Lyon : « Je suis allée me changer avant la manif, j’étais habillée en meuf de droite. »


 

Acquise aux cathos, repaire de fachos, bastion de la Macronie, Lyon a la réputation d’être « une ville de droite ». Ici, les manifestations syndicales partent depuis une fac réac et les écarts entre les chiffres de la CGT et ceux de la police sont bien moins grands que dans les autres villes. Mais comme on voulait pas rester bête, on a quand même fait un reportage dans la manif contre la réforme des retraites.

 

« Je suis allée me changer avant la manif, j’étais habillée en meuf de droite », se marre Gabrielle, que l’on cueille dans le cortège jaune et noir qui précède la banderole syndicale de tête. Étudiante en troisième année de droit privé et finance, ça lui a fait faire un sacré détour de repasser chez elle puisque le point de départ de la manif lyonnaise, c’est son campus : « la fac de bourges de Lyon 3 ». Quelques minutes plus tôt on faisait justement un tour entre ses murs et rien ne laissait présager qu’un mouvement social de plus de 50 jours démarrait sa manifestation à quelques mètres. A peine si quelques étudiants trotskistes s’étaient motivés pour vendre le journal Lutte Ouvrière à l’entrée, dans l’indifférence générale.

 

 

Avec ses cheveux courts et sa pêche à défriser Edouard Philippe, Gabrielle nous sermonne : « Lyon 3 est imbougeable, pourtant il y a des gauchos dedans, il faudrait que Lyon 2 viennent nous aider. » La petite taille du cortège réuni ce-jour-là, 7000 manifestants selon le comptage de la CGT, 3 500 selon la préfecture, n’est pas de nature à lui donner du baume au cœur. Concernant la bataille des retraites, elle pense que le gouvernement ne lâchera pas l’affaire. « Par contre je pense qu’il va y avoir un drame. J’habite dans un endroit bien placé en ville et je vois toutes les manifestations passer, tout le dispositif policier, quasi militaire, se mettre en place, c’est un truc de fou. J’ai vu des flics taper sur des mecs en moto, gazer toute une place pour dix personnes. C’est n’importe quoi. C’est pour ça que je pense qu’un jour ça va péter. »

Sans entrer dans les mêmes considérations de long terme que Gabrielle on se demande tout de même pourquoi il y a moins de monde aujourd’hui que d’habitude. Un petit groupe de militants libertaires y va de son hypothèse : « Vouloir faire la manifestation le mercredi, c’est-à-dire le premier jour de la séquence de trois jours posée par les syndicats, ça ne permet pas d’avoir des jours libres pour préparer la manifestation en amont, pour en parler dans les boîtes. »

 

« Non à la retraite Art-Discount »

 

Au niveau de la Guillotière, des jets de projectiles entrainent un léger gazage policier, le cortège reflue un peu et on tombe nez-à-nez avec Frédéric Torres, chef machiniste à l’opéra de Lyon et syndiqué SUD. Ça nous rappelle une sombre histoire : le 17 décembre alors que le mouvement contre la réforme des retraites vit sa deuxième grosse journée de mobilisation, la grève à l’opéra de Lyon empêche la tenue du Roi Carotte, un opéra-bouffe en mesure de fédérer ceux qui sont bien souvent à la fois riches, vieux et pas très copains avec les grévistes : les bourgeois lyonnais. « On a annoncé à la salle qu’il n’y aurait pas de spectacle suite au mouvement social, explique Frédéric, c’est là qu’ils se sont mis à nous huer. » La vidéo fait le tour des réseaux sociaux et révèle le fossé politique qui sépare les travailleurs de l’opéra de leur public. « Sauf que ça, c’est que le début de l’histoire, complète Frédéric, le lendemain on a refait notre discours devant le public, sans annuler la représentation, et ce coup-ci on a été applaudis. »

 

 

Que diable allaient-ils faire dans ce cortège ?

 

Alors que le trajet se termine, on passe devant l’ancien Hôtel Dieu lyonnais, devenu un centre commercial de luxe. Le camion en tête de cortège se fend d’un petit discours sur la marchandisation de la santé, la destruction de la sécurité sociale et donc de celle de notre système de retraite. Quelques minutes plus tard des bombes de peintures noires viennent en effleurer la façade malgré le dispositif policier impressionnant qui le protège. A quelques mètres, le service d’ordre, bras-dessus, bras-dessous chante l’Internationale.

 

 

C’est là qu’on aperçoit une bonne cinquantaine de quinquagénaires armés de drapeaux Syndicat National de l’Environnement (SNE). Woaw. Quel est donc ce syndicat qu’on n’a jamais vu et qui peut ramener autant de personnes en manifestation ? « Le SNE-FSU est le syndicat majoritaire aux ministères de la transition écologique et de la cohésion des territoires », nous expose Patrick Saint-Léger, son secrétaire général. On déchante vite : s’ils sont aussi nombreux, c’est parce qu’ils ont le conseil national de leur syndicat à Lyon aujourd’hui. Ils vont y choisir leur ligne stratégique pour les prochaines années. « Vous vous rendez compte : le ministère de l’écologie est celui qui, en pourcentage, voit le plus ses effectifs diminuer. L’écologie est reléguée au second plan alors qu’on fait croire partout que c’est une priorité du gouvernement », s’indigne le secrétaire général.

Comme dans beaucoup de secteurs de la fonction publique, le syndicat n’est pas uniquement là pour sauver les retraites mais aussi pour lutter contre la réduction de ses effectifs. Finalement, le cortège lyonnais, avec ses gilets jaunes, ses syndicalistes et ses étudiants agrège tous types de colère. Jusqu’à permettre leur structuration : à la suite de la manifestation, la première AG Interprofessionnelle s’est tenue à la bourse du travail de Lyon.