Sophie Binet est devenue secrétaire générale de la CGT ce vendredi 31 mars. Si son accession à la tête de la centrale syndicale est particulièrement inattendue, c’est parce qu’elle résulte d’une tentative de trouver un compromis au sein d’une CGT divisée. Son élection, et celle de son nouveau bureau confédéral, rebat donc les équilibres internes.
« Ce congrès s’est tenu sur une terre volcanique… et nous avons empêché l’éruption. Il a été très difficile, violent parfois. » À la tribune du 53e congrès de la CGT, l’allocution de Sophie Binet, première femme secrétaire générale de la CGT, évoque une dernière fois les tensions de la semaine pour mieux les dépasser.
Elle le sait : son accession inattendue au poste de numéro un de la centrale syndicale, lors de ce congrès de Clermont-Ferrand, est avant tout le fruit d’une tentative de trouver un compromis au sein d’une CGT divisée. À la tête de l’union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT), cette ancienne CPE, dirigeante de l’Unef et passée par le PS, dispose à première vue d’un profil éloigné des standards de la confédération : pas assez ouvrier, jamais passé par le PCF.
Trois personnes avaient déclaré leur candidature au poste de secrétaire général de la CGT. Marie Buisson, proposée par Philippe Martinez et secrétaire générale de la fédération de l’enseignement, de la recherche et de la culture (FERC-CGT) Céline Verzeletti, secrétaire générale de l’union fédérale des syndicats de l’État (UFSE) et Olivier Mateu, secrétaire général de l’union départementale des Bouches-du-Rhône (UD 13). Aucun n’est parvenu à l’emporter. Ce que change l’élection de Sophie Binet, ce n’est pas tant la « combativité » de la confédération, comme on peut le lire parfois, mais une partie de ses équilibres internes.
La direction sortante désavouée
Élue au sein de la commission exécutive confédérale (voir notre encadré), Marie Buisson a, comme annoncé, proposé sa candidature au poste de secrétaire général. Mais elle n’a pas réussi à réunir suffisamment de voix. « On pensait avoir certains votes qu’on n’a finalement pas eu », confie un de ses proches. Ce résultat n’a pas totalement été une surprise tant, depuis le début du congrès, les critiques pleuvent contre le secrétaire général sortant, muet tout au long du congrès.
Dès le deuxième jour de débat, un vote contre le rapport d’activité a mis la direction confédérale sortante en difficulté. Une légère majorité de délégués (50,32%) a ainsi désavoué le bilan de Philippe Martinez, ce qui a ricoché sur sa dauphine. La candidature de Céline Verzeletti n’a pas non plus été victorieuse. Et celle d’Olivier Mateu n’a pas été présentée au comité confédéral national (CCN), ce dernier n’étant pas parvenu à obtenir suffisamment de voix pour intégrer la CEC. Ces candidatures avortées il a fallu trouver un équilibre entre au moins deux pôles de taille quasiment équivalente.
Quelles équipes, quels soutiens ?
D’un côté, on trouve un pôle en soutien à la candidature de Marie Buisson et proche de la direction sortante. Il regroupe certaines fédérations comme celle de la métallurgie (fédération d’origine de Philippe Martinez) ainsi que de nombreux secrétaires généraux d’unions départementales. De l’autre, un pôle en soutien à la candidature de Céline Verzeletti, notamment constitué des deux puissantes fédérations que sont la CGT-cheminots et la fédération des mines et énergie (FNME-CGT).
Un troisième pôle, moins large, a tenté de sortir son épingle du jeu. Il est constitué par le trinôme Olivier Mateu, Emmanuel Lépine et Amar Lagha, respectivement secrétaire général de l’UD 13, secrétaire général de la fédération de l’industrie de la chimie et secrétaire général de la fédération du commerce. Un pôle qui se désigne parfois lui-même sous le nom d’Unité CGT et dont Emmanuel Lépine confie qu’il pourrait s’organiser pour devenir un « courant » de la CGT. « Ce ne serait pas une scission car nous sommes la CGT », précise le secrétaire général de la FNIC. Ces derniers n’ont toutefois pas présenté de candidature au poste de secrétaire général de la CGT et se sont rapprochés de Céline Verzeletti.
