grève jeu vidéo

Pourquoi une première grève nationale le 13 février dans le jeu vidéo ?

C’est une première, ce 13 février 2025, une grève nationale est lancée dans toute l’industrie française du jeu vidéo à l’appel du STJV. Quels sont les enjeux de cette grève ? Comment ce jeune syndicat fonctionne-t-il et a-t-il réussi à se structurer au point de lancer un appel national ? Entretien.

Interview de Luc*, syndicaliste au STJV (Syndicat des travailleurs du jeu vidéo).

On y réfléchit depuis longtemps mais il y a plusieurs raisons qui ont fait qu’on se lance enfin ce 13 février. Pour commencer, on pense avoir les forces nécessaires. Il y a de plus en plus de personnes syndiquées dans notre industrie et, au STJV (premier syndicat de la profession), nous avons presque atteint les 1000 adhérents (ndlr : il y a  entre 10 000 et 14000 travailleurs du jeu vidéo en France, selon le patronat, 4000 d’entre elles et eux travaillent chez Ubisoft). Nous syndiquons aussi les étudiants. On a également beaucoup plus de personnes élues qu’avant et on compte 23 sections syndicales. 

D’un autre côté, on remarque depuis 2 ans que les licenciements se multiplient dans l’industrie du jeu vidéo partout dans le monde, mais que des résistances existent. En France, mi-janvier, le studio Don’t Nod, qui fait partie des plus gros studios Français, a envisagé de se séparer de 69 employés sur 250. Plus de 100 salariés se sont mis en grève. La grève du 13 février 2025 est aussi pensée comme un message envoyé à nos collègues  licenciés à travers le monde et qui n’ont pas le droit de faire grève de la même manière que nous. On a des retours de syndicalistes du jeu vidéo dans d’autres pays qui nous disent que les actions qu’on fait en France les motivent à se syndiquer et à revendiquer leurs droits. 

Enfin, le 14 février 2024, une première grève très suivie a eu lieu chez Ubisoft : 700 salariés ont participé au mouvement. Au mois d’octobre 2024, Ubisoft a également connu plusieurs journées de grève particulièrement suivies. Lancer notre grève dans toute l’industrie un 13 février c’est aussi une manière de célébrer l’anniversaire de ce mouvement-là.

Il faut rappeler qu’en face de nous, on a des gens pétris du dogme néolibéral, qui pensent qu’ils n’ont à rendre compte de rien. La grève va permettre de se compter et d’envoyer un signal fort : vous ne pourrez plus faire sans les syndicats.

Par ailleurs, il y a quatre revendications majeures. La sauvegarde des emplois, l’amélioration des conditions de travail (voir notre article), la question du versement des subventions dans le secteur et la participation directe des travailleurs aux décisions des entreprises. 

Avec cette lutte, on souhaite aller plus loin qu’une lutte défensive sur les PSE. On doit être en capacité de poser la question de la répartition de l’argent public. Pourquoi cette industrie, supposément la plus grosse industrie culturelle française, est elle sous perfusion d’argent public ? Ubisoft touche entre 20 et 24 millions de crédit impôt. Quelles contreparties en retour ? De même, la question du pouvoir des salariés sur le travail est une revendication qui parle beaucoup dans le secteur du jeu vidéo, où de nombreux salariés quittent les grandes entreprises pour aller faire leur jeu dans leur coin. Dans un processus créatif, c’est extrêmement frustrant de ne pas avoir voix au chapitre sur ce qu’on est censé faire. Surtout quand les personnes en haut n’ont jamais fait de jeux vidéo et viennent imposer leurs lubies trouvées la veille au lieu d’écouter les gens qui font des jeux vidéo depuis beaucoup plus longtemps qu’eux.

Il faut savoir que le STJV n’a pas de locaux syndicaux nationaux. Depuis 2017, il fonctionne en grande partie à distance. Donc, le gros du travail de préparation en interne se passe via nos canaux de communication en ligne. On fait des réunions en en visios et on communique à l’écrit en asynchrone (ndlr : par forum de discussion).

La grève du 13 février se prépare depuis plusieurs mois. On s’est concerté dans les commissions qui gèrent les mouvements sociaux. Puis il y a eu la communication en ligne et les tractages directement dans et aux pieds des studios. Il y a aussi eu des ouvertures de sections syndicales spécialement pour avoir accès aux panneaux syndicaux et pour communiquer à propos de la grève. Beaucoup de gens, qui n’avaient pas l’habitude de faire du travail syndical, se sont mis à faire des choses pour nous aider. Nous avons aussi reçu une aide extérieure. Des développeurs indépendants ont mis en place une « Game jam » :  une opération de récupération de jeux qui seront ensuite vendus au profit de la caisse de grève du STJV.

Le choix de s’affilier à une grande confédération est très discuté en interne. A la création du STJV, il y a 8 ans, nous avons choisi de nous détacher de l’image d’un syndicat classique. On estimait qu’elle rebutait les gens, particulièrement dans le jeu vidéo où les salariés n’étaient pas particulièrement politisés et où on leur avait rabâché à quel point les syndicats étaient mauvais. Là-dessus, les patrons avaient bien appris de l’union busting (développement de tactiques antisyndicales, ndlr) utilisées par les Américains.

Aujourd’hui rejoindre une confédération aurait des avantages, comme avoir accès à de nouveaux moyens, travailler plus en interpro. Mais cela nous demanderait aussi de revoir notre fonctionnement, qui est plutôt unique. En attendant, on ne se prive pas d’agir avec d’autres syndicats, y compris en dehors du secteur des jeux vidéos. On a par exemple des liens avec les syndicats des artistes auteurs, l’informatique, avec l’animation. Quand il y avait eu la grève des éboueurs à Paris, pendant la réforme des retraites de 2023, on est venu en renfort. En ce qui concerne la grève dans le jeu vidéo de ce 13 février, Solidaires informatique Ubisoft a également appelé à nous rejoindre.

La difficulté dans le secteur du jeu vidéo, c’est qu’il y a une multiplicité de petits studios avec des conventions collectives parfois différentes. En face de nous, les syndicats patronaux sont donc le SNJV syndicat national du vidéo (Syndicat national du jeu vidéo) et le SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs). Et ils font sciemment en sorte de nous ignorer depuis 8 ans… On ne s’attend donc pas à ce que notre mouvement débouche rapidement sur des négociations. L’important, c’est de construire un rapport de force.

* Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.