Mayotte grève hôpital et éducation nationale

Grève à Mayotte : quand les soignants « ne peuvent plus se doucher avant de s’occuper des patients »


Les fonctionnaires mahorais, soignants de l’hôpital en tête, ont répondu présents à un appel intersyndical à la grève illimitée à partir du 9 octobre. Les représentants syndicaux ont été reçus, mardi, par le préfet de Mayotte, mais aussi par l’Agence régionale de santé et le recteur de l’académie. Le but : discuter de la crise de l’eau, tout en négociant autour des salaires et du manque d’attractivité des métiers. 

 

 

Ce lundi, près de 300 manifestants, selon les syndicats (une centaine selon la préfecture) ont descendu les rues de Mamoudzou jusqu’à la place de la République. Plusieurs sites ont été l’objet de rassemblements suite aux débrayages de salariés. En particulier le centre hospitalier de Mayotte, situé à Mamoudzou également, devant lequel une centaine de soignants se sont retrouvés. « D’autres collègues sont restés chez eux en exerçant leur droit de retrait », ajoute Arkaddine Abdoul-Wassion, secrétaire général FO Mayotte. 

Ces mouvements de protestation s’inscrivent dans un appel à la grève illimitée lancé par une intersyndicale (SGEN-CFDT, CFE CGC, CFTC, FSU-SNUipp, Sud Solidaires, UD-FO et UI-CFDT) qui couvre les trois fonctions publiques : d’État, territoriale et hospitalière. L’Éducation nationale est ainsi également un secteur fort de la grève à Mayotte, « bien que moins mobilisé que l’hôpital », expose le syndicaliste. 

 

Dans son préavis de grève, l’intersyndicale dénonce « des conditions de vie extrêmement difficiles à Mayotte » et revendique « l’augmentation significative du taux d’indexation des salaires, une meilleure protection des agents sur leurs lieux de travail et la sécurisation des trajets pour s’y rendre, de l’eau potable et gratuite pour tout le monde (domicile et lieux de travail) ».

 

« Mayotte est à sec » 

 

Ce mardi, grâce à la mobilisation, les représentants syndicaux ont été reçus par Gilles Cantal, récemment nommé par le gouvernement en tant que préfet chargé de mission pour gérer la crise de l’eau, aux côtés du préfet de Mayotte Thierry Suquet. C’est la première des raisons de cette grève illimitée : le manque d’accès à l’eau, qui atteint un seuil critique sur l’île. En cause : une sécheresse jamais vue depuis 1997, et le sous-dimensionnement chronique des infrastructures. Alors que Mayotte est dépendante de la récupération de l’eau de pluie, le remplissage des retenues collinaires continue de stagner autour de 10 %.

Pour gérer la pénurie, la préfecture coupe l’eau aux habitants près de deux jours sur trois. À partir de ce mercredi, nouveau tour de vis. « Les tours d’eau de deux jours sur trois sont maintenus, mais la période d’accès à l’eau est réduite à 18h au lieu de 24h », vient d’annoncer la préfecture de Mayotte dans un communiqué. Or, les conséquences sanitaires et humanitaires de cette crise d’accès à l’eau se font de plus en plus ressentir.

« Mayotte est à sec, il n’y a pas d’eau ; des enfants ne vont pas à l’école ; les services publics ne fonctionnent pas », s’alarme Haoussi Boinahedja, secrétaire général de la CGT Mayotte, par ailleurs président d’une association environnementale. Pendant ce temps, le personnel de santé « se voit à présent confronté à une vague de gastro-entérite due aux conséquences induites par le manque d’eau », décrit un communiqué de FO.

 

Les travailleurs essentiels affectés par le manque d’eau

 

Le manque d’eau affecte jusqu’aux travailleurs des secteurs prioritaires. Alors que l’hygiène est primordiale dans les hôpitaux, « on part de chez soi le matin sans pouvoir se laver pour venir soigner des gens », dénonce Arkaddine Abdoul-Wassion, le secrétaire général de FO Mayotte. Travaillant lui-même en bloc opératoire, il a la chance de pouvoir quitter plus tôt son domicile pour prendre une douche au bloc. Mais c’est loin d’être le cas pour tous ses collègues.

