Alors que le conclave sur les retraites n’en finit plus de tourner court, alors que certains envisagent de faire travailler les Français jusqu’à 70 ans, alors que des ministres envisagent de les taxer pour le financement des retraites, les retraités étaient dans la rue jeudi pour défendre leur pouvoir d’achat et leur protection sociale.
Au moins ils et elles n’ont pas eu besoin de poser une journée de congés ou de grève pour venir manifester ce jeudi 20 mars. Deux ans après le mouvement massif contre le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, les retraités étaient dans la rue à l’appel des « 9 » syndicats dont la CGT, Solidaires, FSU, CFTC, CFE-CGC… À Paris, 2 500 têtes grisonnantes ont défilé du métro École Militaire au ministère de la santé (7ème) pour réclamer une hausse des pensions et une meilleure protection sociale… Idem à Montpellier, Bordeaux et Toulouse… Une mobilisation unitaire que Denis Gravouil, négociateur de la CGT sur les retraites a qualifié d‘« historique ». La veille, son syndicat a claqué la porte du « conclave » qui réunissait organisations patronales et syndicales après que le premier ministre François Bayrou a écarté tout retour à 62 ans. La France n’a « absolument pas les moyens » d’abroger cette loi de 2023, avait pour sa part estimé le ministre de l’économie. Au contraire, « il va falloir travailler plus », estimait Eric Lombard afin de financer notre système de retraites. Voire jusqu’à 70 ans, laissent entendre le Medef ou Emmanuel Macron en cas d’« effort de guerre »…
Parmi toutes ces idées originales, d’aucuns imaginent également faire payer les pensionnés eux-mêmes, en désindexant leur pension de l’inflation ou en taxant les plus aisés. Car, nous apprenait la ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet: « En France, les retraités sont mieux lotis que dans d’autres pays ».
1000 euros de retraite de moins que le salaire
En remontant le cortège parisien, on s’attendait donc à rencontrer des baby-boomers gorgés de grasses pensions durant leurs vieux jours. Puis on est tombé sur Catherine et Marie. « C’est vrai qu’on a des loisirs », avoue tout de suite la première. Après une carrière d’infirmière payée en primes, donc non soumise à cotisation, Catherine atteint difficilement les 2 000 euros mensuels. « J’ai perdu 40 % de ce que je touchais net tous les mois, ça fait une sacrée différence ». De son côté, Marie fait partie de la dernière génération à avoir pu partir à 60 ans. Mais cette retraitée de l’enseignement depuis 2010, a subi une décote, comme le prévoyait la réforme Fillon passée cette année-là, pour celles et ceux partant plus tôt. « J’ai été pénalisée de 1 000 euros par rapport à mon salaire. On est donc loin d’être des nantis, ce sont ceux qui sont là-haut et qui décident qui le sont».
Pas vraiment l’avis d’Eric Lombard qui trouve « assez illogique que le niveau de vie des retraités soit en moyenne supérieur à celui des salariés ». Catherine et Marie ne sont pas en désaccord sur le constat mais les solutions qu’elles envisagent pour rééquilibrer cet écart risquent de déplaire au ministre : augmenter les salaires des actifs, payer à égalité les hommes et les femmes ou encore étendre les droits sociaux des jeunes précarisés…. « Rien que ça, suffirait à donner un bon bol d’air à la sécu », s’enthousiasme Catherine « plutôt que faire du chantage atroce aux soi-disant retraités privilégiés ». Les deux cégétistes ne sont pas prêtes à contribuer à la dépendance par une hausse de leur CSG, comme l’a proposé la ministre du travail. « Le gouvernement est en train d’étatiser la protection sociale pour en faire une variable en fonction des choix politiques », décrypte Marie qui se lance dans une leçon de l’histoire sociale. Mise en place en 1991, cette contribution sociale générale prélève directement le porte-monnaie des ménages. C’est une rupture avec l’esprit de la sécurité sociale qui fête ses 80 ans cette année. La « sécu » collecte, elle, les cotisations sur les revenus du travail, selon le principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins »
« Des nantis à 1500 euros par mois »
C’est ce modèle social, fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui a permis à des millions de Français d’accéder pour la première fois à une vie de repos après leurs années de labeur. Mais depuis les années 1990, les lois qui se sont enchaînées n’ont pas vraiment amélioré la vie post-carrière. Chacune a créé son lot de chômeurs ou de malades usés par leur vie professionnelle, les coinçant dans un « sas de précarité »… Les chiffres officiels relativisent les privilèges des retraités. Le revenu moyen d’un ou une retraitée est de 1500 euros. 60 % des retraités vivent en dessous du niveau du SMIC, 2 millions vivent sous le seuil de pauvreté. À peine 1 % d’entre eux touchent plus de 5 000 euros mensuels et 8 % plus de 3 000.
