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Contre la transphobie, « il faut que la mobilisation s’amplifie »


Au lendemain d’une journée de mobilisation regroupant des milliers de manifestant.es partout en France pour les droits des personnes trans, un rassemblement s’est organisé à Paris, lundi 6 mai, contre la transphobie à l’université. Les personnes concernées font face à une séquence d’offensives transphobes particulièrement marquée dans les médias et le monde politique. Face à ce climat délétère, la lutte s’organise. Une date est déjà en construction pour le week-end du 25 et 26 mai, à la veille de l’examen au Sénat d’une loi contre les droits des mineurs trans.

 

Une quinzaine de fourgons de police encercle la place Jeanne d’Arc, dans le 13ème arrondissement de Paris. Entre 100 et 200 manifestant.es se tiennent là, à quelques pas du centre Charcot, annexe de l’université Paris-Panthéon Assas. Parmi la foule, deux amies, Anaëlle et Margot, issues de la même filière info-com, à l’université d’Assas. Il y a quelques jours, elles ont appris que la Cocarde, syndicat étudiant d’extrême droite, organisait une conférence avec Dora Moutot et Marguerite Stern, autrices du livre Transmania. Ce livre, « un ramassis de conneries » résume Anaëlle, fait l’objet entre autres d’une plainte de SOS Homophobie et Stop Homophobie pour injure et appel à la haine contre les personnes trans.

Il a pourtant fait l’objet d’une recension dans la presse et a été présenté sur des plateaux médiatiques, notamment celui de CNews : « Marguerite Stern, on lui a donné beaucoup trop de visibilité dans les médias, signe de la transphobie ambiante. Alors qu’on a trop peu entendu les paroles des personnes trans elles-mêmes », soupire Anaëlle. Alors elle est venue, comme la centaine d’autres personnes autour d’elle, pour protester contre ce climat transphobe. Et aussi « pour montrer qu’Assas n’est pas qu’une université de fachos », ajoute Margot dans un sourire.

 

 

« Pour rappel, la transphobie et l’homophobie sont des délits punis par la loi, l’existence des personnes trans n’est pas un point de vue et n’a pas à être débattue ! Nous ne pouvons accepter que ces deux militantes réactionnaires puissent propager leur idéologie à l’université d’Assas », écrit dans son communiqué sur le sujet Sud Éducation Paris, l’une des organisations ayant appelé au rassemblement du jour (avec Solidaires Etudiant-e-s Assas, Assas in Progress, Assas LGBT+ et l’Union des Féministes d’Assas).

La veille de ce rassemblement, dimanche 5 mai, un appel à la mobilisation pour les droits des personnes trans et contre les offensives transphobes a réuni plusieurs milliers de manifestant.es à Paris. Une cinquantaine de rassemblements ont connu un succès similaire partout ailleurs : dans de grandes villes comme Lyon, Marseille ou Montpellier où se sont réunies près de 500 personnes ; mais aussi dans de plus petites comme Chambéry ou Angers qui dénombraient une centaine de manifestant.es. La journée a même été reproduite en Belgique, avec des rassemblements à Bruxelles et à Liège.

 

L’extrême-droite à la manœuvre, relayée par la droite parlementaire

 

Au milieu de la place, une personne s’empare du micro et rappelle le manque de prise en compte des vécus des personnes trans dans le monde universitaire français. « Une personne trans sur six doit arrêter ses études à cause des discriminations. Ces discriminations produisent de la précarité sur le plan social, psychologique, économique. La transphobie détruit des vies ».

Soudain, un mouvement d’agitation dans la petite foule. Séparées des manifestant.es par un cordon policier, les autrices passent près de la place, pour se rendre à la conférence. Les huées pleuvent, les chants antifascistes et les slogans – « pas de transphobes à la fac ! » – aussi. Moutot et Stern « sont hyper dangereuses dans les discours qu’elles portent. On leur donne beaucoup trop de place dans les médias alors qu’elles vont à l’encontre des valeurs républicaines », insiste Beverly, brandissant une pancarte. « Tout cela reflète la situation critique de la France, la montée de l’extrême droite qui met en danger les droits de toutes les minorités ».

Un peu à l’écart de la foule, Camille* complète « Dora Moutot et Marguerite Stern sont assez proches de l’extrême droite et de jeunes cadres du RN. Pour le côté institutionnel, on a l’Observatoire de la petite sirène. Tous ces gens sont liés ». Surtout, cette sphère trouve des relais politiques dans la droite parlementaire. Nos consœurs chez Mediapart ou encore Les Jours ont enquêté sur le sujet et sur l’offensive contre les droits des mineurs trans menée par l’Observatoire de la petite sirène.

Preuve récente de cette influence : suite à un rapport sénatorial, une proposition de loi a été déposée le 11 avril par des sénateurs LR pour interdire « tout traitement médical et hormonal de transition de genre » aux mineurs. Cette proposition de loi débute, dans son exposé des motifs, par ces mots : « Mesdames, Messieurs, la mode sociétale du wokisme déferle sur la France, après avoir essaimé aux États‑Unis, en Angleterre et dans les pays nordiques depuis quinze ans. » Le ton est donné.

