Grève 15 mars

Grèves et manifestations du 15 mars : où en est la mobilisation ?


La journée de grève du 15 mars offre un bilan contrasté : moins de grévistes et de manifestants, plus de blocages et de détermination. Alors que le parcours législatif du texte de loi touche à sa fin, rien n’est joué. La mobilisation se renforce dans les facs, tient chez les éboueurs et dans les raffineries, mais recule dans le secteur public, l’énergie et les transports. Bilan d’une journée complexe.

 

La matinée a d’abord été marquée par de nombreux blocages économiques. Un peu partout en France, les grévistes ont organisé des barrages routiers, filtrants ou non, et des rassemblements devant des sites importants.

Parmi les plus visibles : le blocage du chantier de la piscine olympique de Saint-Denis, qui doit être construite pour les Jeux olympiques de 2024. Aux aurores, plus de 200 manifestants ont interrompu les travaux de cet édifice estimé à 174 millions d’euros, banderole « La terre brûle fini de jouer », entre les mains. A Marseille, 250 travailleurs de l’éducation ont bloqué l’accès au siège de l’armateur CMA-CGM. Un moyen de dénoncer les profits colossaux engrangés par l’entreprise française, qui a réalisé 23 milliards d’euros de bénéfices nets en 2022. De son côté, la CGT Commerce a choisi de bloquer la cuisine centrale de Sodexo à Melun.

A Amiens, 400 personnes se sont rassemblées sur la zone commerciale Amiens Nord dès 6h45 pour bloquer l’accès au magasin Carrefour. « Ils vont faire une mauvaise journée, c’est sûr. La vente de carburant est impossible et les clients ne peuvent accéder au magasin qu’à pied », affirme Christophe Al-Saleh du bureau de l’union départementale CGT de la Somme.

L’action a été pensée en intersyndicale : « on voit pas mal de chasubles CGT, FO, CFDT, SUD, le parti de François Ruffin, “Picardie Debout”, est là aussi. Il y des salariées de Carrefour, de Valéo (usine de fabrication d’embrayages de voitures), des cheminots, des énergéticiens, des salariés de la fonction publique, des profs, des étudiants… On ne partira que lorsqu’on sera délogés », assure le syndicaliste. La matinée est une réussite, alors des actions s’improvisent : « Ce n’était pas prévu mais on a mis en place une “opération compte goutte” au niveau d’un rond point. La circulation est ralentie mais on est quand même bien reçu », continue le syndicaliste.

Ce type de blocage de zone commerciale, industrielle ou logistique a essaimé pendant toute la matinée. Des grévistes ont ainsi bloqué la plateforme logistique de Montbartier, près de Montauban, le centre routier de la Crèche à Niort, celui de Mondeville, les périphériques de Caen, Toulouse, Lille et de nombreux autres lieux.

 

Ce 15 mars : des grèves plus actives, mais moins massives

 

C’est un des paradoxes de la journée. Les actions des grévistes sont plus nombreuses, mais le nombre total de salariés en grève est en baisse. Autre contradiction : alors qu’un sondage montre que 62 % des Français souhaitent que le mouvement se poursuive au-delà de jeudi, même si la réforme était adoptée par l’Assemblée nationale demain, ces mêmes Français ont nettement moins participé à la huitième journée de mobilisation ce 15 mars qu’ils ne l’avaient fait le 7 mars. S’il est habituel qu’un mouvement décroisse au fur et à mesure que les journées de grève s’accumulent, le décrochage des taux de grévistes en une semaine, à la veille de la dernière ligne droite du parcours parlementaire du projet de loi, peut surprendre.

Ainsi, dans les trois versants de la fonction publique, la grève est en net reflux ce 15 mars. Elle reste à 2,2 % dans la fonction publique d’État à 4,5 % dans la territoriale selon les chiffres du ministère. Alors qu’il y a une semaine ces mêmes taux de grévistes étaient compris entre 9,4 % dans la fonction publique hospitalière, 11 % dans la territoriale, jusqu’à 25 % dans la fonction publique d’État. A l’heure à laquelle nous écrivons, ni les syndicats ni le ministère n’ont donné de chiffres dans l’éducation. Mais la grève y a été nettement moins importante ce 15 mars et bien moins d’écoles ont été fermées aujourd’hui.

A la RATP, la tentative de grève reconductible à partir du 7 mars, lancée par l’ensemble des syndicats de la régie n’a pas tenu dans la durée. La grève s’était effritée dès le second jour dans la partie bus de l’entreprise avant de s’éroder dans la partie métro et de se retrancher sur quelques lignes RER durablement. Ce mercredi 15 mars, la grève connaît un rebond, mais réduit. De source syndicale, il y aurait 40 % de grévistes chez les conducteurs du métro, où les perturbations sont concentrées sur trois lignes, 9 % de grévistes chez les conducteurs de bus. Par contre ce taux grimperait à 50 % dans la partie RER de la RATP où la circulation est très perturbée.