Sophie Binet : une tentative de synthèse
L’élection de Sophie Binet a permis de sortir de cette situation de blocage. Pilote du collectif Femmes mixité, son profil peut rappeler celui de Marie Buisson et a convenu aux proches de la direction sortante. En contrepartie, la CCN a fait rentrer au bureau confédéral le secrétaire général de la fédération de l’énergie, Sébastien Ménesplier et celui des cheminots, Laurent Brun. Ce dernier, membre du PCF et connu pour sa proximité avec Fabien Roussel, assure même le poste d’administrateur, c’est-à-dire de numéro 2 de la confédération. Céline Verzeletti, également membre du PCF, siégeait déjà au bureau confédéral et y conserve sa place.
L’élection de ce bureau met cependant à mal un autre équilibre : celui entre les unions départementales et les fédérations. Ces dernières « fonctionnent en vertical et ont un poids politique fort », soutient Benoît Martin, secrétaire de l’UD 75. Alors que les unions départementales « plutôt horizontales » regroupent toute une diversité de métiers mais pèsent moins sur les orientations politiques nationales de la CGT. Or elles risquent de perdre de l’influence au sein du bureau confédéral fraîchement élu, puisque seuls 2 de ses membres sont issus des UD contre 4 auparavant. Laurent Brun le souligne lui-même : « Il va falloir trouver un moyen de rééquilibrer cela. »
Quelle politique mener ?
Comment ce nouvel équilibre interne va-t-il peser sur la stratégie de la CGT dans le futur ? Impossible à dire. Lors de son allocution à la tribune, Sophie Binet a d’abord voulu donner des gages de combativité face à la réforme des retraites. « Nous ne lâcherons rien, il n’y aura pas de trêve, il n’y aura pas de suspension, il n’y aura pas de médiation ». Une manière de se démarquer de Philippe Martinez, qui avait déclaré soutenir la proposition de médiation formulée par Laurent Berger le 28 mars. Mais aussi de rompre avec son image de cadre, soupçonné d’être plus à l’aise avec le compromis qu’avec la lutte.
Elle a également esquissé plusieurs priorités, comme le lancement d’une grande campagne de syndicalisation, la lutte pour la réindustrialisation du pays, contre les violences sexuelles au travail et dans la CGT ou encore le combat écologique, affirmant que « les questions environnementales ne sont pas sociétales et extérieures, mais doivent être portées au quotidien sur nos lieux de travail ». Reste à voir comment Sophie Binet mettra en œuvre ces orientations. Et quel sera le rôle de son entourage dans ce processus.
Les élections à la CGT, comment ça marche ?
Pour comprendre cette élection surprise, il faut expliquer comment fonctionnent les élections dans les différentes instances de la confédération.
Le comité confédéral national (CCN) : constitué de tous les secrétaires généraux des unions départementales et des fédérations (128 membres). Il est considéré comme un parlement de la CGT. Il vote pour élire le bureau confédéral à partir de la liste présentée par la CEC.
La commission exécutive confédérale (CEC) : constituée de 66 membres pour ce 53e congrès. Elle est élue par les quelque 1000 délégués qui ont siégé au congrès pour représenter leurs syndicats. Elle siège deux fois par mois pour gérer les affaires courantes.
Le bureau confédéral : composé de 10 membres à l’issue de ce 53e congrès. Il comprend le secrétaire général et l’administrateur. Il est élu parmi les 66 membres de la CEC.
Rappel sur l’organisation de la CGT :
Unions départementales (UD) : les unions départementales regroupent les syndicats professionnels d’un même département.
Fédérations : les fédérations nationales regroupent les syndicats d’un ou plusieurs secteurs d’activité professionnelle.
Direction confédérale : celle-ci est constituée d’une soixantaine de membres de la commission exécutive confédérale et du bureau confédéral, choisi parmi eux. Le ou la secrétaire général(e) est choisi parmi les membres du bureau confédéral. L’ensemble de ces postes sont élus par les responsables de fédérations et d’unions départementales.
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