Plafonnant au SMIC, dans des conditions de travail pénibles, les ouvriers de la plateforme Geodis à Gennevilliers (92), géant de la distribution, sont en grève depuis le 17 octobre. Au-delà de la difficulté quotidienne de tenir face à l’inflation avec des bas salaires, ces travailleurs dénoncent une « répartition des richesses qui ne fonctionne pas » dans le groupe.
Ce mardi soir, la CGT a organisé un rassemblement visant à mettre en lumière la grève au sein de la plateforme logistique Geodis à Gennevilliers (92). Depuis une semaine, des montagnes de colis destinés à la France entière s’entassent dans l’entrepôt. La CGT, à l’initiative du mouvement, comptait 82 grévistes en début de semaine, sur 200 salariés.
L’immense majorité de ces grévistes sont des manutentionnaires, à savoir les ouvriers responsables du chargement et du déchargement des colis. Des salariés pour la plupart plafonnant au SMIC, qui « n’y arrivent plus, avec l’inflation », décrit Laurent Sambet, élu CGT, conducteur chez Geodis. « Même avec leurs heures de nuit valorisées, ils n’arrivent pas à s’en sortir », insiste-t-il. L’entreprise a mis en place un système automatisé pour verser des acomptes le 15 du mois, répondant à la demande de nombre d’entre eux.
Le mouvement de grève pour obtenir des augmentations de salaire a commencé avec l’équipe de nuit, le 17 octobre. La veille de la journée de grève interprofessionnelle sur les salaires, donc. La CGT Geodis avait prévu d’organiser quelque chose pour le 18 octobre ; mais la mobilisation au sein de la plateforme logistique s’intensifiait déjà depuis longtemps. « Cela faisait plusieurs mois qu’on envoyait des courriers à notre direction pour leur demander la réouverture des NAO (négociations annuelles obligatoires) », retrace Laurent Sambet.
Salariés de première ligne
Comme dans bien d’autres secteurs, la période de pandémie a agi comme un révélateur. « Les salariés en première ligne, ceux qui prenaient le métro, pour charger et décharger les camions, c’était eux », rappelle Laurent Sambet. Le responsable syndical rappelle la difficulté du métier de manutentionnaire au quotidien : « l’hiver il fait trop froid dans l’entrepôt en tôle. L’été, il fait trop chaud. Ils ont des conditions de travail terribles et cette pénibilité n’est pas reconnue ».
🔴 Une semaine de grève reconductible dans la plateforme Geodis de Gennevilliers. Les trois quarts des effectifs ouvriers sont mobilisés et la moitié des agents de maîtrise a rejoint. L’entrepôt est à l’arrêt, les colis s’entassent. Revendication : les salaires bien sûr 😬 1/5 pic.twitter.com/HuvdyoV841
— David Gaborieau (@DavidGab_) October 23, 2022
Les dernières NAO (négociations annuelles obligatoires) ont abouti à des augmentations de 37 euros brut pour les salaires supérieurs ou égaux à 2300 euros ; et 42 brut pour ceux inférieurs à 2300 euros – dont les manutentionnaires. La CGT n’en a pas été signataire. « Vu les efforts fournis par les salariés durant le covid, ces derniers étaient hyper déçus », résume Laurent Sambet.
S’ajoute, depuis lors, le contexte d’inflation galopante. En juin 2022, une prime ponctuelle de 80 euros a été obtenue pour répondre à l’envolée du prix du carburant. « Mais ça ne reste que le prix d’un plein », soupire Laurent Sambet. Les salariés ont aussi pu obtenir la prime de partage de la valeur, basée sur le volontariat des employeurs. « Mais tout ça, ce sont des primes : les employés veulent des salaires décents ».
Interrogée sur sa position passée et présente sur les salaires, la direction du groupe fait voeu de silence. « Geodis demeure attachée au dialogue social et ne souhaite pas s’exprimer sur le conflit en cours », nous communique-t-elle, décrivant cette grève comme un « mouvement conduit par la CGT ». De fait, sur les quatre syndicats présents sur le site de Gennevilliers, seule la CGT est porteuse de la mobilisation actuelle.
Pas question, pour le moment, d’ouvrir une quelconque concertation exceptionnelle : « des négociations s’ouvriront prochainement dans le cadre du calendrier d’ores et déjà fixé en accord avec les organisations syndicales majoritaires du site », nous affirme le groupe. La direction campe sur un renvoi aux NAO de 2023.
Primes : quand la croissance de Geodis bénéficie aux plus hauts dirigeants
Pourtant, Geodis demeure l’un des leaders européens de la distribution. Les années covid, qui ont fait grimper la demande mondiale dans le secteur de la distribution, ont été extrêmement rentables pour le groupe. « Dans un contexte économique encore incertain, GEODIS a, dans la lignée de l’année 2020, confirmé sa capacité à générer de la croissance rentable, avec un chiffre d’affaires en progression de 21 % », se félicitait ainsi Geodis dans un communiqué à l’été 2021.
Au-delà des communications successives du groupe à propos de sa rentabilité, les grévistes s’indignent aujourd’hui de la rémunération des dirigeants du groupe. Ils viennent de recevoir, de la part de sources bien informées côté ressources humaines, des fiches de paie de certains d’entre eux.
Là, un directeur du côté de la branche Europe dont le salaire mensuel s’élèverait, selon la CGT, à 24 000 euros, avec une prime d’objectif de 220 000 euros. Ici, un directeur de la branche logistique avec une prime d’objectif à 259 000 euros. Pour la branche route, toujours selon la CGT, la prime d’un dirigeant atteindrait même 303 000 euros. « Des dirigeants touchent 250 000 euros de prime : vous comprenez bien que pour des gens qui arrivent tout juste à se faire 1 400 euros par mois, c’est quand même… choquant », conclut Laurent Sembet, épinglant une « répartition des richesses qui ne fonctionne pas ».
Crédits photo : CGT Geodis
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