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Militants handicapés en Cassation : l’action directe pour mettre le validisme à l’agenda

En 2018, ils et elles bloquaient la gare et l’aéroport de Toulouse. Ce 23 octobre 2024, ces militants handicapés se pourvoient en Cassation pour faire reconnaitre l’état de nécessité qui les a conduit à la désobéissance civile. Depuis six ans, leur recours à l’action directe a contribué à mettre la question du validisme sur la table du mouvement social.

Pour se rendre à l’audience, elles vont encore galérer. “A Paris, les métros ne sont pas accessibles, je dois aller de la gare à la Cour de cassation en fauteuil roulant. Heureusement, il est électrique, c’est ça qui me sauve“, confie Sophie Lombard, comédienne et metteuse en scène, “en fauteuil depuis la naissance” et militante d’Handi-Social. 

Ce mercredi 23 octobre, 16 militantes et militants qui luttent pour les droits des personnes handicapées demandent à la Cour de cassation de casser l’arrêt de la Cour d’appel qui les a condamnés, en octobre 2022. Leurs torts, selon la justice ? Avoir mené deux actions de désobéissance civile les 24 octobre et 14 décembre 2018. A cette époque, équipés de leurs fauteuils roulants, certains d’entre eux avaient d’abord bloqué un TGV, puis les pistes de l’aéroport de Toulouse, pendant une petite heure. 

Il s’agissait de protester contre la loi Elan qui venait d’être votée, divisant par cinq la production de logements accessibles. L’idée c’était de dire : certes on vous bloque pendant une heure, mais nous, nous sommes bloqués toute notre vie !” rappelle Odile Maurin, la présidente d’Handi-Social. Votée en avril 2018, la Loi Elan a remis en question l’obligation du “100% de logements accessibles”, lui préférant l’obligation de “logements évolutifs”, c’est-à-dire susceptibles d’être adaptés pour accueillir une personne handicapée. Une régression majeure pour les personnes handicapées.

L’audience en cassation pourrait-être l’aboutissement d’une stratégie de lutte via l’action directe et la désobéissance civile, mise en place par Handi-Social dès 2014. “J’ai d’abord longtemps mené la lutte sur le terrain juridique et médiatique. Mais j’ai finalement compris que ça ne suffisait pas : les quelques victoires individuelles n’empêchaient pas le recul global des droits des personnes handicapées et les plus précaires n’étaient pas en capacité de s’investir dans la bataille juridique“, explique Odile Maurin, figure de proue de Handi-Social. 

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La militante, également élue au conseil municipal de Toulouse, décide alors de changer de stratégie. “Nos conférences de presse n’intéressaient pas vraiment les journalistes. D’un autre côté, je voyais des syndicalistes mener des actions qui permettaient davantage de se faire entendre. En 2014, on a commencé les opérations péages gratuits avec nos fauteuils roulants. On a continué avec l’occupation de la préfecture de la Haute-Garonne en 2015. Pour s’opposer à la loi Elan, en 2018, on a bloqué le convoi de l’Airbus A380, mais aussi quatre cimenteries, puisque la loi était à l’initiative de la Fédération française du bâtiment. Jusque-là, personne n’osait nous déloger ou porter plainte, car c’était catastrophique en termes d’image de s’en prendre à des personnes qui demandaient simplement à ce que leurs droits à l’accessibilité soient respectés“, continue la militante.

A l’automne 2018, l’ambition d’Handi-Social monte encore d’un cran. “On a d’abord bloqué la gare de Toulouse-Matabiau, qui s’était engagé à réaliser des travaux d’accessibilité en 2015 mais ne tenait pas ses promesses”, raconte Odile Maurin. Le 24 octobre 2018 une vingtaine de militants du Collectif Inter Associatifs Handicap 31 (CIAH 31), dont Handi-Social fait partie, se retrouvent dans la gare. Plusieurs personnes en fauteuil roulant se placent alors “sur le passage planchéifié permettant le franchissement de la voie à quelques mètres de la tête du TGV“, décrit Handi-Social dans un communiqué de presse. Pendant ce temps, d’autres militantes rentrent dans les wagons pour tracter auprès des voyageurs. Au bout d’une heure, les militants repartent de leur propre initiative.

Après cette action d’envergure, l’État a commencé à engager des poursuites contre nous pour entrave à la circulation ferroviaire et à la circulation routière. On trouvait ça particulièrement gonflé de nous reprocher des entraves de quelques dizaines de minutes alors que nous sommes entravés en permanence“, se remémore Odile Maurin. Vient alors une idée folle. “C’est parti d’une blague. On s’est dit qu’après les routes, les gares, il ne nous restait plus qu’à bloquer les ports ou les aéroports. Comme il n’y a pas de port à Toulouse, on a commencé à regarder du côté de l’aéroport, sans trop y croire“, continue-t-elle. 

