Alors que la réforme du Revenu de Solidarité Active vient d’entrer en vigueur, le nombre de bénéficiaires augmente en France. Après un an d’expérimentation dans plusieurs départements, rien ne prouve l’influence des fameuses 15 heures d’activité imposées à tout allocataire en contrepartie de son RSA. Mais les pouvoirs publics se focalisent uniquement sur l’évolution des chiffres…
La bataille des chiffres en matière d’insertion sociale commence plutôt mal pour le gouvernement. Alors que la loi plein emploi, annoncée en grande pompe, vient d’entrer en vigueur au 1er janvier, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publie le nombre d’allocataires des minima sociaux à l’automne 2024. Et les bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active (RSA) sont désormais 1 850 000, soit en légère hausse de 0,2 % par rapport à 2023.
Des chiffres qui laissent songeur après plus d’un an d’expérimentation d’une loi, censée ne laisser « plus personne au bord de la route ! ». Et notamment grâce à sa mesure phare et controversée : le RSA conditionné. Désormais, chaque bénéficiaire doit justifier de 15 heures minimum d’activité par semaine pour espérer percevoir ses 635 euros mensuels. D’abord testé sur 18, puis 47 territoires, 57 746 allocataires participent actuellement à cet « accompagnement rénové », agrémenté de sanctions, voire de radiations en cas de non-respect des engagements, signé dans un contrat.
Des chiffres peu représentatifs
Aucun de ces départements pilotes ne figure dans le top 10 des zones où les RSA-istes sont les plus nombreux fin 2024, note l’économiste Michel Abhervé sur son blog. Selon nos propres calculs, un peu moins de la moitié d’entre eux (21) a vu son nombre d’allocataires augmenter. Pour l’autre moitié, il décroît, parfois dans de fortes proportions. Il n’y a pas vraiment de règle. Par exemple, le nombre de détenteurs de l’allocation augmente de 1,8 % dans la Marne quand il chute de -3,3 % dans la Meuse. Ces deux départements ont participé à l’essai de ce RSA nouvelle formule. Difficile en l’état de relier ces chiffres aux expérimentations de la réforme. D’autant que la note trimestrielle de la Drees reste par définition conjoncturelle et que les « zones tests » ne couvrent qu’une partie des départements qui appliquent la réforme à leur manière…
« Les résultats sont là » plastronnait pourtant Gabriel Attal en déplacement dans les Vosges en mars 2024 pour justifier la généralisation de la mesure. « Sans la réforme, en sept ans, un [bénéficiaire du RSA] sur dix a un emploi. Avec la réforme, en cinq mois, un sur deux a un emploi. C’est un progrès absolument colossal », croyait-il savoir. En compilant les chiffres des 18 premières expériences, France Info nuançait l’enthousiasme du gouvernement : un bénéficiaire sur trois en emploi. Récemment, l’antenne vosgienne de France Travail évoque un retour à l’emploi à 53 %… sans en détailler la qualité. Au niveau national, un premier bilan, qui n’avait pas convaincu les professionnels du secteur, faisait état d’une majorité d’emplois précaires.
De meilleurs résultats sans la réforme ?
Unique territoire où l’expérience a couvert l’ensemble du département, la Creuse pourrait à elle seule relativiser l’efficacité de la mesure. Cette zone pionnière de ce nouveau RSA, choisie pour son « échantillon réaliste » a vu sa population d’allocataires augmenter de 2,5 %, un an et demi après le début de l’expérience. Et malgré les satisfécits de la direction régionale de France Travail, à peine 16 % des celles et ceux qui en sont sortis occupent des postes durables. Idem dans l’Yonne, où la proportion de participants à cette « expérimentation » est la plus importante, la part d’entre eux ayant un travail six mois après leur sortie, est la plus faible des 47 territoires : 5,5 %. De son côté, le secteur de Givors obtient des résultats similaires, voire meilleurs sans sanction.
