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Projet de loi immigration : ce sont les sans-papiers et réfugiés qui en parlent le mieux


Le Sénat examine cette semaine le projet de loi immigration, autour duquel le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a fortement communiqué ces dernières semaines. Lundi, plusieurs personnes exilées engagées sur le terrain dans des associations et collectifs ont décrypté divers volets du projet de loi, en particulier l’enjeu de régularisation par le travail. 

 

C’est une conférence de presse comme on a trop peu l’habitude d’en voir : ce lundi 6 novembre, six intervenants, tous ayant un parcours d’exil, proposent un décryptage du projet de loi immmigration dont l’examen au Sénat a démarré cette semaine. Une trentaine d’organisations soutiennent l’initiative.

« Le fait que cette conférence soit menée par des personnes concernées, par celles et ceux qui d’habitude sont réduits au silence, est déjà un signal fort », introduit Camilla Rios Amas, présidente de Singa Paris et directrice de l’association UNIR. « Nous refusons que la migration soit posée comme un thème central dans le débat public sans la participation des personnes concernées », martèle-t-elle. « Nous souhaitons que notre expertise, comme personnes concernées et engagées sur le terrain, soit prise en compte ».

Cette expertise se porte notamment sur l’article 3 du projet de loi, l’un des plus discutés. Celui-ci ouvre la possibilité d’obtenir un titre de séjour d’un an, provisoire, pour les personnes exilées travaillant dans certains secteurs en tension.

 

Le titre de séjour secteurs en tension « enferme les personnes exilées dans un certain nombre de métiers »

 

Cette mesure pose plusieurs conditions : la personne doit prouver qu’elle a déjà « travaillé au moins huit mois », consécutifs ou non, au cours des deux dernières années dans des « métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement ». La liste des métiers et des régions concernées serait mise à jour par le gouvernement. 

En plus de devoir prouver cette période travail antérieure – irrégulière, donc -, l’étranger doit aussi justifier d’une « période de résidence ininterrompue d’au moins trois années en France » avant de se voir délivrer sa carte de séjour temporaire d’un an. En somme, « cet article reste dans la même logique de la circulaire Valls », commente Bchira Ben Nia, membre de l’Union des étudiants exilés et militante dans des collectifs de sans-papiers depuis plusieurs années.

Pour rappel, la circulaire Valls de 2012 permet l’obtention d’une carte de séjour « travailleur temporaire » pour un CDD (valable le temps de ce CDD) ou d’une carte « salarié » pour un CDI (valable un an, renouvelable), à condition d’apporter des fiches de paie prouvant l’exercice d’une activité professionnelle sur les deux dernières années si l’étranger réside en France depuis plus de 5 ans, ou sur huit mois (consécutifs ou non) s’il réside en France depuis 3 ans. La présidente de La Cimade Fanélie Carrey-Conte exprimait auprès de Rapports de Force fin 2022 sa crainte que le nouveau projet de loi « soit encore moins favorable que la circulaire Valls, qui permet la régularisation pour tout type de métier. On serait sur quelque chose de plus restrictif ».

En outre, ce texte de loi relève « d’une logique utilitariste : les métiers en tension, généralement, sont exercés par des personnes qui sont dans des situations administratives peu stables ; ce sont des métiers pénibles aussi : bâtiment, restauration, aide à la personne », estime Bchira Ben Nia. Pour elle, cet article de loi « enferme les personnes exilées dans un certain nombre de métiers ; et en plus, dans des régions géographiques bien déterminées ».

 

« Traitement différencié entre demandeurs d’asile » pour l’accès au travail

 

À noter cependant, l’article 4 du projet de loi précise que l’accès au marché du travail peut être autorisé dès l’introduction de la demande d’asile… Mais uniquement « au demandeur d’asile originaire d’un pays pour lequel le taux de protection internationale accordée en France est supérieur à un seuil fixé par décret et figurant sur une liste fixée annuellement par l’autorité administrative  ».

Autrement dit : les étrangers dont les nationalités bénéficient en moyenne d’un meilleur taux de réponses positives à leurs demandes d’asile pourront accéder à cette mesure d’accès immédiat au travail. Les autres, non. Un décret fixera le seuil à partir duquel le taux de protection accordée par l’administration française est jugé suffisant pour bénéficier de cet accès facilité au travail.

