grève Exxonmobil

Limitation du droit de grève : une stratégie à l’œuvre à l’échelle européenne

Que dit la répression d’une grève d’ATSEM à Lormont de la stratégie anti-grève des gouvernements libéraux européens ? A priori rien. Mais à y regarder de plus près, la définition toujours plus floue de ce qu’est un service essentiel, de plus en plus répandue en Europe, est bien une manière de limiter au maximum le droit de grève.

Lormont, 25 000 habitants, banlieue bordelaise. En ce mois de septembre 2025, un conflit social oppose les 43 agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles (ATSEM) de la commune au maire, Jean Touzeau (PS). Ces dernières refusent de travailler deux mercredis par mois pour faire le ménage alors que leurs écoles pratiquent la semaine de quatre jour et ferment justement le mercredi. 

« Ça nous repose vraiment le corps, mais ça, ils ne veulent pas l’entendre. On ne demande pas à travailler moins, on veut travailler dans de meilleures conditions », explique Serife, une des Atsem, au micro d’Ici Gironde. Pour se faire entendre, elles optent pour la grève.

Des débrayages de deux heures le midi, qui empêchent les cantines de fonctionner normalement sont reconduits chaque jour. Mais le 16 septembre, la directrice générale des services de la Ville de Lormont se fend d’une note de service qui s’attaque directement au portefeuille des grévistes. Elle affirme que la municipalité peut retirer une journée complète de salaire aux agentes même si les débrayages ne durent que deux heures et insiste sur les nuisances aux usagers causées par la grève.

La CGT saisit le tribunal administratif pour faire annuler la note de service mais ce dernier ne reconnaît pas le caractère d’urgence de la procédure et le syndicat est débouté. La demande de la CGT sera jugée sur le fond ultérieurement, en attend le mal est fait : les débrayages ont cessé et la mobilisation est affaiblie.

La note de service lormontaise n’a rien d’inédit. Inspirée par la loi de transformation de la fonction publique de 2019, elle limite le droit de grève des agents territoriaux en instaurant un dispositif de service minimum. Les municipalités, tous bords confondus (droite, PS, ou encore écologiste), s’en sont largement saisis pour étouffer des contestations sociales.

Faute d’accord avec leurs syndicats, elles se sont souvent faites retoquer par les tribunaux administratifs, comme encore récemment à Toulouse. Mais quels qu’aient été les résultats des procédures judiciaires engagées, ces restrictions du droit de grève ont contribué à affaiblir les mouvements sociaux sur les périodes où elles se sont appliquées. C’est-à-dire pendant plusieurs années. Et donc à freiner les salariés dans la conquête de leurs droits.

« Depuis 2021 cette note de service illégale était absolument respectée, cela fait 4 ans que l’on restreint le droit de grève des salariés pour rien ! Lors de la bataille contre la réforme des retraites, j’avais des collègues qui n’osaient plus faire grève parce qu’ils avaient posé des journées entières et perdu trop d’argent », nous expliquait Elisa de SUD CT 31 au mois d’octobre.

Ces restrictions du droit de grève, dans la droite ligne de la loi sarkozyste de 2008 sur le service minimum, ne se limitent pas au secteur public. Les mouvements sociaux de ces dernières années rappellent que l’État n’hésite pas à réquisitionner les grévistes lorsque les capacités de blocage d’un mouvement deviennent trop fortes. En octobre 2022, alors que les stations services se vident, la Première ministre Élisabeth Borne annonce la réquisition des raffineurs d‘ExxonMobil. La fin de la grève est sonnée. De même, en 2023, alors que la bataille contre la réforme des retraites bat son plein, les éboueurs parisiens en grève reconductible sont réquisitionnés. Rien de bien nouveau : en 2010, Nicolas Sarkozy avait fait de même avec les raffineurs qui s’opposaient à sa réforme des retraites. Dès 2011, l’Organisation Internationale du Travail (OIT), agence tripartite de l’ONU qui réunit des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs des 187 Etats membres, avait d’ailleurs critiqué le comportement de l’Etat français, lui reprochant d’avoir tranché le conflit trop unilatéralement.

La France est loin d’être le seul pays d’Europe où de telles pratiques sont mises en place et où les lois sur le service minimum se multiplient. En 2023, le Royaume-Uni a mis en place une grande loi sur le service minimum restreignant le droit de grève dans le transport ferroviaire, la police aux frontières et les ambulances.

Toutes ces limitations du droit de grève contribuent à faire de l’Europe le continent qui, « au cours de la dernière décennie, a connu la plus forte détérioration des droits du travail de toutes les régions du monde », écrit Equal Time, média syndical soutenu par la Confédération Syndicale Internationale (CSI). 

La stratégie patronale, qui infuse au sein des gouvernements consiste à  définir de manière très imprécise ce qui est considéré dans chaque pays comme des « services essentiels  » pour limiter les grèves au maximum. Or l’OIT, stipule que les « services essentiels » sont uniquement « les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne », rappelle Equal Time. Une définition qui semble ne pas coller tout à fait à une grève d’ATSEM.

Enfin, si l’Europe est le continent où la dégradation du droit de grève est la plus visible, c’est aussi parce que celui-ci est quasi inexistant dans nombre de pays. Le dernier Indice des droits dans le monde, établi par la Confédération syndicale internationale (CSI) révèle que le le droit de grève a été enfreint dans 95 % des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, 93 % des pays d’Afrique, 91 % des pays d’Asie-Pacifique, 88 % des pays d’Amérique et 73 % des pays d’Europe.

Crédit photo : Baptiste Soubra – Les amis de la terre