La hausse des droits de douanes voulue par Donald Trump est marquée par des revirements spectaculaires. Nul ne peut encore dire s’il s’agit d’une stratégie politique de long ou de court terme. L’économiste Maxime Combes revient en détail sur les conséquences actuelles de ces décisions et s’interroge notamment sur leurs effets sur l’emploi.
Cet article a été initialement publié sur Basta! et écrit par Maxime Combes.
Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump multiplie les annonces fracassantes et les revirements spectaculaires, suscitant de grandes incertitudes tant sur les marchés financiers, toujours prêts à surréagir et spéculer, que parmi les partenaires commerciaux des États-Unis. À contre-courant de l’architecture du commerce international, ces mesures marquent-elles « la fin de la mondialisation » ?
Pour Donald Trump, le 2 avril devait marquer le « jour de la libération » des États-Unis par l’introduction de droits de douane « réciproques » sur les importations de produits venant de dizaines de pays dans le monde.
Ces droits de douanes sont calculés de manière totalement fantaisiste. L’administration étasunienne a visiblement calculé le rapport entre le déficit commercial américain et le montant de leurs importations avec un pays tiers et a divisé ce nombre par deux pour obtenir le droit de douane à appliquer. Puis, ils ont été suspendus à peine une semaine plus tard, le 9 avril, pour 90 jours. Sauf pour la Chine, dont les exportations vers les États-Unis sont désormais annoncées comme taxées à hauteur de 145% de la valeur du bien.
Des droits de douane jamais vus depuis 80 ans
Le 11 avril, les douanes américaines ont néanmoins discrètement annoncé une nouvelle exemption sur de nombreux produits électroniques, dont les smartphones quelle que soit leur provenance. Soit l’équivalent de 12% des importations étasuniennes, dont un quart vient de Chine. C’est ce que l’on pourrait appeler « l’exemption Apple » qui soustrait au régime commun les multinationales technologiques américaines qui produisent hors du territoire fédéral.
Mais ce n’est pas la fin de l’histoire : moins de 48 heures plus tard, Trump a annoncé que ces mêmes produits technologiques se verraient appliquer les nouveaux droits de douane sur les semi-conducteurs qui doivent être annoncés prochainement : « Nous voulons fabriquer nos puces et semi-conducteurs dans notre pays », s’est-il justifié.

Pris globalement, les droits de douane imposés aux importations de biens entrant aux États-Unis atteignent désormais des niveaux sans précédent depuis la loi Hawley-Smoot du 17 juin 1930. Si l’on ajoute au taux plancher de 10% applicable à (presque) toutes les importations entré en vigueur le 5 avril, les 25% de taxe sur l’automobile, l’acier et l’aluminium ainsi que le taux appliqué aux importations venant de Chine, alors le droit de douane effectif moyen atteindrait désormais près de 25%. Soit plus de 12 fois le taux effectif précédant l’entrée en fonction de Donald Trump.
Une promesse électorale
Augmenter les droits de douane est d’abord une promesse électorale que le candidat Trump a agité comme pouvant résoudre de nombreux objectifs politiques et économiques : « Réindustrialiser le pays » et créer de « bons emplois », rétablir la balance commerciale déficitaire des États-Unis ou même récupérer une hypothétique manne financière de 600 milliards de dollars par an qui pourrait financer la baisse d’impôts promise aux classes moyennes et aisées du pays.
C’est aussi une rengaine récurrente chez Trump de faire de l’étranger, qu’il soit migrant hispanique sur le sol étasunien ou exportateur asiatique ou européen, la source des maux du pays : « Notre pays a été dépouillé, volé, violé et dépecé par des nations proches et lointaines, amies et ennemies », a-t-il martelé pour expliquer sa politique commerciale agressive, convaincu qu’elle pouvait conduire son pays vers la plénitude économique. « Nous allons avoir un pays entièrement différent, et ce sera fantastique pour les ouvriers, et pour tout le monde », a-t-il encore dit.
Pourquoi alors suspendre pendant 90 jours une partie de cette politique annoncée comme si avantageuse ? Officiellement parce que de nombreux États feraient déjà la queue devant la Maison-Blanche pour négocier un accord. Cette hausse des droits de douane ne serait-elle alors qu’un pouvoir de pression temporaire pour soumettre les pays tiers aux desiderata de Trump, comme il l’a fait jusqu’ici avec le Canada et le Mexique ? Nul ne saurait l’assurer à cette heure, tant les buts poursuivis sont multiples et les volte-faces nombreuses.
« Donner une chance aux négociations »
Les économistes appellent « guerre commerciale » un conflit économique qui conduit des États à augmenter mutuellement les droits de douane et à introduire d’autres limitations aux importations à coup de représailles successives. Les États-Unis et la Chine, qui a porté à 125% les taxes sur les produits américains, y sont désormais plongés : « La Chine ne pliera jamais sous la pression maximale des États-Unis ; donnez un doigt à la brute, elle vous prendra le bras », a affirmé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Lin Jian.
Ce n’est pas le choix effectué par la très grande majorité des autres pays de la planète. Du Royaume-Uni au Vietnam, une bonne part d’entre eux ont immédiatement fait savoir à la Maison-Blanche, même quand des menaces de représailles ont été formulées, qu’ils étaient ouverts à importer plus de produits étasuniens, notamment énergétiques, ou passer un accord pour réduire leur avantage commercial.