La formation linguistique et professionnelle devient également accessible immédiatement à ces catégories choisies. Cette fameuse liste de nationalités pouvant en bénéficier peut être modifiable « en cours d’année, en cas d’évolution rapide de la situation dans un pays d’origine », qu’il s’agisse d’ajouter un pays ou d’en supprimer un.

Pour les intervenants, cette mesure n’est pas acceptable : il s’agit d’un tri selon la nationalité. Cela « conduit à un traitement différencié entre les demandeurs d’asile, en ne se basant pas sur les critères individuels qui sont le fondement du droit d’asile, mais en donnant droit à l’emploi et à la formation linguistique à certaines nationalités, créant ainsi de l’inégalité dès le dépôt de la demande d’asile », réagit Nayan NK, fondateur et président de Solidarités Asie France, interprète en langue bengali.

 

« Chantage permanent » avec l’employeur

 

Au global, le projet de loi en l’état « ne résout pas le problème du travail sans être en règle », souligne Bchira Ben Nia. Les discussions au Sénat interviennent alors que les travailleurs sans-papiers de DPD et Chronopost s’apprêtent à atteindre deux années de lutte. L’objet de leur mobilisation : « une régularisation non pas en fonction de critères très aléatoires donnant la main au patronat sur les possibilités de régularisation ; mais une régularisation basée sur de simples preuves de travail, pour être à égalité avec l’ensemble du monde des salariés », rappelle Jean-Louis Marziani de l’Union Syndicale Solidaires.

Tout l’inverse, en somme, de cet article 3, qui balaie aussi la possibilité d’une régularisation pérenne. Il s’agira bien de titres de séjour d’un an, conditionnés au maintien de la personne dans le métier. « Cela maintient donc un lien de subordination avec l’employeur qui consent à vous garder », insiste le syndicaliste. « On peut imaginer la situation d’exploitation, le chantage permanent que cela créé : car si l’employeur ne vous garde pas, vous n’aurez pas le renouvellement de votre titre ».

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Rappelons aussi que ce titre de séjour métiers en tension n’est pour l’heure qu’une expérimentation. Le texte de loi arrête son application au 31 décembre 2026. Rien ne sera inscrit, pour l’heure, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). « On est tout le temps dans cette temporalité de l’expérimentation et on maintient les personnes dans la précarité », soupire Bchira Ben Nia . « Tant que l’on a pas un titre de séjour stable, la personne reste toujours angoissée. Elle doit aller à la préfecture avec la nécessité de renouveler son titre de séjour et demeure dans une situation administrative précaire, chronophage et qui fragilise psychologiquement ».

 

Fabriquer des sans-papiers, remplir les centres de rétention

 

Ces articles autour de la régularisation par le travail ont pourtant été présentés par le gouvernement comme le versant favorable aux personnes étrangères d’un texte dont la ligne directrice s’est décalée, au fil des mois, vers le tout répressif. Déjà sur le terrain, « les préfecture oppose les OQTF (obligation de quitter le territoire français) et IRTF (interdiction de retour sur le territoire français) aux personnes qui remplissent pourtant tous les critères de la régularisation », dont le travail, rappelle Mody Diawara, co-fondateur et président du Collectif de sans-papiers de Montreuil. Ce projet de loi « ne va que renforcer cette fabrique de sans-papiers », estime-t-il.

À ses côtés, Dembélé Aboubacar, l’un des porte-paroles du collectif de sans-papiers de Vitry et délégué Chronopost Alfortville, détaille un point précis de ce texte de loi globalement répressif : l’usage de la menace à l’ordre public. Faisant écho à la communication de l’Intérieur ces dernières semaines, le projet de loi prévoit qu’en cas de menace grave à l’ordre public, « les personnes protégées de l’expulsion ne le soit plus. Cela donne le champ libre à l’administration pour expulser davantage ».

Or, cette notion de menace à l’ordre public n’est pas définie juridiquement. Depuis plusieurs mois déjà, les avocats en droit des étrangers alertent sur la multiplication des placements en rétention de personnes simplement signalées, ou mises en garde à vue, sans aucune poursuite ou condamnation pénale. « Nous demandons la fin de l’instrumentalisation de la menace à l’ordre public », insiste Dembélé Aboubacar. Avant de conclure : « santé pour tous, logement pour tous, travail pour tous ! ».