C’est un mode de lutte qui se multiplie ces derniers mois : les mineurs isolés, ces jeunes exilés arrivés seuls sur le territoire français, s’auto-organisent. Des collectifs de jeunes fleurissent dans plusieurs villes de France, inspirés par le modèle des jeunes de Belleville, à Paris. Manifestations, occupations de lieux, négociations en préfectures : ces mineurs prennent la parole par eux-mêmes, pour eux-mêmes, afin de revendiquer leur droit à la régularisation, à l’hébergement, à la santé ou encore à la scolarisation.
Le bras-de-fer entre la mairie de Paris, l’État et les occupants du lieu culturel la Gaité Lyrique, à Paris, a fait des remous ces dernières semaines. 200 mineurs isolés, coordonnés par le Collectif des jeunes de Belleville, maintiennent l’occupation depuis le 10 décembre. Si la lutte des mineurs isolés de région parisienne est la plus visible, les collectifs auto-organisés de jeunes exilés, arrivés seuls sur le territoire, se multiplient.
Depuis l’automne 2024, il existe d’ailleurs une coordination nationale. Fin janvier 2025, huit collectifs – Toulouse, Marseille, Lille, Paris, Rouen, Rennes, Clermont Ferrand et Tours – se sont réunis à Paris. Pendant trois jours, ateliers et discussions leur ont permis d’échanger sur leurs stratégies de lutte et leurs revendications.
À l’origine de ce mouvement : le collectif des jeunes de Belleville, formé en septembre 2023 par des jeunes sans-abri dormant dans le parc de Belleville, dans la capitale. « On s’est dit que la solution n’était pas de rester cachés, mais bien de représenter la voix des mineurs isolés pour toutes les personnes qui ne savent pas que nous existons », retrace Abdoulaye, l’un des délégués du collectif. « Car c’est ce que l’État cherche à faire : nous invisibiliser ».
Le collectif, très actif depuis un an et demi, enchaîne les manifestations, les rassemblements devant des préfectures et mairies, ou encore devant des rectorats pour que des jeunes puissent être scolarisés. Mais aussi des occupations de lieux appartenant à la mairie de Paris, comme la maison des Métallos ou la Gaité lyrique aujourd’hui. « On a compris que c’est en faisant ce genre d’actions que l’on obtenait des solutions », souligne Abdoulaye, la voix déterminée. « Quand tu es un immigré ici, tout ce que tu obtiens, tu l’arraches ! »
« Si personne ne parle pour nous, on sera plus écoutés »
Les luttes et les victoires du collectif de Belleville ont circulé dans d’autres villes, et inspiré d’autres jeunes. D’abord, il y a eu des contacts individuels. Abdoulaye s’est retrouvé à expliquer par téléphone comment son collectif était parvenu à débloquer des accès aux droits. « J’ai commencé à parler avec des jeunes de quelques régions comme ça. Puis, on s’est dit que ce serait mieux que d’autres jeunes encore puissent voir que c’est possible de s’organiser. »
Une première rencontre a lieu en septembre 2024. « Les personnes présentes ont rapporté ce qu’on s’était dit dans cette rencontre, à la suite de quoi, d’autres collectifs se sont formés ». C’est le cas à Rouen, par exemple : « on ne savait pas quels étaient nos droits. Mais à travers ces échanges, nous avons su qu’on avait tous le droit à l’éducation ici sur le territoire français ; à l’hébergement ; aux soins de santé. Et que ces droits, on pouvait manifester pour les réclamer », se souvient un autre Abdulaye, basé à Rouen. Depuis lors, leur collectif de Rouen compte une cinquantaine de jeunes.
Puis, une seconde rencontre a lieu, lors du dernier week-end de janvier 2025. Huit collectifs y étaient présents : « Les jeunes qui venaient à peine de se former avaient compris que personne d’autre ne pouvait les aider à part eux-mêmes. Car le racisme, c’est eux qui le subissent directement ; les injustices, c’est eux qui le subissent directement », martèle Abdoulaye. Lors de ce week-end de janvier, « on a appris comment faire pour être scolarisés », raconte par exemple Ibrahima, un autre membre du collectif de Rouen. Une fois de retour dans sa ville, avec les autres délégués, « on a réussi à inscrire tous les jeunes du collectif au CIO (centre d’information et d’orientation). Une semaine après, on a eu des rendez-vous pour passer des tests. Là, on attend les orientations vers des classes ».
