Pour fêter le 1er mai, la ministre du travail vante le bénévolat en entreprise

En soutien aux artisans-boulangers, inquiets d’être verbalisés pour avoir ouvert le 1er mai, la ministre du Travail s’est dite prête à les « aider bénévolement ». Elle s’est prononcée en faveur d’une loi les autorisant à tenir boutique ce jour férié, quitte à revenir sur une conquête ouvrière, datant de 1890...

Il est 07h00, il est 19h00, et comme tous les matins, comme tous les soirs, vous vous rendez dans votre boulangerie préférée. Vous demandez votre croissant matinal ou votre baguette du soir, tradition ou classique, et là… En place de votre boulanger favori, vous tombez sur Catherine Vautrin. Si si Catherine Vautrin, en tablier et mains farinées qui vous sert. « Avec ceci ? Ce sera tout ? » Vous n’en revenez pas de voir la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, mettre la main à la pâte, de surcroît gratuitement ? Cette dernière s’est pourtant dite, « à titre personnel » sur Sud Radio ce 22 avril, « prête à aider bénévolement un boulanger s’il en a le besoin ».

Malheureusement, cette louable intention de la numéro 5 du gouvernement Bayrou se heurte à une légère difficulté qui s’appelle le droit du travail, lui a rappelé la CGT-TEFP de son propre ministère. « La ministre ignore-t-elle que le « bénévolat », sauf exceptions très limitées, n’existe pas dans les entreprises qui poursuivent par définition un but lucratif ? », a réagi ce syndicat d’inspecteurs du travail. Pire, « elle incite ainsi des milliers d’employeurs à contourner l’interdiction d’emploi de salariés et à se livrer au travail dissimulé. »

Mme Vautrin s’est surtout montrée réceptive aux inquiétudes de la Confédération de la boulangerie-pâtisserie française. Par voie de communiqué, ce syndicat patronal a fait part le 15 avril de ses sueurs froides à l’idée de ne pouvoir ouvrir nos 33 000 boulangeries, le 1er mai. La raison tient à ce que cette journée internationale de lutte pour les droits des travailleuses et travailleurs est le seul des onze jours fériés à être obligatoirement chômé, et accessoirement payé. En clair : aucun salarié n’est censé tenir son poste ce jour-là. Cette interdiction n’empêche pas en soi les artisans de chauffer leur fournil en cette date fériée, à condition de ne pas donner du pain sur la planche à leur personnel. Tout est parti de cinq boulangers de Vendée verbalisés pour avoir fait travailler leurs employés en mai 2024. La sanction est de 750 € par salarié non chômé et 1500 € pour un mineur. Les patrons du secteur se sont alors insurgés contre une règlementation basée sur une « position ministérielle obsolète », datant de 1986, qui entretiendrait un flou juridique : autorisées à ouvrir le dimanche, les boulangeries pourraient déroger au 1er mai non travaillé. Sauf qu’aucune liste ne vient préciser les commerces en question. Les hors-la-loi vendéens ont finalement été relaxés, il y a quelques jours. « Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’infraction constatées mais que le procureur a décidé de ne pas poursuivre en audience correctionnelle », précise Cécile Clamme, secrétaire générale de la CGT-TEFP.

Reste que le sort des mitrons a ému Catherine Vautrin qui a même regretté de ne pouvoir « demander qu’il n’y ait pas de contrôles ». Une telle décrédibilisation de ses propres services et du « principe même du contrôle en entreprise » n’a pas trop plu à la CGT qui redoute une mise en danger des inspecteurs du travail, lors de leurs prochaines visites inopinées chez un commerçant. Ces fonctionnaires sont libres d’intervenir à toute heure du jour ou la nuit dans n’importe quelle entreprise, à condition qu’un travailleur y soit présent. Avec un contrôleur pour 10 000 salariés, cette police du travail demeure loin d’être partout… Pas davantage le 1er mai. Et à croire une inspectrice interrogée, « les boulangeries ne sont pas plus contrôlées que les menuiseries alors que les risques y sont tout aussi présents ». Le secteur emploi près de 30 000 apprentis, dont certains mineurs, enchainent des horaires à rallonges, parfois de nuit et usent d’équipements plutôt dangereux, comme le pétrin ou le laminoir… Pour rappel, 45 % des accidents restent liés à de la manutention manuelle. Et les pétrisseurs de farine en tout genre représentent à eux seuls, un quart des salariés français atteints d’affection respiratoires. « A la limite, Mme Vautrin, en tant que garante du respect du code du travail, devrait plutôt s’émouvoir de ça. Elle est ministre du travail, pas des boulangers », tacle Cécile Clamme de la CGT.

Face à une telle situation, deux sénateurs centristes ont décidé déposé une loi, avalisée par le gouvernement et demandée par le RN, pour adapter « le droit aux réalités du terrain ». Car, il persistait une injustice dans ce pays : tous les français ne pouvaient acheter leur miche en ce premier jour de mai. Or, « je sais combien le pain est important dans notre pays », a argumenté la ministre. Les français consomment en effet pas moins de 10 milliards de baguettes par an. Et ce, malgré une hausse de son coût, sans que ça n’émeuve vraiment le gouvernement, peu enclin à geler les prix des produits de première nécessité. « On sait survivre un jour sans avoir sa baguette de pain. Il y a 364 autres jours dans l’année pour ouvrir. Le 1er mai doit rester férié et chômé par les salariés », a raillé la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet sur LCI, rappelant la charge historique de cet acquis, datant de 1890.

Au moins, les français pourront acheter le traditionnel muguet, le 1er mai. La convention collective des fleuristes leur permet d’ouvrir ce jour-là. Mais face à une supposée recrudescence des contrôles, ces commerçants, « inquiets d’être considérés comme des délinquants », seront également concernés par le projet législatif. La ministre du travail a tenu à rassurer ses détracteurs : « L’idée, c’est de pouvoir permettre, sur une base de volontariat, que des salariés travaillent. Ils sont bien sûr payés double ». Cette rémunération est déjà prévue par la loi. « Bien sûr que des salariés seront contents d’être mieux payés, mais on n’a qu’à augmenter les salaires. On peut s’en sortir autrement qu’en forçant les gens à travailler », Cécile Clamme de la CGT, pas vraiment convaincue par ledit volontariat salarial. « Quand on est salarié d’une petite entreprise, si votre patron vous dit de venir, vous allez travailler. Personne ne va risquer de perdre son job ».

Aujourd’hui les boulangeries ou les fleuristes et demain les autres commerces ? Les porteurs de cette nouvelle loi n’excluent « pas d’ouvrir la voie à d’autres professionnels ». Restaurants, casinos, magasins de bricolage, pompes funèbres… La liste des établissements concernés pourrait s’aligner sur ceux déjà autorisés à ouvrir le dimanche. A terme, « c’est un conquis social qui disparaîtrait », craint la CGT-TEFP. Disqualifier le seul jour de repos imposé de l’année, s’inscrit dans la lignée de la dé-sanctuarisation du travail dominical et des jours fériés de ces dernières années. Mme Vautrin n’est pas à sa première « attaque en règle » du code du travail. Elle avait profité des législatives de juillet dernier pour signer un décret autorisant la suspension du repos hebdomadaire durant les vendanges. Mais revenir sur l’une des plus anciennes conquêtes ouvrières à quelques jours de sa célébration, dénote d’un sens original du timing. La fête des travailleurs n’est pas fait « pour travailler», rappelle de son côté Sud Commerce, mais « pour manifester et revendiquer »… Contre la fin du 1er mai ?

Crédit Photo : Serge D’Ignazio