En novembre dernier, une nouvelle expertise gouvernementale, portant sur huit territoires, estimait pour sa part que le taux de présence en emploi six mois après le démarrage du suivi était de… 10,5 %, tous parcours confondus. Si les experts jugent que cet accompagnement intensif a « des effets globalement positifs », ils relèvent surtout que l’état des données disponibles ne peut témoigner « d’une amélioration par rapport à la situation préexistante ». En clair : rien ne prouve que ses effets n’auraient pas eu lieu sans le dispositif. En revanche, la Commission nationale consultative des droits de l’homme parle tout bonnement « d’atteinte aux droits humains » à propos de l’obligation d’activité en contrepartie du RSA.
Retour à l’emploi ou radiation ?
En l’absence de recul suffisant et d’étude d’impact rigoureuse, la communication des pouvoirs publics se focalise sur le nombre de détenteurs des minima sociaux. Les Bouches-du-Rhône décèlent des « résultats prometteurs » dans le fait que les rangs du RSA se sont clairsemés de 25 % en trois ans. A Saint-Nazaire, où les moyens ont été mis par l’État pour mieux accompagner, sans contrainte, les personnes en détresse, le vice-président se félicite de voir diminuer d’environ 7 % le nombre d’allocataires : « Ce n’est pas rien, d’autant que sur le reste du département, ce nombre a augmenté de 2 % ».
Certains élus font même de cette inversion de la courbe des allocataires un objectif en soi. Le Finistère vise 1 000 allocataires de moins en 2025. Et met les moyens à grand renfort de « coaching emploi », de contrôle et de sanction. « Ce plan d’action fonctionne » se réjouit le conseil départemental, en mars denier, fier d’avoir sorti de 3 000 de personnes du RSA depuis 2021. « Ont-elles (re) trouvé un emploi ou ont-elles été radiées ? » s’inquiète un nouveau collectif Brestois, soutenu par le CGT, après avoir occupé le conseil départemental du Finistère. Le président de ce dernier, Maël de Calan, vient d’apporter des précisions… Les radiations sont à l’origine de cette décrue spectaculaire. Elles représentent trois quarts des sorties, a calculé l’économiste Michel Abhervé.
Une politique du chiffre à coup de tableaux et de graphiques, que dénonce l’élu départemental d’opposition Kevin Faure dans une tribune parue dans le Télégramme. « L’indicateur ne peut être un volume à un instant T. Si la courbe repart à la hausse, est-ce à dire que la politique est inefficace ? », démonte l’édile socialiste auprès de Rapports de Force. « L’unique critère doit être la qualité de sortie et les besoins sociaux. A quoi ça sert d’avoir moins d’allocataires si la pauvreté progresse ? »
Non-recours au Rsa en hausse dans les zones d’expérimentation
Étonnamment, il est une donnée qui intéresse peu les obnubilés de la courbe : le taux de non-recours au revenu de solidarité progresse de 10,8 % dans les zones expérimentant la réforme, alertent plusieurs ONG . Et ce n’est pas l’instauration au 1er mars 2025 de la simplification des demandes d’aides qui suffira à le résorber. Dans le Nord, beaucoup décrochent d’eux-mêmes du dispositif par peur des contrôles, comme nous le rapportions en décembre. Ce département, qui connaît une baisse constante du nombre de rsa-istes depuis 2021, a pris les devants de la loi plein emploi, de manière plutôt zélée. Depuis octobre, tout ou partie du RSA est suspendue en cas d’absence à un rendez-vous. Résultat ? 12 000 allocations sucrées, révèle France 3. Depuis 2019, 72 500 sorties du dispositif RSA sans qu’on sache s’il s’agit de retour à l’emploi ou de radiations. « Il y a une grande opacité, dénonce Olivier Treneul du syndicat Solidaires au département du Nord. Ils refusent de donner les chiffres, même les élus d’oppositions n’en ont pas connaissance ».
Derrière ces statistiques, il y a surtout des vies rythmées par des allers-retours entre emploi temporaire, chômage, allocation, voire un cumul de ces statuts. C’est ce « sas de précarité », déjà aggravé par les « effets combinés » des dernières réformes des retraites et de l’assurance-chômage, qui risque de s’élargir avec la réforme. Qu’importe… Le gouvernement poursuit son objectif : afficher 5% de chômage en 2027.
Crédit photo : Serge D’ignazio
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