 

Un secteur inattendu, celui de la propreté

 

Débutée le 6 mars, la grève des déchets se poursuit parmi les éboueurs employés par la ville de Paris et ceux du 15e arrondissement, salariés de Pizzorno. Les premiers ont déjà voté la reconduite de la grève jusqu’au 20 mars, tandis que les seconds votent chaque jour pour savoir s’ils vont continuer le mouvement. Du côté des incinérateurs parisiens, la grève se poursuit également ce 15 mars, a minima jusqu’au 16 mars. Plus de 7 000 tonnes de déchets sont restées sur les trottoirs parisiens. Si la motivation des éboueurs semble pour l’instant sans faille, ils doivent faire face à de multiples tentatives de casse de la grève. L’entreprise Pizzorno a ainsi fait venir des salariés du sud de la France et la mairie de Paris a demandé à l’entreprise Derichebourg d’intervenir dans les arrondissements pourtant sous régie publique.

 

Tout comprendre à la grève des déchets à Paris

 

Une grève a également eu lieu au centre de nettoyage d’urgence de la Fonctionnelle, après que la municipalité leur a demandé de remplacer les éboueurs grévistes. Le dépôt a été bloqué par des manifestants. Habituellement, les agents de ce centre sont appelés pour nettoyer après les marchés, les évènements exceptionnels… ou les manifestations ! « Ils ne font jamais grève, eux », nous assurait pourtant un éboueur employé par la mairie, le 7 mars.

Hier soir, Politis révélait que Gérald Darmanin souhaitait réquisitionner le personnel en grève. Une décision qui a scandalisé la fédération CGT du nettoyage et de l’assainissement de la ville de Paris (FTDNEEA), qui a menacé d’une « riposte sous de multiples formes » si le gouvernement mettait cette décision à exécution. Hier, des manifestants ont jeté des poubelles devant les locaux de Renaissance. La mobilisation des éboueurs ne se limite pas à la capitale. A Angers, Nantes, Rennes, Le Havre, le Mans, Antibes ou Saint-Brieuc, la collecte était également perturbée.

 

D’autres secteurs qui tiennent dans la grève

 

Moins de grévistes, mais toujours de l’impact sur la production dans l’énergie. Selon les chiffres de la direction d’EDF, 22,45% des salariés ont arrêté le travail ce mercredi à la mi-journée. Ces chiffres devraient un peu s’étoffer en fin de journée comme il est d’usage. Néanmoins, le 7 mars EDF comptait 41,5% de grévistes à la mi-journée, soit presque le double des résultats du jour.

Toutefois cette baisse n’entame pas la détermination de la fédération CGT Mines et énergies (FNME-CGT). Cette dernière compte bien multiplier les actions ciblées tout au long de la semaine : coupure de courant dans les permanences des députés, sur des sites économiques majeurs, basculement en gratuité pour les personnes précaires etc. Surtout, elle continue à ralentir la production dans les centrales nucléaires. A 11h ce matin, la FNME-CGT revendique déjà 17 000 Mégawatts enlevés du réseau, et compte bien continuer à se servir de ses atouts, que la loi soit votée ou non. « Dans les centrales nucléaires, par exemple, quelques heures de grève coordonnées au bon moment peuvent avoir un lourd impact sur la production », expliquait Fabrice Coudour, secrétaire fédéral FNME-CGT.

Côté cheminots, la grève reconductible démarrée le 7 mars, se poursuit sans rebondir réellement. Alors que le taux de gréviste global à la SNCF était de 39% lors de cette précédente journée (nettement plus chez les roulants), il atteint 15% ce 15 mars, selon une source syndicale relayée par l’AFP. A Paris, les assemblées générales qui ne parvenaient pas à faire le plein lors de jours de reconduite de la grève n’y sont pas parvenues aujourd’hui non plus. « On était une trentaine à l’assemblée générale de gare du Nord ce matin. On a quand même reconduit la grève jusqu’à vendredi, car la partie n’est pas terminée », confie Anthony Auguste, syndicaliste Sud-Rail.

Par ailleurs, six des sept raffineries françaises sont toujours en grève reconductible ce 15 mars. Dans les 4 raffineries TotalEnergies, les grévistes font le plein et l’expédition de carburant est à l’arrêt. Du côté de Esso-ExxonMobil, la raffinerie de Port-Jérôme-Gravenchon a repris le travail depuis le 9 mars, mais celle de Fos-sur-mer n’expédie plus de carburant. Il en va de même pour la raffinerie Petroineos de Lavéra (13), qui produit du biogaz. Toutefois, pas un des sites cités n’a pour l’heure décidé d’arrêter l’activité raffinage. Or cela représenterait une réelle montée en intensité dans la mobilisation puisque, une fois mises à l’arrêt, les cuves peuvent mettre entre une et deux semaines à redémarrer.

