Mouvement social cherche grève reconductible

 

De façon inédite l’intersyndicale nationale a appelé à trois journées consécutives de mobilisation les 9, 10 et 11 janvier 2020. Un temps fort de grève le 9, des manifestations le samedi, et un encouragement à reconduire la grève dès le 10 janvier. Qu’en pensent les grévistes du 9 janvier ? Reportage dans la manifestation toulousaine.

 

Tout le temps en vacances les profs ? Pas sûr. Cet hiver à Toulouse, les plus mobilisés ont multiplié les actions pendant la période de fêtes : assemblées générales aux côtés des cheminots, tractage ou encore chorale en plein air. Si pour certains, il n’y a pas vraiment pas eu de trêve, ce 9 janvier marque néanmoins le retour de ce secteur largement mobilisé dans la grève. Quand on demande à ses collègues comment se passe la grève dans leur bahut, le lycée Toulousain « Rives Gauche », elles nous aiguillent vers Manu, syndiqué Sud éducation. Lors des deux autres temps forts de la mobilisation contre la réforme des retraites, le 5 et le 17 décembre, les enseignants de son lycée étaient mobilisés à près de 70%. « Entre ces deux dates, la grève a été beaucoup moins suivie. Je ne sais pas si l’appel sur trois jours de l’intersyndicale va mobiliser davantage, le mouvement social évolue semaine après semaine sans qu’on ait vraiment de visibilité. », détaille le trentenaire.

En bon prof d’histoire, il note toutefois que, sur un temps plus long, le mouvement enseignant reprend de la vigueur. « L’an dernier, lors de la mobilisation contre la réforme du lycée, je crois qu’on a brisé le spectre de 2003 (NDLR les enseignants avaient subi une grosse défaite malgré une grève reconductible de plusieurs mois). Nous avons cassé la communication de Blanquer, une dignité a été retrouvée, nous avons pu mobiliser sur les retraites grâce à cela. Est-ce que ça suffira pour gagner ? Peut-être, je pense que le gouvernement peut céder. » Lorsqu’on lui demande si ce n’est pas trop dur de gagner une bataille avec seulement deux gros secteurs mobilisés massivement : les enseignants et les cheminots, il acquiesce : « C’est vrai qu’à Paris, il y a la RATP qui est un point de fixation et permet d’avoir un impact fort sur l’économie. A Toulouse, certes ça relève du fantasme, mais si Airbus se mettait massivement en grève ne serait-ce qu’un jour…le rapport de force serait différent. »

 

Difficile de reconduire

 

Ludovic ne bosse pas chez Airbus, mais pas loin. Il est inspecteur qualité chez Atos Aéronautique, premier sous-traitant du géant Français de l’aéronautique dans la qualité, et syndicaliste Force Ouvrière. Il a interprété différemment l’appel à la grève de l’intersyndicale dont son syndicat est signataire. « Il y a appel à la grève le 9 janvier et à la manifestation le 11. Je n’ai pas entendu parler du 10. » La grève reconductible, cela lui paraît bien loin. « Avec un taux de syndicalisés d’environ un tiers dans une boîte de 440 salariés, dont 75% chez FO, nous sommes une vingtaine de grévistes aujourd’hui. » La raison ? « Nous gardons du jus pour une grève que nous prévoyons de faire autour du 20 janvier », explique-t-il. « Dans la boîte nous sommes obligés de porter des Équipements de Protection Individuel (EPI), mais on ne nous paie pas de contrepartie pour ça, même si c’est la loi. Nous allons exiger de l’avoir enfin et pour ça il faudra faire débrayer massivement. Du coup, nous ne pouvons pas demander aux gens de faire grève tout le temps. Sans ce combat dans la boîte, alors oui, on aurait mobilisé plus largement. »

Franck, malgré son gilet CGT cheminot sur le dos, marche avec ses deux collègues à l’écart du cortège syndical. A l’heure où le secrétaire général de la CGT cheminots se réjouit d’un taux de gréviste qui repart à la hausse après les fêtes, avec 44,2% de grévistes à l’échelle nationale, lui et ses deux collègues ne respirent pas franchement la joie de vivre. Franck se qualifie lui même de « pas très fort pour les interviews ». Il est conducteur et depuis le 5 décembre, il n’a pas mis un pied au boulot « Pour moi c’est faisable, je n’ai ni femme ni enfant, pour d’autres ça commence à être compliqué tous ces jours de grève ». Lui et ses deux collègues semblent presque s’être résignés à la reconductible. « Le matin on voit partir les gens au boulot, nous on va en manifestation… », « L’appel de l’intersyndicale ? Mais nous on se demande pourquoi les gens ne nous ont pas rejoint dans la rue longtemps avant ! Ils n’ont pas compris que cette réforme était mauvaise ou alors c’est nous qui sommes complètement cons ? », ironise son voisin de cortège.

 

Plus de radicalité ?

 

Pour Gaëtan, militant trotskyste au courant communiste révolutionnaire du NPA, habitué de la critique des confédérations syndicales : « L’appel de l’intersyndicale nationale n’est pas très clair et je pense que plus le temps passe, plus il difficile de mobiliser, plus l’intersyndicale peut avoir tendance à faire des appels radicaux. » Délégué syndical CGT aux Ateliers de la Haute-Garonne, entreprise de 250 salariés qui fabrique des rivets pour l’aéronautique, il partage pourtant les constats sur la difficulté à mobiliser dans le privé. « Dans ma boîte, qui n’avait pas connu de syndicat depuis les années 1970 avant qu’on ouvre la section CGT en 2017, nous avons réussi à faire débrayer 17 grévistes le 5 décembre et à peine un peu moins le 17. Sur leur bulletin de salaire, ils ont pris cher, la grève leur a fait perdre une prime de productivité qui est très importante dans la boîte. Une vraie arme anti-grève.  Du coup quand je suis allé voir le noyau dur des collègues pour savoir s’ils faisaient grève aujourd’hui ils m’ont tous dit non. »

Dans l’énergie – environ 11 000 travailleurs en Haute-Garonne et dans les départements limitrophes – si la grève est forte les jours de manifestation nationale, la reconduction reste faible. Noémie, syndiquée CGT dans l’énergie pense que la suite de la mobilisation dans son secteur sera rythmée par des grosses actions, comme des coupures de courant et par la radicalité des jeunes salariés qu’elle trouve particulièrement actifs « Ils entrent dans une profession qu’ils trouvent complètement déconsidérée par le gouvernement, leur réaction est épidermique. » L’AG de l’énergie qui s’est tenue à 13h rassemblera finalement plus de 250 participants et une action d’ampleur la semaine prochaine sera effectivement votée. « On a choisi de monter la pression d’un cran jusqu’au 22 janvier, jour prévu pour la présentation du projet de loi sur les retraites. »