Tel est le cas de l’Union européenne qui, après avoir tardé à mettre sur la table une liste de possibles rétorsions commerciales, a également annoncé suspendre toute riposte pour trois mois. Le taux plancher de 10% et celui de 25% sur les voitures, l’acier et l’aluminium s’appliquent pourtant et vont conduire à prélever, à échanges constants, 52 milliards d’euros de taxes sur les exportations européennes, contre sept auparavant.
Mais l’UE, tout comme la France, semble parier sur le fait que les mesures de Donald Trump ne seront que temporaires. « Nous voulons donner une chance aux négociations », affirme Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.
La hausse des droits de douane ne recrée pas les emplois perdus
Les effets attendus sont très différents selon que Trump utilise les droits de douane de façon temporaire pour négocier une réorganisation de la mondialisation à l’avantage des États-Unis, ou qu’il les augmente de façon pérenne. Si un tel choc n’a pas de précédent historique, les prédictions économiques doivent être prises avec prudence, tant il est difficile de déterminer avec précision comment vont évoluer les flux commerciaux mondiaux.
Les économistes distinguent les effets macroéconomiques globaux et les effets bruts, secteur par secteur. Par nature « inflationniste », l’augmentation des droits de douane devrait conduire à une augmentation des prix aux États-Unis. Ce que nie Trump, qui prétend que ce sont les exportateurs étrangers qui vont régler la note. Les importateurs et les distributeurs pourraient aussi comprimer leurs marges et ne pas répercuter, ou pas totalement, la hausse de leurs coûts sur les prix de détail, comme ce fut le cas lors du premier mandat de Donald Trump. Mais qu’en sera-t-il avec un choc cinq à six fois plus important ?
Loin de l’image que l’on s’en fait habituellement, l’économie étasunienne est par ailleurs moins dépendante des marchés mondiaux pour son approvisionnement et ses débouchés que d’autres régions du monde. Si l’UE importe et exporte pour l’équivalent de 22% et 23% du PIB européen, et si ces chiffres sont de 18% et 20% pour la Chine, ils ne sont que de 14% et 11 % pour les États-Unis. S’il en découle un déficit commercial de l’équivalent de 3% du PIB, l’économie américaine est néanmoins moins sensible aux augmentations des droits de douane que les deux autres puissances économiques mondiales.
Les mesures prises par Donald Trump vont-elles concourir à rapatrier des productions industrielles sur le sol américain et recréer les emplois promis dans la Rust Belt, cette région des États-Unis appelée auparavant Manufacturing Belt et qui a été durement touchée par la mondialisation et la désindustrialisation ? Rien n’est moins sûr : si la mondialisation détruit des emplois, la hausse des droits de douane ne recrée pas mécaniquement les emplois perdus.
Un choc limité
C’est une lapalissade économique : les filières les plus touchées par l’augmentation des droits de douane sont celles qui sont les plus insérées sur les marchés américains. À savoir, pour la France, l’automobile, l’aéronautique, le secteur laitier, le luxe, les vins et spiritueux. Pour insister sur les effets négatifs des mesures étasuniennes, le gouvernement français a compté 28 000 entreprises françaises qui exportent aux États-Unis, dont 40 % qui y réaliseraient plus de la moitié de leur chiffre d’affaires.
Selon un calcul du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, « la perte potentielle de croissance (…) sera de l’ordre de 0,3 point de PIB dans les prochaines années » en France. Soit un manque à gagner d’environ 10 milliards d’euros.
C’est un choc limité. Et à ce stade surtout très incertain : la réallocation des échanges commerciaux entre pays conservant de faibles droits de douane peut à la fois concourir à amortir le choc – les entreprises trouvent d’autres débouchés – comme l’aggraver – des produits à bas coût viennent concurrencer des productions nationales.
Réduire notre dépendance aux marchés mondiaux
Les mesures prises par Donald Trump ébranlent à la fois l’architecture de la mondialisation et sa tendance de long terme. Le principe de la « nation la plus favorisée », présent dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt-1947) et au cœur des accords de l’Organisation mondiale du commerce (1994), visait à ne pas discriminer les États entre eux pour l’importation d’un produit similaire : des droits de douane analogues devaient être appliqués.
Trump fait voler ce principe en éclat sans que l’OMC ne puisse le faire respecter. La hausse brutale des droits de douane est également une rupture majeure puisque ceux-ci étaient orientés à la baisse sur longue période.
Mais la décision de Trump s’inscrit aussi dans une tendance observée depuis la crise économique de 2008-2009 : des échanges internationaux qui n’augmentent pas plus vite que le PIB mondial, caractérisant ce que l’on a appelé la « slowbalisation », une mondialisation lente ou molle, qui s’est accompagnée de mesures plus systématiques pour contrôler les importations et/ou les investissements étrangers.
La politique de Donald Trump, menée au nom de la « sécurité nationale », marque clairement la volonté des États-Unis de s’affirmer comme seule super-puissance internationale désireuse de redéfinir les règles et les contours de la mondialisation à son avantage. Nul ne sait à cette heure si la Maison Blanche parviendra à ses fins.
Quant à l’UE et à la France, plutôt que parier sur un hypothétique retour en arrière de Trump, sans doute devraient-ils se demander quels sont les investissements publics nécessaires pour réduire notre dépendance aux marchés mondiaux… et aux décisions des autocrates et trumpistes aux quatre coins de la planète.
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