grève Exxonmobil

Réquisition des raffineries ExxonMobil : le droit de grève piétiné

 

Elisabeth Borne a annoncé la réquisition des raffineries ExxonMobil. La négociation salariale, louée jusqu’alors par le gouvernement, ne convient plus lorsqu’elle se fait avec un rapport de force réel. A ce moment-là, l’Etat révèle son vrai visage et foule aux pieds le droit de grève.

 

« J’ai demandé aux préfets d’engager la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts d’EssoxxonMobil », a déclaré Elisabeth Borne ce mardi, depuis l’Assemblée nationale. Le coup de force du gouvernement planait sur la grève des raffineurs depuis 24h déjà, le voilà établi et assumé.

Réunis aujourd’hui sur les piquets des raffineries à l’appel de la FNIC-CGT (fédération CGT des industries chimiques), les militants s’y attendaient et n’avaient pas hésité à mettre en garde le gouvernement. « S’il font cela ce sera pris comme une déclaration de guerre », a-t-on répété du côté de la CGT TotalEnergies, mais aussi de la FNIC-CGT et de l’Union départementale des Bouches-du-Rhône. Pas de quoi inquiéter le gouvernement, ni même le faire réfléchir à la quasi illégalité du procédé. Quelques heures plus tard, la guerre était effectivement déclarée et la première ministre tentait déjà de la légitimer, voire de l’étendre. Car si aucun accord avec la direction n’est trouvé chez TotalEnergies, les grévistes sont les prochains sur la liste. L’Etat est clairement passé à la vitesse supérieure.

 

S’appuyer sur le revirement de la CFDT

 

Jusqu’alors, le gouvernement avait toujours refusé de s’immiscer dans les négociations salariales. Bien souvent à l’avantage des employeurs. Mais lorsque le pouvoir de blocage des travailleurs devient trop gênant, comme dans le cas des raffineries ExxonMobil en grève depuis 20 jours, force est de constater que le non interventionnisme ne tient plus. Non. Lorsque les pompes à essence sont vides, Elisabeth Borne sait mieux que les salariés eux-mêmes quelles conditions de rémunération ils doivent accepter. Et elle ne se prive pas de le rappeler devant les députés : « Ce ne sont pas des accords à minima que proposent la direction d’ExxonMobil ». Sous-entendu : acceptez-les. Forte de cette déclaration la première ministre, n’a plus qu’à attribuer la responsabilité des désagréments liés à la grèves aux grévistes eux-mêmes, voire directement à leurs syndicats, pour les décrédibiliser. « Une partie des organisations syndicales veut continuer ce blocage, alors qu’un accord a été trouvé, nous ne pouvons pas l’accepter », continue l’ex-ministre du travail.

 

Raffineries : la grève peut-elle s’étendre ?

 

De fait, hier soir, la CFDT ExxonMobil a annoncé qu’elle signerait bien l’accord proposé par la direction dans l’après-midi. A savoir : 5,5% d’augmentation générale des salaires (plancher de 125€), 0,5% d’augmentation individuelle. 3000€ de prime Macron et 750€ de prime transport. Par cette décision, elle rejoignait la CFE-CGC, premier syndicat du groupe. Ce dernier avait déjà fait part de sa volonté d’accepter ces propositions dès septembre. A eux deux, les syndicats se retrouvent majoritaires et l’accord est validé. Mais la grève n’est pas levée pour autant. Quelques heures plus tôt, sa reconduction était votée sur les piquets de Notre-Dame-de-Gravenchon et de Fos-sur-Mer. Les grévistes continuaient à demander 6% d’augmentation générale (plancher de 170€) et 1,5% d’augmentations individuelles. Une décision inacceptable pour Elisabeth Borne, qui selon elle, délégitimait la grève.

Mais la ministre oublie sans doute une chose : en France une grève n’a nullement besoin d’être majoritaire pour être légitime, encore moins pour être légale. Et si une mobilisation est suffisamment massive pour empêcher une raffinerie de tourner, il ne s’agit pas là d’un « blocage », comme l’assure Elisabeth Borne, mais du simple exercice du droit de grève. Rien à faire, le gouvernement ne l’entend pas ainsi et demande la réquisition des grévistes.

 

La réquisition chez ExxonMobil, un procédé illégal ?

 

La réquisition ? « Sarkozy l’a déjà fait en 2010 », nous rappelle Sébastien Saliba, secrétaire général CGT de la raffinerie de Feyzin. En pleine bataille contre la réforme des retraites, sur ordre du gouvernement, les préfectures avaient ainsi pris des arrêtés pour que les grévistes des raffineries se remettent au travail. Pour établir ces arrêtés, toute la subtilité juridique consistait alors à évaluer combien de salariés étaient nécessaires pour que les raffineries puissent assurer le fonctionnement de services jugés essentiels. La santé, la police notamment. Il ne fallait pas non plus remettre tous les raffineurs au travail, auquel cas on portait atteinte au droit de grève.

Dans cette bataille juridique, la CGT avait saisi le Conseil d’Etat et avait réussi à faire annuler certaines réquisitions, d’autres non, rappelle France Info. A l’issue de cette séquence, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) avait critiqué le comportement de l’Etat français, lui reprochant d’avoir tranché le conflit trop unilatéralement.

Comment les choses vont-elles se passer cette fois-ci ? Impossible de le prévoir, mais outre la bataille juridique à venir, les grévistes des raffineries ont déjà fait part de leur volonté d’obtenir du soutien de la part des autres salariés du pays, eux-aussi touchés par l’inflation. La bataille n’est donc pas terminée.

Le recours à la réquisition reste un véritable aveu de faiblesse de la part de l’Etat. Tant dans son incapacité à faire respecter le droit de grève, que dans son inaptitude à peser sur les choix des multinationales du pétrole. Rappelons tout de même que les grévistes d’ExxonMobil demandaient simplement une augmentation générale des salaires d’à peine 1,5 point supérieure à ce que voulait bien leur donner leurs patrons. Patrons dont l’entreprise a réalisé 17,5 milliards de dollars au seul second trimestre 2022.

 

Crédit photo : Baptiste Soubra – Les amis de la terre