sans-papiers la Poste grève

Devoir de vigilance : La Poste sera la première entreprise jugée au fond le 19 septembre


Trois ans après le début des procédures engagées par le syndicat Sud PTT, le groupe la Poste comparaîtra au tribunal judiciaire de Paris mardi 19 septembre, dans le cadre de l’application de la loi sur le devoir de vigilance, dont l’objet est de prévenir des atteintes aux droits de l’homme ou à l’environnement. Une affaire qui s’inscrit dans le cadre de la grève des travailleurs sans papiers de DPD et Chronopost qui dure depuis deux ans.

 

C’est la première fois qu’une entreprise est jugée sur le fond, devant un tribunal, grâce à cette loi votée en 2017. Et c’est une entreprise dont les capitaux appartiennent à l’État, via la Caisse de dépôts et consignation.  Le groupe La Poste est accusé par le syndicat Sud PTT d’avoir manqué à son devoir de vigilance vis-à-vis de son sous-traitant Derichebourg, qui a fait travailler des sans-papiers pour deux de ses filiales : Chronopost à Alfortville (94) et DPD au Coudray Montceaux (91). En lutte depuis bientôt deux ans, ces travailleurs sans-papiers se battent encore pour obtenir leur régularisation, alors que le lien de travail a été établi pour plusieurs d’entre eux avec leur employeur.

« La poste, ils sont sur une ligne : « il y a le Code du travail circulez rien à voir. Deuxièmement les affaires des fournisseurs ce n’est pas notre problème ». Mais ils n’ont pas bien compris la teneur de la loi sur le devoir de vigilance », explique Nicolas Galepides, secrétaire général de la fédération Sud-PTT qui mène cette bataille judiciaire.

 

Un manque d’action face à l’emploi de sans-papiers, selon Sud PTT

 

Dans cette affaire où sous-traitance en cascade se mêle avec l’emploi de travailleurs sans-papiers, le groupe La Poste s’est toujours défaussé sur son sous-traitant Derichebourg. « Le point principal de la mise en demeure qui a conduit la Poste devant le tribunal, c’est l’absence d’une cartographie des risques, qui aurait dû obliger La Poste à publier une liste de ses sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle a entretenu une relation commerciale », précise Nicolas Galepides. Surtout, le syndicat pointe l’absence de mesure concrète pour alerter et protéger les travailleurs sans-papiers embauchés par son sous-traitant.

Dans son courrier de mise en demeure adressé à la Poste en 2020, Sud PTT écrit : « La loi Devoir de vigilance ne se limite pas à une obligation « documentaire » de publication d’un plan, mais doit nécessairement faire l’objet d’une mise en œuvre effective ».

La Poste, qui n’a pas souhaité répondre à Rapports de force, défend une tout autre ligne. Dans ses réponses à la mise en demeure du syndicat, elle indique que concernant le devoir de vigilance, le groupe « s’est pleinement conformé à ces obligations », tout en ajoutant qu’il a « mené son premier exercice de cartographie des risques en novembre 2017 […] le reconduit chaque année, afin d’identifier les risques auxquels le groupe est confronté à travers ses process, et de les évaluer ».

Une posture de « déni », dénonce Sud PTT, qui entend bien prouver lors de l’audience que le groupe n’a pas pris de mesures effectives face aux risques de travail illégal, au prêt de main-d’œuvre illicite et du non-respect des obligations pour le personnel des sous-traitants. Argument qui plaide en faveur du syndicat, le sous-traitant de La Poste, l’entreprise Derichebourg, mise en cause aujourd’hui, l’avait déjà été dans ce même Chronopost à Alfortville en 2019. Déjà pour l’emploi de travailleurs sans-papiers.