Certains sont dans des services de consultation non équipés de sanitaires. D’autres ne peuvent pas arriver plus tôt à cause de contraintes personnelles, ou de leur trajet domicile-travail. Tous ceux-là « ne peuvent plus se doucher avant de s’occuper des patients. C’est ça, la réalité ! », insiste le syndicaliste. « Puis, on repart le soir et il n’y a pas d’eau chez nous. Dans quel monde vit-on ? »

Les agents de la collectivité, en première ligne de la gestion de l’eau, sont eux-mêmes touchés. « Il faut doter ces agents immédiatement en eau potable, pour qu’ils puissent aller au travail », alerte Haoussi Boinahedja, lui-même agent de la territoriale et représentant CGT des salariés au Conseil départemental de Mayotte. « Et il faut d’urgence équiper tous les services sanitaires de la collectivité ! »

 

« À chaque fois, il faut lutter deux fois plus à Mayotte »

 

Le ministre délégué aux Outre-mer Philippe Vigier était en visite à Mayotte le 27 et 28 septembre, après une première visite début septembre. Pas d’annonce nouvelle : pour réagir à la crise, le gouvernement a débloqué un plan de distribution de bouteilles d’eau gratuite ciblant les populations les plus vulnérables ; en plus de quelques travaux de raccordement et de l’installation de citernes d’urgence.

« Je n’ai pas fait l’ENA, mais je n’en ai pas besoin pour comprendre qu’il faut trouver de l’eau pérenne ; pas des petites bouteilles d’eau qu’on va distribuer tous les deux ou trois jours », soupire Arkaddine Abdoul-Wassion. « Les milliers de bouteilles d’eau envoyés correspondant à trois jours de consommation pour les 300 000 habitants de l’île sont insuffisantes pour endiguer la pénurie d’eau potable », a également réagi la confédération Force Ouvrière dans un communiqué du 9 octobre.

« On dit que gouverner, c’est prévoir. La crise de l’eau a commencé depuis fin 2016 », rappelle Arkaddine Abdoul-Wassion. Les syndicalistes de Mayotte ont en effet alerté à maintes reprises, ces dernières années, le ministère des Outre-mer au sujet des défaillances des infrastructures et du manque d’investissement de l’État dans le traitement de l’eau.

« On a dit aux élus de Mayotte : “voilà, le plan c’est ça”, sans les consulter », résume Haoussi Boinahedja de la CGT. Une façon de faire « systématique quand il s’agit de Mayotte », accuse-t-il. « À chaque fois, il faut lutter deux fois plus à Mayotte. Se faire entendre deux fois plus. Il y a du mépris de la part du gouvernement français »

 

Pouvoir d’achat, insécurité, loi Mayotte : les autres enjeux

 

Surtout qu’au-delà de la question de l’eau, les salariés de la fonction publique souhaitent se faire entendre sur d’autres sujets. Car tout est lié : « quand on a des bouteilles d’eau qui coûtent aussi chères et que le salaire ne suit pas… Plein de gens s’en vont », déplore Arkaddine Abdoul-Wassion. En plus du préfet de Mayotte, les syndicalistes ont obtenu un rendez-vous avec le directeur de l’Agence régionale de santé, le directeur de l’hôpital de Mamoudzou, et le recteur de l’académie. Cette fois, la discussion a porté sur l’attractivité des métiers et la revalorisation des salaires. Une prochaine réunion de négociation sur le sujet a été actée pour le début du mois de novembre.

D’autres sujets encore sont mis sur la table à l’occasion de ce mouvement de grève. Depuis deux mois déjà, des soignants exercent leur droit de retrait à Mayotte. Cause principale ? L’insécurité, soutient le responsable FO : « depuis quelques temps, le personnel hospitalier est devenu la cible favorite des agresseurs : des bus transportant les soignants sont souvent pris à partie, caillassés. Nous n’arrivons pas à comprendre cela : nous, nous soignons tout le monde… L’hôpital, comme l’école, doit être un sanctuaire », soupire-t-il. « Imaginez, pour les soignants, déjà que les nuits sont trop courtes, ils se retrouvent coincés dans des barrages et agressés sur le chemin du travail… »

À Mayotte, l’opération Wuambushu sème la peur

L’opération Wuambushu, menée par le ministère de l’Intérieur et qui a abouti à la destruction d’habitats informels sur l’île, avait pour objectif officiel d’agir sur l’insécurité. Or, « les gens ont seulement été déplacés. Pour nous syndicalistes, cette opération était surtout une question de communication. Des effets d’annonce », balaie Arkaddine Abdoul-Wassion.

La CGT Mayotte, elle, n’a pas souhaité se joindre à l’appel intersyndical en partie parce qu’elle estime que des sujets prioritaires en sont les grands absents. En premier lieu : le projet de loi Mayotte, auquel le conseil départemental vient de donner le feu vert début octobre, après un rejet initial en 2022. « Pour moi, ça c’est une priorité. C’est une loi qui va figer Mayotte sur plusieurs décennies », insiste Haoussi Boinahedja.