C’est “la plus grosse catastrophe sociale en France depuis 40 ans”. Prononcée le 9 septembre, la liquidation de Milee, entreprise de distribution publicitaire, a laissé 10000 salariés sur le carreau. Un mois plus tard, les déboires administratifs s’ajoutent à la précarité, créant des situations sociales dramatiques. Pour contraindre le ministère de l’Economie à réagir, la FILPAC-CGT organisait un rassemblement ce 8 octobre à Bercy.
“Il y a 10 000 licenciés… Mais bon, ici on n’est pas 10 000“. Face au ministère des finances, Marie-Ange Goyard a pris le micro et son courage à deux mains pour témoigner. Salariée de Milee depuis 2016, elle fait partie des rares ex-employés du distributeur d’imprimés publicitaires à avoir pu faire le déplacement jusqu’à Paris.
Ce 8 octobre 2024, seule une centaine de personnes, essentiellement des militants des syndicats CGT affiliés à la FILPAC-CGT (Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication) et des élus sont présents. La jeune femme de 37 ans, venue de Varennes-Sous-Dun (Saône-et-Loire), à 400km de Bercy, a du mal à comprendre : “l’info a peut-être mal circulé ? Les collègues n’avaient pas compris qu’il y avait possibilité de faire du covoiturage ?“
Marasme social
Prononcée le 9 septembre 2024, la liquidation de Milee (ex-Adrexo) est “la plus grosse catastrophe sociale en France depuis 40 ans”, insiste la CGT dans un communiqué du 1er octobre. Mais, paradoxalement, elle se déroule dans un quasi silence médiatique et en l’absence des salariés. Pour combler ce vide, la Filpac-CGT a déployé une grande banderole : “On mérite le respect”, représentant les visages de plusieurs d’entre elles et eux.
Sophie Binet, présente au rassemblement, résume d’une phrase : “Ils ont cru que vous étiez comme les publicités que vous distribuiez : jetables“. Mais la secrétaire générale de la CGT a beau poser des mots forts sur le marasme en cours, ils ne semblent pas à la hauteur de la détresse humaine. C’est que les salariés de Milee sont particulièrement précaires. Leurs contrats au SMIC, assurent souvent des revenus de complément à des femmes seules ou des retraités. “Sur les 10 000 licenciés, 1700 ont plus de 70 ans“, rappelle Jean-Paul-Dessaux de SUD-PTT. “On reçoit des captures d’écran de compte en banque à découvert, avec marqué -600€, -800€…“, poursuit une syndicaliste.
Des sanglots dans la gorge, Marie-Ange Goyard rappelle qu’on est mardi, que le mardi, son conjoint fait la queue aux restos du cœur, pour elle et ses deux enfants. Son travail chez Milee ne leur a jamais assuré un quelconque confort. “J’avais un contrat en CDI de 20 heures, mais pour distribuer tout mon stock de pub, il m’en fallait au moins 35. J’étais payée 900 euros, mais là-dedans, il fallait prendre en compte l’essence, l’usure de la voiture, les heures non payées. Au final, je touchais parfois moins que le RSA. Il y a un documentaire là-dessus“, rappelle-t-elle. “Mais maintenant c’est pire, je ne peux pas m’inscrire au chômage, je ne peux pas retrouver de boulot, la boîte m’envoie voir un psy…à une heure de voiture de chez moi !“, déplore-t-elle.
Agir en urgence
Alors, pour les organisations syndicales, l’urgence est d’abord d’assurer des rentrées d’argent aux salariés. “Dans cette affaire, le respect le plus élémentaire du Code du travail n’est même pas assuré“, souligne Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT chez Milee. Outre des retards réguliers de salaire, le mandataire judiciaire “ne s’estime pas en capacité de produire avant décembre les 10 000 attestations qu’il doit distribuer aux licenciés pour signifier la fin de leur contrat de travail”, explique Mediapart. Dramatique, puisque sans cette attestation, il est à la fois impossible de toucher le chômage et de signer un nouveau contrat de travail.
D’où la volonté de mettre la pression sur Bercy. “Actuellement, il n’y a que deux liquidateurs, il en faudrait au moins 10. Il y a une obligation de moyens qui n’est pas respectée“, ajoute Sébastien Bernard. Parallèlement, la CGT a engagé une bataille aux prud’hommes, moyen supplémentaire de presser le liquidateur et l’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés), qui verse les salaires. “Avec une procédure d’urgence, on peut espérer avoir des résultats au plus tôt d’ici 6 mois. C’est beaucoup trop long et c’est pour cela qu’il est nécessaire d’interpeller Bercy directement. En revanche, aux prud’hommes, nous pourrions contester les licenciement si nous arrivons à prouver qu’il y a une faute du côté des dirigeants. Et c’est loin d’être quelque chose d’impossible“, détaille Alexandra Dupuy, avocate de la FILPAC-CGT, qui va emmener les dossiers de plus de 200 ex-salariés de Milee devant les prud’hommes d’Aix-en-Provence.
La CGT soulève en effet certaines zones d’ombre dans la gestion financière de la holding aixoise Hopps, propriétaire de Milee, détenue par les trois actionnaires Eric Paumier, Guillaume Salabert et Frédéric Pons. “Où sont passés les 600 millions de la revente de Colis privé ?“, questionne Sophie Binet. Côté assemblée nationale, la députée LFI de la Somme Zahia Damdane a posé une question au gouvernement sur le paiement des salariés de Milee le 1er octobre et réitère ce 8 octobre.
Bataille de fond
Entre 2019 et 2023, le marché de l’imprimé publicitaire est passé de 10,4 milliards à 5,7 milliards d’imprimés. Mais alors que la mort du secteur, ou du moins son recalibrage certain, était annoncé de longue date, l’Etat n’a absolument pas anticipé le marasme social. “Il n’y a pas de stratégie de filière“, tance Sophie Binet. Outre les mesures d’urgence, les organisations syndicales tentent donc de porter des revendications de fond.
“Nous aimerions discuter de trois choses. D’abord une soulte pour les salariés de plus de 70 ans, qui leur permettrait une existence décente. Deuxièmement, il faut exiger que La Poste reprenne les salariés de Milee qui le souhaitent, comme elle l’a fait avec les employés de Médiaposte. Enfin il faut discuter de l’ouverture d’un fond de reconversion pour tous les salariés qui souhaiteraient faire autre chose“, soumet Jean-Paul-Dessaux de SUD-PTT. Pour la CGT : “Il s’agit de poser la question de l’avenir des métiers de portage de presse. Nous avons des idées, par exemple, le mutualiser avec la distribution de produits pharmaceutiques“, soumet la secrétaire générale de la CGT.
En attendant, pour parer au plus urgent, la manifestation devant Bercy a fait son petit effet. Les syndicats seront reçus par le directeur de cabinet du ministre de l’économie dans l’après-midi.
Crédit photos : Guillaume Bernard – Rapports de force.
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