 

Des médias à l’hémicycle, « on refuse ce déballage de la parole transphobe »

 

« Il faut comprendre que cette proposition de loi fait du bruit sur rien », réagit Anaïs Perrin-Prevelle, co-présidente d’OUTrans. Après avoir collecté les données hospitalières disponibles, elle rappelle que les enfants trans qui ont eu une consultation avec des endocrinologues ne sont que « 1200, sur 10 ans. Parmi eux, seuls 10 à 15 % ont été mis sous bloqueurs de puberté. On parle donc de 100, 150 personnes sur 10 ans ; et on fait une proposition de loi ! Tout cela est idéologique : ça ne répond à aucun problème concret ».

Dans un avis rendu lundi, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a estimé qu’en interdisant « l’accès à des soins pouvant être utiles au bien-être de mineurs », cette proposition de loi « méconnaît leurs droits au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant ».

De fait, « il y a un vrai enjeu d’accès aux soins, central, pour les adultes trans. Alors pour les mineurs, je n’en parle même pas. Il y a 10 000 médecins généralistes en activité en Île-de-France. Parmi eux, seuls 30 acceptent d’engager des transitions pour les femmes trans », souligne Anaïs Perrin-Prevelle, après avoir centralisé les annuaires de toutes les associations franciliennes accompagnant des personnes concernées. « Trouver ces médecins est déjà d’une difficulté extrême. C’est quasiment impossible sans passer par les associations. Pour des mineurs, c’est encore plus un parcours du combattant. ». Au passage, il n’est question ici que de l’Île-de-France. Dans les autres régions, les médecins engagés et formés sur le sujet se font encore plus rares.

Face à ce relais politique des offensives transphobes, les organisations de défense des droits LGBTQIA+ comptent bien amplifier la lutte. « Des mobilisations, il y en aura d’autres, jusqu’à ce que l’on ait gain de cause. Notamment pour que cette proposition de loi ne soit ni débattue ni votée », insiste James Leperlier, président de l’Inter-LGBT, qui regroupe plusieurs associations et collectifs. Des médias à l’hémicycle, « on refuse ce déballage de la parole transphobe. On ne veut pas que nos droits et nos choix soient ainsi débattus sur la place publique ».

 

Au-delà de la lutte contre la transphobie : avancer vers « des droits supplémentaires »

 

L’examen en séance publique du projet de loi aura lieu le 28 mai. Pour s’y préparer, les associations de personnes trans planchent sur une date de mobilisation le week-end précédent, le 25-26 mai, annonce Anaïs Perrin-Prevelle. « Il faut que la mobilisation s’amplifie », défend pareillement la co-présidente d’OUTrans. « Nous avons beaucoup de combats sur lesquels il faut que l’on avance et que l’on gagne des droits supplémentaires ». Parmi les objectifs de lutte : simplifier le changement d’état civil (pour qu’il puisse se faire sur un mode déclaratoire comme cela se fait dans un grand nombre d’autres pays européens) ; améliorer l’accès aux traitements hormonaux, objets de pénuries récurrentes, ainsi qu’au suivi médical ; mettre fin aux discriminations persistantes à l’école…

« La parole autour de la transition de genre se libère. On avance doucement : l’Organisation mondiale pour la santé a enfin sorti en 2022 la transidentité de la liste des maladies mentales… Nous sommes dans une période de bascule. Mais comme toute période de bascule, cela amène une période d’offensive », explique-t-elle. Un phénomène de « backlash » (« retour de bâtons », en anglais) mené par les forces conservatrices après chaque grande séquence d’avancées des droits des minorités – comme cela a été analysé après la vague MeToo par exemple.

La veille de l’examen en séance publique, le 27 mai, les associations et collectifs de personnes trans ont obtenu une rencontre avec la ministre Aurore Bergé. D’abord pour évoquer le positionnement du gouvernement sur la proposition de loi. Mais aussi pour proposer des mesures à ajouter au plan national de lutte contre la haine et les discriminations anti-LGBT+, qui ne contient aucun chapitre sur les droits des personnes trans.

Les associations s’étaient d’ailleurs vues promettre la réunion d’un comité de suivi de ce plan en janvier : « mais ça a été reporté pour juin. On nous avait même proposé octobre », soupire James Leperlier. « On ne les sent pas très investis. Encore moins sur la transphobie : ils refusent de prendre cette question à bras-le-corps. C’est très compliqué d’avoir un dialogue avec eux. D’autant qu’Aurore Bergé a refusé de revenir sur son soutien publiquement apporté à Dora Moutot et Marguerite Stern », rappelle-t-il.

Le rassemblement contre ces deux autrices s’achève, justement, sur la place Jeanne d’Arc. Désormais, la police forme une nasse. L’ambiance est fébrile. Plusieurs personnes se sentent oppressées par l’important dispositif des forces de l’ordre. Lutter dans ce climat de tension, « c’est usant. Mais on n’a pas trop le choix », résume en conclusion Beverly, avant de s’échapper de la nasse.