

De plus, le Pacte « créé des tensions entre les personnels dans les établissements et accroît les inégalités femmes-hommes contre lesquelles le ministère est censé prendre des mesures », souligne Catherine Prinz de la CGT Éduc’action. Les missions exigent en effet de s’investir sur du temps supplémentaire que les femmes, davantage contraintes par les charges domestiques et l’emploi du temps de leurs enfants, ont en moindre quantité par rapport à leurs collègues masculins. Enfin, rappelons que les rémunérations de ces missions basées sur le volontariat relèvent de l’indemnitaire : on ne cotise pas pour sa retraite, et il ne s’agit pas d’une revalorisation pérenne du salaire.

 

Des postes supplémentaires pour des effectifs réduits à tous les niveaux

 

Les postes supplémentaires sont également une revendication forte. « Mais la question c’est : pour quoi faire. Si c’est pour continuer cette politique ministérielle, nous imposer d’être des exécutants, faire encore plus d’évaluations, ce n’est pas l’école que nous souhaitons », insiste Caroline Marchand.

Par exemple, le SNUIPP-FSU ne veut plus « se faire imposer les CP-CE1 dédoublées [une promesse forte sous le premier mandat d’Emmanuel Macron pour les zones prioritaires, ndlr] ; mais avoir la main pour s’organiser dans les écoles ». Par exemple, au lieu d’avoir « de manière illogique des classes à 25 en petite et grande section, qui tombent à 13 ou 14 en CP-CE1, avant de remonter à 25 en CE2, nous serions pour commencer par un très petit nombre, puis augmenter progressivement », explicite l’institutrice. Les syndicats souhaitent une baisse des effectifs des classes à tous les niveaux, et pas qu’en zone prioritaire.

Autre revendication en matière de recrutement : construire « un réseau d’aides spécialisées complet dans toutes les écoles, et des médecins scolaires en nombre suffisant », avance Sud Éducation. Enfin, les établissements manquent également d’AESH, en crise de recrutement. Le métier reste extrêmement précaire, malgré les dernières avancées obtenues par la mobilisation et les négociations au ministère. Leur visibilité est aussi un enjeu pour la grève du 1er février.