 

Une deuxième accusation sur la gestion du harcèlement sexuel

 

Sud PTT n’invoque pas seulement l’emploi de travailleurs sans-papiers  pour attaquer la Poste. La gestion du harcèlement sexuel par le groupe pose aussi des questions au regard de la loi sur le devoir de vigilance. Si La Poste assure avoir mis en place un dispositif de traitement du harcèlement sexuel et moral au sein du groupe, celui-ci n’a pas été retranscrit sous forme de mesures concrètes dans le plan, déplore Sud PTT. Sur le terrain, le syndicat constate que les auteurs soupçonnés de harcèlement sexuel demeurent trop souvent sur le même site que leurs victimes. Y compris pendant le déroulement des enquêtes internes. Parfois même, “ils éloignent la victime, tandis que l’agresseur ne bouge pas”, accuse Nicolas Galepides. SUD PTT demande à ce que des mesures précises soient détaillées dans le plan de vigilance, et émet plusieurs propositions à ce sujet : création d’un pôle indépendant, formation des managers, outil de signalement dédié…

 

Devoir de vigilance : la première affaire à être jugée sur le fond

 

La loi de 2017 sur le devoir de vigilance a été votée quatre ans après le drame du Rana Plaza au Bangladesh, le 24 avril 2013, où plus de 1000 travailleurs et travailleuses ont perdu la vie dans l’effondrement de cet immense atelier. Ils fabriquaient des vêtements  pour des marques occidentales comme Benetton, Mango ou H&M. Utilisée principalement pour prévenir et empêcher des atteintes aux droits de l’homme ou à l’environnement, la loi donne aux entreprises donneuses d’ordre une plus grande responsabilité vis-à-vis de ses sous-traitants. Au moment de son adoption en 2017, le gouvernement français précisait : « L’obligation mise à la charge des sociétés concernées n’est donc pas une simple obligation documentaire, mais une obligation de moyens pour mettre en œuvre les mesures de vigilance prévues par la loi ».

« La seule affaire jugée au fond depuis l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, ce sera la nôtre », se félicite Nicolas Galepides. Depuis 2017 en effet, le devoir de vigileance est au coeur de 18 affaires judiciaires. Six en sont restées au stade de la mise en demeure et douze ont franchi l’étape de l’assignation en justice, recense l’agence de presse AEF. Une seule a été au bout des étapes judiciaires successives : l’affaire TotalEnergies en Ouganda. Pendant trois ans, le bras de fer judiciaire dans ce dossier a consisté à déterminer qui, du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, était compétent pour juger TotalEnergies… En bout de course, les associations ont été déboutées par un juge des référés s’estimant incompétent pour juger l’affaire. Cette fois, le groupe La Poste sera directement jugé au tribunal judiciaire de Paris : ces juges se prononceront sur le fond du dossier.

 

Des travailleurs sans papiers toujours mobilisés

 

En grève depuis octobre 2021, une centaine de travailleurs sans-papiers intérimaires poursuivent leur mobilisation depuis bientôt deux ans. « La responsabilité de La Poste, c’est quelque chose qu’on dénonce depuis 21 mois. Derichebourg savait qu’on était sans papiers, Chronopost aussi, ils n’ont jamais voulu nous donner des badges pour accéder au site.  Si Chronopost savait, alors La Poste savait », pointe Aboubacar Dembélé, l’un des porte-parole des grévistes. Tout en bas de l’échelle, ce sont les premières victimes d’un présumé manquement au devoir de vigilance de la Poste. Alors que 17 travailleurs du site d’Alfortville attendent toujours d’être régularisés, le combat se poursuit  avec une centaine d’autres travailleurs sans-papiers, venus les soutenir de partout en Île-de-France depuis deux ans. « Ce procès nous motive dans la lutte, il est très important, dit Aboubacar Dembélé. Je ne sais pas si ça peut nous aider pour les régularisations, mais le fait que La Poste passe devant un tribunal, ça nous donne des arguments face à la préfecture », souligne-t-il. Lui et la centaine de grévistes se rassembleront au TGI de Paris avant le procès, mardi 19 septembre.

 

Simon Mauvieux et Maïa Courtois.