À nouveau, les travailleurs sociaux (handicap, grand âge, protection de l’enfance…) étaient en grève nationale, ce 1er février. Dans la foulée de leur mobilisation inédite du 7 décembre, ce rendez-vous visait à maintenir la pression. Et pour cause : une Conférence nationale des métiers de l’accompagnement social et médico-social se tiendra mi-février. Or, les pistes envisagées par le gouvernement, loin de répondre aux attentes des salariés, soulèvent leurs inquiétudes.
« Il va falloir revenir, encore et encore et encore » martèle Noureddine, d’une voix forte amplifiée par un haut-parleur. Éducateur de rue en Seine-Saint-Denis, exerçant dans la prévention spécialisée, ce salarié n’en est pas à sa première manifestation. Il était au rendez-vous toutes les fois où une grève nationale des travailleurs sociaux a été lancée : le 11 et le 27 janvier ; ou encore le 7 décembre. Ce jour-là, « c’était du jamais vu », se souvient-il. Entre 55 000 et 80 000 manifestants avaient défilé partout en France.
Ce 1er février, seules 6 000 personnes, selon les estimations syndicales, composent le cortège parisien. D’après les premières remontées de terrain, on dénombrait aussi 1500 manifestants à Nantes, 600 à Nîmes, 450 à Poitiers, 700 à Grenoble… Une mobilisation « moindre que le 7 décembre, mais toujours pêchue », commente Ramon Vila, secrétaire fédéral SUD Santé Sociaux.
L’appel à la grève nationale a de nouveau été porté par l’ensemble des syndicats de salariés du secteur (Sud, CGT, FO, CNT…), et des collectifs de travailleurs sociaux. Les accords du Ségur, signés à l’été 2020, ont laissé de côté des branches entières de professionnels, créant des différences de traitement au sein d’un même établissement. Depuis, les travailleurs sociaux descendent régulièrement dans la rue pour exiger, entre autres, la revalorisation de leurs salaires.
Une grève des travailleurs sociaux qui « ne s’essoufle pas »
Au milieu du cortège, Violette, éducatrice depuis douze ans dans le secteur du handicap, rappelle pourtant à quel point il est difficile de faire grève. D’une part, cela a des conséquences sur les fins de mois, alors que les bas salaires sont légion. Surtout, cela signifie rompre l’accompagnement. « C’est compliqué de demander aux familles de récupérer les personnes chez elles », souligne-t-elle. Elle et ses collègues sont venues à la manifestation parce qu’une réunion était prévue cet après-midi. L’impact sur le fonctionnement de leur structure est donc moindre.
Elles s’étaient aussi arrangées pour être là le 7 décembre. En douze ans, « c’est la première fois qu’il y a autant de manifestations à si peu d’intervalles. C’est bon signe, ça ne s’essoufle pas » positive Violette.
Si le mouvement reste dynamique, malgré la difficulté de se mobiliser, c’est aussi parce que la colère ne retombe pas face à l’absence de réponse gouvernementale. Depuis l’été 2020, aucun cadre de négociation réel n’a été ouvert par le ministère des Solidarités et de la Santé. Sollicité, celui-ci n’a pas, pour l’heure, répondu à nos questions.
Une campagne de recrutement observée avec méfiance
Quelques avancées émergent cependant en ce début d’année. Le 4 janvier, une circulaire interministérielle, adressée aux préfets, directions départementales de l’emploi et agences régionales de santé, a lancé une campagne de recrutement. Le sanitaire, le grand âge et le handicap sont les secteurs concernés. Dès février, une campagne de communication doit être menée auprès du grand public.
Marthe, cheffe de service dans un centre d’activité de jour pour adultes en situation de handicap, confirme faire face à des difficultés de recrutement « inédites ». Elle travaille depuis huit ans dans le secteur. « Nos métiers intéressent moins, parce qu’ils ne sont pas valorisés. Ni au niveau des salaires, ni au niveau de la protection dans notre travail », regrette-t-elle. Dans sa structure, par exemple, cela fait deux mois qu’un poste est à pourvoir.