« Des nantis à 1 500 euros par mois, c’est pas possible », raille Alain. Sous sa chasuble rouge et jaune CGT, ce retraité de la métallurgie fait les comptes. À l’origine la pension de retraite du privé était calculée à partir du salaire de référence des 10 meilleures années de carrière. Progressivement, elle l’a été sur les 25 meilleurs. Ce changement lui a coûté 160 euros par mois, estime l’ancien métallo. «Toutes ces réformes ont grignoté notre pouvoir d’achat par tous les bouts. Chaque année, il y a quelque chose. En six ou sept ans, on a perdu l’équivalent de deux mois de pensions ». Alain a eu ce qu’on appelle une carrière longue, bien que hachée, de 43 ans… Apprenti tourneur à 16 ans, il monte peu à peu dans les bureaux d’études au sein d’Alstom. Après un licenciement, il finit cadre dans le médico-social avant de mettre un terme à sa vie professionnelle à 60 ans. Bosser jusqu’à 70 ans ? «Non merci », répond Alain dans un rictus. Et de prévenir : « En refusant de revenir à 62 ans, Bayrou joue avec le feu parce que la colère est toujours là »…
« La retraite, c’est bon pour la santé »
Traînant sa valise en bord de manif, André est « scandalisé » qu’on puisse trouver des milliards pour l’armement et non pour satisfaire les besoins des retraités. « De l’argent pour nos pensions, pas pour les canons », entend-on. Ce Nîmois tenait à battre le pavé avant de prendre son train. Bénévole depuis sa retraite en 2013, il vient de passer quelques jours sur Paris pour aider au secours populaire, où il voit de plus en plus de vieux dans le besoin. « Même autour de moi, les gens âgés ont du mal à se loger », tient à préciser ce locataire, en réponse à l’idée que les baby-boomers, tous propriétaires, n’auraient pas de loyer à payer. L’ancien prof de mathématiques dit avoir subi une « perte considérable » de pouvoir d’achat depuis qu’il a quitté son poste. Avec ses 2 000 euros mensuels, il se considère pourtant comme en haut de la moyenne de ses contemporains. Notamment parce qu’il s’est tenu devant des élèves jusqu’à ses 63 ans. Et ne se serait pas vu continuer. Le bruit, l’attention permanente, la pression des élèves…. « Pour faire ce métier faut être vraiment en forme »
Travailler au-delà de 55 ans augmente les risques d’accidents graves et allonger de deux ans la durée de travail provoquerait l’invalidité d’au moins 160 000 personnes supplémentaires. « La retraite, c’est bon pour la santé », nous lance un soignant, au volant de la camionnette de sa fédération syndicale. Passé 60 ans, nos aînés sortent plus souvent leur carte vitale et leur carte de mutuelle. Quand ils en ont une… Depuis que les mutuelles santé sont devenues des assurances comme les autres, leurs tarifs varient en fonction de l’âge. Les plus vieux paient donc le prix fort… Jusqu’à 170 euros tous les mois, témoigne Catherine. Sans une couverture toujours à la hauteur…
« On est en train de brader la Sécurité sociale ! »
« C’est compliqué ! éprouvent Marie Claude et Jeanine, badges FSU à la boutonnière. Quand vous avez des problèmes dentaires, si vous faites une greffe osseuse pour mettre un implant, ça peut atteindre des sommes astronomiques et vous n’êtes pas remboursés. Alors que c’est pas un luxe », s’indignent ces deux retraitées de l’Éducation nationale. « Il y a un grand malaise, bientôt les personnes âgées ne pourront plus se soigner ». Le renoncement aux soins est déjà prégnant chez les anciens. « Forcément, les pensions n’ont pas augmenté et on est ponctionné de tous les côtés ». Mutuelles, CSG, taxe, dépassements d’honoraires, « on est en train de brader la Sécurité sociale ! » Chaque année, la Sécu qui est la couverture la plus solidaire, rembourse de moins en moins.
Fréquentant davantage les établissements de santé, les séniors sont logiquement les premières victimes du désengagement de la Sécu et de la dégradation des services publics. Dans ce cortège de cheveux blancs, on s’étonne de croiser Mervin qui dans sa blouse blanche n’a pas vraiment l’air à la retraite. Cet aide médico-psychologique au CHU de Clermont-de-l’Oise a vu les conditions de travail se dégrader en 13 ans d’exercice. « On est fatigué du manque de personnel et de matériel pour travailler correctement ». Sans surprise l’accueil se détériore. « Le temps d’attente est de plus en plus long. On pouvait attendre 4 à 5 heures, aujourd’hui ça peut être jusqu’à 15 heures sur un brancard », poursuit ce membre de la CGT Santé et action sociale. Les personnes âgées subissent le plus cette crise des urgences, selon une étude récente.
Face à cette pénurie de médecins, des collectifs d’usagers et de retraités font le tour des hôpitaux pour interpeller les pouvoir publics. Dans les Yvelines, un rassemblement devant l’hôpital Houdan a eu lieu jeudi pour protester contre la fermeture de l’unité de soins palliatifs, il y a quelques mois. La semaine dernière, les sections retraités des syndicats de Seine-Saint-Denis se mobilisaient pour exiger que le «premier désert médical de France » rattrape la moyenne nationale en nombre de médecins généralistes et spécialistes. D’autres actions sont prévues. De quoi mener une retraite active…
Crédit photo : Serge D’ignazio
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