Aujourd’hui, un groupe whatsapp regroupe les délégués des différentes régions et concentre 11 collectifs. À savoir : Rennes, Marseille, Clermont, Belleville-Paris, Lyon, Saint Etienne, Lille, Toulouse, Besançon, et Tours, le plus récent.
« Ça nous prépare au futur, à être indépendants »
Le collectif de jeunes de Tours est en effet le dernier en date à s’être créé, il y a deux mois. Premier fait d’armes : l’organisation d’une manifestation, le 19 février, contre la circulaire Retailleau qui durcit l’accès au marché du travail et à la régularisation. C’est l’association Utopia 56 qui a poussé ces jeunes à s’auto-organiser. « Avant, l’association faisait tout pour nous, organiser les manifestations à notre place, appeler les médias, tout ça », retrace Abdul, l’un des porte-paroles. « Alors on s’est dit : si nous, on parle ; et que personne ne parle pour nous ; alors, on sera plus écoutés. »
Suite à la manifestation du 19 février, quatre jeunes du collectif ont été reçus par un adjoint au préfet. Ils lui ont parlé des délais d’examen trop longs pour obtenir un titre de séjour, ou une autorisation de travail, malgré les promesses d’embauche. Ils ont épinglé la délivrance d’OQTF (obligation de quitter le territoire français) à des jeunes intégrés dans un parcours d’études ou d’apprentissage. « En parlant comme ça, ça nous prépare au futur : à être indépendants, à régler les problèmes par nous-mêmes », souligne Abdul.
Avant, « certains d’entre nous n’osaient pas parler. Mais à travers le collectif, on se fait plein de connaissances. C’est une lutte qui n’est jamais vaine. Il y a toujours une suite, et parfois on trouve des solutions, soit le jour même, soit plus tard. » Bien sûr, au tout début, « ça n’a pas été facile de motiver tout le monde », admet Abdul. « Il y a des jeunes qui avaient peur que leur image soit publiée par exemple. Mais après la manifestation que nous avons fait, ça a convaincu beaucoup de monde. »
Avoir « les mêmes revendications dans différentes régions »
Deux fois par mois, des réunions entre les membres du groupe Whatsapp ont lieu pour s’entraider sur les luttes locales et porter aussi un plaidoyer à l’échelle nationale. Avoir un toit, être régularisé, pouvoir se soigner et circuler dans les transports publics. Telles sont les principales revendications, partagées partout, par ces collectifs de mineurs isolés. « C’est hyper important de coordonner nos luttes : ce sera plus visible si on a les mêmes revendications dans différentes régions. Ça va donner plus de force, plus de poids », insiste Abdoulaye, du collectif de Belleville.
La coordination nationale a aussi pour volonté de changer la perception, dans le grand public, des mineurs isolés. Des jeunes « à qui les dirigeants politiques ont mis une étiquette de délinquance, de personnes dangereuses – alors que nous sommes plutôt en danger, car abandonnés à nous-mêmes », précise Abdoulaye.
Enfin, au niveau local comme national, chaque collectif veille à créer des liens avec d’autres organisations. « Tout cela, c’est lié au capitalisme, à l’extrême droite, aux personnes contre les immigrés, donc c’est important pour nous d’avoir des liens avec les syndicats – la CGT et Sud’Education chez nous, par exemple – et des élus. Pour dire qu’on ne fera pas partie d’une société où l’Etat autorise la violence, le sexisme, la xénophobie », martèle Abdoulaye.
Tous les jeunes interrogés appellent d’autres villes à les rejoindre. « Le but de ces collectifs, c’est uniquement de faire valoir nos droits. Nous les mineurs isolés, nous avons droit à l’éducation, à être hébergés pendant nos démarches administratives, aux titres de transport, à la santé. On ne demande pas la charité. On veut juste que l’État assume ses devoirs et ses responsabilités », conclut Seydou, l’un des délégués du collectif de Rouen. Avant de confier : « vu la situation politique actuelle, franchement, nous les jeunes, nous n’avons aucun espoir envers cet État raciste qui ne fait que faire la guerre aux mineurs isolés. Chacun de nous a risqué sa vie pour être là aujourd’hui et parfois, on se demande si ça valait le coup de risquer sa vie pour venir souffrir ici. Mais on ne va jamais baisser les bras ou se décourager. C’est notre avenir et nos rêves qui sont en jeu. »
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