Finalement, au détour d’un repérage, la militante découvre une faille béante. “Deux portails grands ouverts permettaient d’accéder aux pistes, à l’opposé de l’aérogare, et une simple casemate à proximité avec un agent de sécurité pour la surveiller“. Le 14 décembre 2018, les militants louent alors une voiture pour se rendre directement sur les pistes. A la surprise générale, l’action réussit et la police, la gendarmerie et la douane interviennent à toute berzingue pour rattraper les fauteuils roulants qui roulent sur les pistes. Emmenés – non sans mal du fait de l’inadaptation des véhicules – au commissariat de l’aéroport, ils sont finalement convoqués au tribunal correctionnel et se voient infliger des amendes administratives de 750 euros. “L’AAH n’était alors que de 860 euros“, rappellent-ils.

Ces actions nous ont donné beaucoup de visibilité. Elles ont aussi contribué à mettre la question du validisme à l’agenda. Aujourd’hui, même si on n’a pas autant d’impact que les luttes écologistes ou anti-racistes, loin de là, le milieu militant sait de quoi on parle quand on dit “validisme”. On parle d’un système d’oppression des personnes handicapées, qui sont vues comme une humanité à part“, raconte Odile Maurin. 

De la piste de l’aéroport, la bataille se déplace alors sur les bancs du tribunal, notamment à l’occasion d’une audience en première instance particulièrement désastreuse. Le 23 mars 2021, le tribunal correctionnel de Toulouse n’est pas en capacité de fournir de micros fonctionnels, des interprètes pour les personnes ayant des difficultés à s’exprimer, ou encore des assistants pour se rendre aux sanitaires. Certains militants sont contraints à “porter des couches”, un autre à “s’uriner dessus”, précise Handi-Social dans un dossier fourni à la presse en prévision de l’audience en cassation. “Rien n’était adapté, c’était terrible et en même temps c’était l’illustration de tout ce que l’on dénonçait“, résume Sophie Lombard, la metteuse en scène et militante.

En première instance, les activistes écopent de peines de prison avec sursis : 6 mois pour Odile Maurin, 4 mois pour Kevin Fermine, et 2 mois pour les autres prévenus. Seule Sophie Lombard, qui n’avait participé qu’à l’opération de blocage du TGV, échappe à la peine de prison. Les peines seront finalement ramenées à des amendes avec sursis lors du délibéré de la seconde instance, le 27 octobre 2022, sauf pour la présidente d’Handi-Social, condamnée à une amende ferme. Les militants sont aussi condamnés à verser des dommages et intérêts, ainsi que des frais de procédure, aux parties civiles (SNCF, Aéroport de Toulouse-Blagnac, Airbus, Air France). Ils décident alors de se pourvoir en cassation.

Signal plutôt positif, l’avocat général de la chambre criminelle de la Cour de Cassation recommande la cassation dans ses conclusions du 6 mai 2024 et propose de faire évoluer la jurisprudence quant à la proportionnalité des peines en cas de désobéissance civile non-violente. Mais ces conclusions peuvent ne pas être suivies par la Cour.

De notre côté, nous allons plaider l’état de nécessité. D’accord, on a fait quelque chose d’illégal mais nous y étions contraints après avoir épuisé toutes les autres solutions, face à un Etat qui bafoue nos droits“, explique Odile Maurin. De fait, le long parcours militant d’Handi-Social montre que de nombreuses solutions ont été envisagées avant ces blocages. De même, les manquements de l’État vis-à-vis des personnes handicapées sont faciles à prouver puisqu’ils sont dénoncés par l’ONU. “Et si on ne gagne pas en Cassation, on gagnera devant le conseil de l’Europe“, veut croire la présidente d’Handi-Social. 

Accompagnés de Me Arié Alimi, les militants vont aussi tenter de démontrer que leur condamnation constitue une “procédure bâillon” destinée à “les faire taire et à les empêcher d’exercer leur liberté d’expression”, continue l’association dans son dossier de presse. “Si on y arrive, la jurisprudence pourrait servir à tout le mouvement social. En attendant, il nous faut des moyens, notamment financiers. On est épuisés et la bataille judiciaire nous a déjà coûté plus de 30 000 euros. C’est énorme pour des gens qui vivent principalement de l’AAH (NDLR :environ 1000€ pour une personne seule et sans enfant). On appelle donc tout le monde à remplir notre cagnotte“, conclut Odile Maurin.