Mais la cheffe de service n’est pas convaincue, a priori, par cette campagne de recrutement. « S’il s’agit d’ouvrir à un maximum de monde, il faut savoir qu’on en a plein, des gens qui postulent alors qu’ils viennent de boulots éloignés de notre secteur et n’ont pas les diplômes… On se retrouve, parfois, à devoir les recruter », soupire-t-elle.
Conférence nationale des métiers : « je ne me fais pas d’illusions »
Le gouvernement a aussi fixé un rendez-vous important, en ce premier trimestre 2022 : la Conférence nationale des métiers de l’accompagnement social et médico-social. Plusieurs fois repoussée, elle se tiendra le 18 février.
Teddy et Alicia, salariés au sein d’un foyer de vie pour personnes en situation de handicap, n’en attendent pas grand-chose. « Les politiques n’ont même pas connaissance de nos métiers, de nos établissements : foyers de vie, maisons d’accueil spécialisées, foyers d’accueil médicalisés… On part de zéro ! » estime Alicia. Le manque de reconnaissance, ancré depuis des années, laisse peu d’espoir à ces professionnels. « On a tellement été maltraités que je ne me fais pas d’illusions », résume Teddy. D’après lui, « on reste mis de côté, parce que les personnes que l’on accompagne sont déjà mises au ban de la société ».
Mobiliser les personnes accompagnées, ainsi que leurs familles, pourrait changer le rapport de forces aux yeux d’Alicia. « Ce sont les premières personnes concernées. Si elles se mobilisent davantage avec nous, on serait plus entendus ». Teddy, lui, aimerait que les responsables politiques visitent davantage les établissements sociaux et médico-sociaux. La méconnaissance de leurs métiers, de même que le manque de médiatisation de leurs luttes, est décrié par tous les travailleurs sociaux rencontrés ce 1er février.
L’inquiétude grandit autour de la refonte des conventions collectives
Obtenir l’extension de la prime Ségur (183 euros net par mois) à de nouveaux secteurs reste, pour ces manifestants, un horizon possible. L’enjeu sera au coeur de la conférence nationale du 18 février. Des pistes de revalorisation salariale seront aussi décortiquées dans un rapport commandé à l’Inspection générale des affaires sociales.
Mais au fil de ces derniers mois, un « deal » se dessine. Revaloriser les salaires, pourquoi pas… À condition de réformer en profondeur les conventions collectives. Une position de plus en plus assumée le gouvernement, en particulier depuis la mission Laforcade initiée fin 2020.
La fusion des deux conventions collectives principales du médico-social, la 51 et la 66, sont à l’ordre du jour. En tête du cortège parisien, Florence Pik, membre de la commission de mobilisation du travail social Île-de-France, appelle au micro ses collègues à la vigilance. Cette refonte aura pour objectif de « casser nos droits, casser nos congés », selon cette éducatrice spécialisée. « Ce serait catastrophique qu’ils nous abaissent les petits acquis sociaux que l’on a, autour des congés et des RTT… Et qui sont ridicules par rapport à d’autres secteurs », déplore Alicia.
Maintenir une dynamique nationale et locale
Peu satisfaits des perspectives qui se présentent à eux, les travailleurs sociaux entendent donc maintenir la pression. Teddy et Alicia se sentent encore l’énergie de participer aux grèves nationales, tant qu’il le faudra. « Jusqu’au bout », promettent-ils.
D’autres se feront entendre localement. « On est en train de construire, avec les collègues du Val d’Oise, un mouvement de grève pour les moniteurs et éducateurs qui sont les oubliés du Ségur », explique Adolphine. Cette éducatrice-coordinatrice « en colère », comme elle se présente en riant, travaille dans un foyer de vie pour personnes en situation de handicap. Quant à Noureddine, l’éducateur de rue, il est en train de constituer un collectif de prévention spécialisée du 93.
Du côté des organisations syndicales, plusieurs dates « vont s’imposer à nous », évoque Ramon Vila. Le 8 mars, par exemple. « On ne peut pas faire l’impasse dessus » : les métiers de l’accompagnement sont majoritairement exercés par des femmes. Le 15 mars également. « Ce sera l’anniversaire d’une des principales conventions collectives du secteur. Et c’est la journée mondiale du travail social », rappelle le responsable syndical. Et d’ici là, bien sûr, le 18 février. À l’occasion de cette conférence nationale des métiers, « il faudra que l’on se manifeste ».
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