 

Dans les ports, des dockers aux marins, la grève coordonnée pour « tout paralyser »

 

Dans les ports, la CGT annonçait hier 100 % de grévistes chez les dockers et 70 % chez les portuaires. Le syndicat appelait cette semaine à trois jours de grève de mardi à jeudi. Demain la CGT annonce une journée « ports morts » avec des blocages. Le soir, elle se prononcera sur la suite du mouvement dans son secteur.

 

La mobilisation étudiante s’étoffe doucement

 

Sans atteindre l’ampleur qu’elle avait pu connaître lors d’autres mouvements sociaux, la mobilisation étudiante a atteint un bon niveau ce mercredi. Selon le syndicat l’Alternative, une cinquantaine d’établissements sont bloqués. Le 7 mars, le même syndicat en annonçait une quarantaine. Des blocages ont ainsi eu lieu à Lille, Grenoble, Montpellier, Lyon et même dans des universités peu habituées à ce type d’actions comme celle de Versailles Saint-Quentin.

En région parisienne, peu d’établissements ont été bloqués. Mais dans certaines universités comme celle de Nanterre, les absences ont été banalisées suite à la demande des étudiants, ce qui les a convaincus de ne pas procéder à des blocages. Dans cette université, l’AG a réuni 150 personnes le 14 mars. « On a un comité de 50-60 personnes qui font des actions au quotidien dans la fac, en étant en lien avec l’AG interpro », souligne Victor Mendez, président de l’UNEF-TACLE Nanterre. La mobilisation des étudiants pourrait se poursuivre dans les prochains jours. « On n’a aucune hésitation. Pourquoi nous les étudiants, on ne ferait pas le choix de continuer le mouvement dans les prochains jours ? » interroge Victor Mendez. Une coordination nationale étudiante a lieu ce dimanche 19 mars. La dernière avait réuni des étudiants de 28 villes.

Du côté des lycéens, la mobilisation a semblé plus timide. Selon la FIDL, des « dizaines de lycées » étaient bloqués. Le 7 mars, le même syndicat lycéen annonçait 250 lycées bloqués. Une contre-performance dont la FIDL se dit consciente : « ce chiffre est effectivement moins fort que le mardi 7 mars. Cela s’explique par le fait que les épreuves de spécialité se tiendront les 20, 21 et 22 mars », souligne-t-elle dans un communiqué. Cependant, l’intersyndicale lycéenne devrait bientôt se réunir pour décider des suites du mouvement « qui se traduiront par une accentuation des actions ».

 

Grève du 15 mars : des manifestants moins nombreux

 

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le nombre de manifestants dans plusieurs grosses villes de France, dont Paris, n’est pas encore connu. Mais force est de constater que les premières manifestations de la journée marquent une moindre mobilisation par rapport aux précédentes dates. Au Havre, 30 000 personnes (5 600 selon la Préfecture) ont défilé, contre 45 000 (10 000 selon la Préfecture) le 7 mars. A Montpellier 12 000 personnes, Rennes 15 000 personnes, Grenoble 19 000 personnes, ou Clermont-Ferrand 12 000 personnes selon les syndicats. Le nombre de manifestants a été divisé par trois par rapport au 7 mars et est proche des manifestations de samedi dernier.

Enfin, Marseille a réuni 160 000 personnes contre 245 000 personnes une semaine plus tôt. Encore davantage que d’habitude, la cité phocéenne s’est démarquée par un énorme écart entre les chiffres des syndicats et de la Préfecture. Cette dernière n’a compté que 7 000 manifestants, soit plus de 20 fois moins que les syndicats, contre 30 000 le 7 mars.

Pour autant, même amoindries, les manifestations restent à un niveau non négligeable. Ce soir le ministère de l’Intérieur évaluera probablement la journée autour de 400 000 manifestants partout en France. A titre de comparaison, la place Beauvau annonçait 107 000 manifestants dans tout le pays lors de l’importante mobilisation sur les salaires le 18 octobre dernier, alors que les raffineries étaient bloquées.

Pour autant, avec une mobilisation en baisse, malgré une détermination présente dans plusieurs secteurs, les choix de l’intersyndicale pour la poursuite du mouvement vont s’avérer complexes. Ce soir, elle ne devrait annoncer que des rendez-vous pour demain, le 16 mars, jour du vote au Sénat et à l’Assemblée nationale du texte final. Puis se prononcer demain soir, une fois que l’on saura si le gouvernement a besoin d’un 49-3 pour faire passer la réforme des retraites au parlement.