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Maintien de l’ordre à Sainte-Soline : comment le gouvernement « réécrit » l’histoire


Attac et le collectif Bassines Non Merci s’apprêtent à être auditionnés dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur les « groupuscules auteurs de violences » en manifestation. Cette commission est née dans la foulée de la manifestation de Sainte-Soline fin mars, après laquelle la stratégie de maintien de l’ordre a été sous le feu des critiques. La Ligue des droits de l’Homme vient de produire, ce lundi, un rapport décryptant la « réécriture » des événements de Sainte-Soline, et démontrant un usage disproportionné de la force. 

 

À 18 heures ce mardi, Attac sera auditionné par la commission d’enquête parlementaire sur « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences » en manifestation. Dans une semaine, le 18 juillet, ce sera au tour de la coordination de collectifs Bassines Non Merci. Ces derniers ont été au coeur de la manifestation écologiste contre la méga-bassine de Sainte-Soline, fin mars.

Cette mobilisation a été un déclencheur de la création de cette commission d’enquête – bien que son objet dépasse cette seule date. Dans son rapport pour la création de la commission, le rapporteur Florian Boudié, député de la majorité (Renaissance), exposait ses points de départ : « les événements de Sainte-Soline et les violences constatées en marge de la contestation de la réforme des retraites depuis le 16 mars 2023 », qui selon lui « semblent traduire un changement de paradigme ».

Raphaël Schellenberger, député LR membre de la commission, voit lui dans cette commission une occasion d’analyser « la façon dont l’objet politique créé à Sainte-Soline a été érigé en catalyseur des violences » – entendu : celles des manifestants -.

« Cette commission est née en réponse aux projecteurs mis sur la remise en question de l’usage de la force publique. Une remise en question qu’on a vu se développer après Sainte Soline, les 5 000 grenades et les deux blessés dans le coma… », analysait auprès de Rapports de Force Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac, après que l’organisation ait reçu sa convocation.

 

« Réécriture »

 

Pour la responsable d’Attac, cette commission vise à installer « un narratif », à savoir un récit permettant aux autorités de « justifier ce qu’il s’est passé, alors qu’ils ont franchi un certain nombre de lignes rouges ».

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La Ligue des droits de l’Homme vient justement de rendre public, lundi 10 juillet, son rapport détaillant l’usage de la force publique et ses conséquences à Sainte-Soline. Ce rapport est basé sur les constats d’une vingtaine d’observateurs des libertés publiques, présents sur les trois journées d’action, du 24 au 26 mars, et plus particulièrement sur la grande manifestation du 25.

Leurs conclusions « remettent largement en cause la version officielle présentée par les autorités, qui se sont livrées de manière alarmante à une réécriture des événements », introduit la LDH. Le ministère de l’Intérieur, la préfecture des Deux-Sèvres et la gendarmerie sont accusés de « manipuler l’information du public ». Et ce, afin de « légitimer auprès du grand public un déploiement massif et inconsidéré de la force », tranche l’organisation.

 

Des tirs de grenades « indiscriminés » et « sans sommation »

 

Prenons pour commencer la séquence de la première rencontre entre gendarmes et manifestants. Alors que les cortèges dits « rose » et « jaune » avançaient vers la bassine, « en l’absence d’acte d’hostilité », les forces de l’ordre ont commencé à gazer « de manière indiscriminée » et « sans sommation », indique la LDH. « Et putain, mais ils tirent ! Ils sont cons ou quoi ? », s’énervait à ce propos un colonel chargé du commandement, filmé par la caméra de Complément d’Enquête ce jour-là.

Quelques minutes auparavant, des quads de gendarmes de la PM2I (peloton motorisé d’interception et d’interpellation) étaient arrivés à quelques mètres du cortège « bleu », ce qui avait fait monter la tension et engendré « quelques tirs de feux d’artifice », de la part des manifestants, relate la LDH.

Le récit, détaillé minute par minute, contredit les rapports produits par l’IGGN et la préfecture des Deux-Sèvres. L’IGGN n’évoque, par exemple, que des tirs avec sommation. Quant à la préfète, elle affirme que l’usage de la force a été décidé « au vu des premières attaques contre la gendarmerie, sous forme de cocktails Molotov et de tirs tendus de mortier d’artifice ». Or, les observateurs de la LDH démontrent bien que les cortèges rose et jaunes ont été visés sans aucune forme de riposte.

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Tout au long de l’après-midi, les tirs de grenades lacrymogènes et explosives ont ensuite été « massifs, indiscriminés et parfois tendus », indique la LDH.

La préfète des Deux Sèvres considérait, elle, que l’objectif des manifestants « n’était pas d’entourer le chantier de la réserve, mais d’attaquer les forces de l’ordre en causant le plus de dommages humains et matériels possibles ». Devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait mis en avant une note du renseignement territorial qui évoquait une « mobilisation très forte de l’ultragauche ». Et lancé des menaces à peine voilées quant aux subventions accordées à la LDH, critique depuis le début du maintien de l’ordre observé sur place.

En deux heures, 5 000 grenades ont été tirées ce 25 mars. La LDH parle d’une « intensité exceptionnelle et d’un usage immodéré du recours à la force ».

 

Entraves au secours des blessés

 

Enfin, la LDH confirme les freins mis au secours des blessés, jusqu’ici documentées par des enquêtes journalistiques et des témoignages de manifestants. Un cas d’entrave est particulièrement détaillé : il concerne Serge, le manifestant plongé dans le coma (aujourd’hui sorti de cet état), dont les parents ont porté plainte pour « tentative de meurtre » et « entrave aux secours ».

Depuis 14h08, la zone où il se trouve est « totalement calme », relate une équipe d’observation dans le rapport de la LDH. À 14h11, les appels téléphoniques aux secours se succèdent, faisant part du pronostic vital engagé de Serge. Entre 14h50 et 14h55, plusieurs médecins du SAMU affirment clairement ne pas avoir l’autorisation d’intervenir.

« On n’enverra pas d’hélico ou de Smur sur place, parce qu’on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre », déclarait un opérateur du Samu dans un enregistrement révélé par Le Monde. Le commandement de la gendarmerie invoquait des heurts sur la zone. Dans son communiqué réagissant à l’article du Monde, la préfète des Deux Sèvres défendait la nécessité d’« éviter que le Samu ou les pompiers ne soient pris à partie ou victimes collatérales des affrontements violents »

« Pourtant, l’ensemble des équipes d’observation ont constaté que dans le laps de temps en question, la zone était totalement calme et sans danger », insiste le rapport de la LDH. Ce n’est qu’à 14h57 que des médecins militaires ont été engagés sur zone, confirmant le pronostic vital engagé, et qu’une ambulance a pris en charge Serge.