Masques, gels, cliniques privées, la France va-t-elle réquisitionner comme l’Espagne ?


 

Le gouvernement va décréter un « état d’urgence sanitaire ». Le conseil des ministres examine aujourd’hui un projet de loi qui sera présenté jeudi à l’Assemblée nationale et vendredi au Sénat. Parmi diverses dispositions, il donne pouvoir au Premier ministre de limiter les libertés. Sera-t-il utilisé comme un tour de vis sécuritaires, alors que des peines de prison y sont annoncées dans son article 15 ? Ou, servira-t-il à des réquisitions de matériels de protection, comme le texte pourrait l’y autoriser ?

 

Réquisition des centres de santé privés, de matériel médical, de tout biens ou services nécessaires à la lutte contre l’épidémie de coronavirus, ce sont quelques-unes des mesures prises par les autorités en Espagne ces derniers jours, parallèlement à celles relatives au confinement de la population. Mardi, le gouvernement espagnol a fait saisir par la Guardia civil 150 000 masques chirurgicaux, dans une entreprise de Jaén, pour les acheminer vers un hôpital de la capitale.

Rien de tel à ce jour en France. L’épidémie de Covid-19 a pourtant envahi les journaux et s’est diffusée en Italie, puis sur le territoire français, depuis des semaines. Mais à ce jour, même le choix du gouvernement de fournir des masques exclusivement aux personnels soignants et aux malades n’est pas effectif. Ceux-ci viennent à manquer dans les hôpitaux, les Ehpad, pour la médecine de ville ou les soins à domiciles. Et ce, sans compter les nombreux salariés exposés estimant en avoir besoin pour eux ou pour réduire la diffusion du virus, comme les caissières des supermarchés qui voient des centaines de clients défiler à leurs caisses chaque jour.

 

Système D

 

La pénurie est telle que deux hôpitaux ont même lancé des appels en direction du public pour la fabrication de masques. Une sorte de Do It Yourself, faute de décisions étatiques organisant une production et distribution de masse. « Pour pallier un éventuel manque de masques de protection et limiter le risque de propagation du coronavirus, nous avons besoin de votre aide pour créer un stock de masques pour tous les professionnels non soignants de l’hôpital et ainsi préserver notre stock de masques chirurgicaux réservé pour les soignants », indique le CHU de Saint-Brieuc. Celui de Grenoble a mis à disposition de son personnel un mode d’emploi pour la fabrication de masques en tissu pour celles et ceux des soignants ne prenant pas en charge directement les patients atteints du coronavirus.

Devant la pénurie persistante de gel hydroalcoolique, c’est le monde de l’entreprise qui monte au créneau à la place du gouvernement. Le groupe de luxe LVMH a annoncé le 16 mars qu’il allait transformer trois de ses usines de fabrication de parfum en lignes de production de gel hydroalcoolique. Cette idée de réorganisation de la production à des fins de santé publique n’a manifestement pas traversé l’esprit des responsables français. Aujourd’hui, c’est le groupe Pernod Ricard qui communique sur le don de 70 000 litres d’alcool au laboratoire Cooper pour la fabrication d’un million huit cent mille flacons individuels de 50 millilitres.

 

État d’urgence sanitaire ou sécuritaire ?

 

Le gouvernement va-t-il changer de braquet vis-à-vis de la fabrication et de la diffusion des biens permettant la protection des soignants et de la population ? C’est une possibilité. Ce mercredi, le conseil des ministres prévoit d’instaurer un « état d’urgence sanitaire ». Celui-ci permet au Premier ministre de restreindre pour douze jours les libertés individuelles et collectives. Il peut prendre « les mesures générales limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion ». Mais il peut aussi procéder « aux réquisitions de tout bien et services nécessaires afin de lutter contre la catastrophe sanitaire ».

Sur ce dernier point, le gouvernement pourrait par exemple réquisitionner des biens privés, ou réorienter des moyens publics pour lancer la production en masse de masques qui manquent cruellement aujourd’hui. À moins que sa vision disruptive du monde ne l’incline à considérer que secteur marchand et intérêt général font forcément bon ménage. C’est à craindre au regard de ses décisions ou de ses non-décisions passées, notamment en matière de gestion des pénuries de médicaments fabriqués pour l’essentiel en Asie afin de faire gonfler les bénéfices de l’industrie pharmaceutique. Réponse dans quelques jours, selon que le volet sécuritaire de l’état d’urgence sanitaire prendra ou non le dessus sur le volet des mesures de protection sanitaire de la population.