Ce dimanche 24 mars, en Seine-Saint-Denis, c’est « manif en famille » pour exiger un plan d’urgence pour l’éducation dans le 93. Depuis le début de la mobilisation enseignante dans le 93, de nombreux parents s’impliquent et soutiennent le mouvement. Entretien avec Linda, mère d’un élève de 5e au collège Albert Camus à Rosny-sous-Bois (93).
Quand et comment la mobilisation a-t-elle commencé pour vous ?
J’avais d’abord vaguement entendu parler d’une grève avant les vacances de février. Les enfants avaient un mot dans leur cahier annonçant une possible mobilisation. Après cela, les enseignants du collège de mon fils ont proposé une réunion d’information avec les parents le 8 mars. Une quinzaine d’enseignants de plusieurs établissements sont venus, au niveau des parents du collège Albert Camus, nous étions entre 20 et 30.
Lors de cette réunion, ce qui m’a touché, c’est l’appel pour un plan d’urgence pour le département, en raison du manque de professeurs et de personnel dans tout le département. D’après les enseignants, le coût du plan d’urgence s’élève à 358 millions d’euros. Il comprend des recrutements pour tous ceux qui travaillent dans l’éducation, y compris les CPE, les surveillants, les AESH, le personnel médical…. Au collège Albert Camus, nous savons que nous ne sommes pas les plus mal lotis de la ville et du département, mais nous avons tout de même des problèmes avec des professeurs absents non remplacés.
C’est comme ça que j’ai rejoint le mouvement. Ce n’était pas une nouveauté pour moi, l’année dernière je m’étais déjà mobilisée avec ces mêmes enseignants pour lutter contre la fermeture d’une classe dans l’établissement. Je les avais trouvés très engagés, c’étaient de jeunes professeurs motivés et impliqués. Et ça avait marché : grâce à notre mobilisation, ils n’ont fermé qu’une classe sur les deux prévues.
Votre enfant a-t-il été personnellement touché par le manque de personnel ou la vétusté des bâtiments ?
Dans son collège, un professeur de français n’a pas été remplacé depuis septembre de l’année dernière, ce qui fait presque une année scolaire. La professeure de sport de mon fils est partie en congé maternité et son remplacement a mis plus d’un mois à arriver. Mon fils a commencé le collège l’année dernière. Il n’y a pas d’infirmière scolaire ni de psychologue scolaire depuis. La CPE est seule pour gérer plus de 500 élèves et il n’y a pas assez de surveillants. C’est inacceptable. Ce sont des situations que nous, parents, connaissons bien.
En ce qui concerne la vétusté des infrastructures, nous n’étions pas forcément au courant car nous ne rentrons pas dans l’établissement.
Plan d’urgence 93 : « Ils ont des moulures au plafond. Nous, on n’a pas de plafond ! »
Mais je crois que les images découvertes sur les vidéos TikTok du lycée Blaise Cendrars ont profondément choqué. On en vient à penser que pour atteindre un tel niveau de dégradation, les travaux d’entretien doivent être négligés depuis dix, voire vingt ans. Et pourtant, les enseignants continuent à dispenser leurs cours dans ces salles, les élèves de les fréquenter… L’administration et les autorités départementales sont au courant, mais la situation perdure dans tout le 93. Le président du département Stéphane Troussel, a expliqué que l’Etat compensait un peu les frais d’entretien des collèges, qui sont à la charge des départements. D’après lui, cette compensation est en moyenne de 15% en France. Or dans le 93, elle est d’un peu plus de 7% seulement. On se demande pourquoi cette différence existe et où se trouve l’égalité républicaine…
Comment votre enfant exprimait-il son ressenti à ce sujet ?
Mon fils me parlait des toilettes qui étaient mal entretenues et des bagarres, dues en partie au manque de surveillance, mais il ne mentionnait pas spécifiquement l’état des locaux. Ce qu’il remarque, c’est quand ils sont à l’étroit dans les salles de classe, qu’il faut aller chercher une chaise ailleurs, mais pas tant les dégradations en elles-mêmes. Je pense que les enfants sont un peu résignés par rapport à ça. Les problèmes avec l’état des locaux commencent déjà en primaire, ils s’y habituent progressivement.
Quant aux enseignants non remplacés, vous savez ce que c’est, les enfants sont contents de rentrer plus tôt chez eux. Mais en tant que parents, nous voyons bien le nombre d’heures de cours non assurées et ça nous inquiète.
Quelle a été la suite de votre mobilisation après la réunion du 8 mars ?
Après la réunion du 8 mars il y a eu une journée de grève des enseignants le 14 mars et une journée de manifestation le samedi 16 au matin. Cela a permis aux parents de se mobiliser, car beaucoup travaillent et ne peuvent pas forcément se libérer en semaine pour manifester.
Le jeudi 14 mars, une dizaine de parents ont accompagné les enseignants de notre collège à Bobigny où plusieurs manifestations avaient lieu. Le samedi suivant, nous nous sommes rassemblés devant la mairie avec de nombreux parents, y compris ceux d’écoles primaires. On nous a informés qu’une délégation du mouvement devait rencontrer Nicole Belloubet le vendredi, mais ils ont finalement été reçus par des conseillers, sans proposition concrète.
Surtout, il y a eu l’opération « collège désert ». Les enseignants ont demandé aux parents qui les soutenaient de ne pas envoyer leurs enfants au collège certains jours. Cela soulage les professeurs qui ne sont pas forcés de faire grève et ne perdent pas d’argent. Cela permet aux parents qui ne peuvent pas manifester de montrer leur soutien. Au collège de mon fils, seulement 10 élèves sur plus de 500 étaient présents lors de l’opération collège désert, cela indique clairement que les parents soutiennent la mobilisation.
A-t-on un sentiment de relégation du fait d’habiter en Seine-Saint-Denis ?
Cette année, mon fils étudie en éducation civique « les valeurs de la République », et la première valeur abordée était la solidarité. La leçon inclut la création de la Sécurité sociale, l’école obligatoire pour tous, et on se dit que ces valeurs sont superbes. Mais en réalité elles ne sont pas appliquées pour les élèves du 93.
Quand les enfants apprennent cela en classe et constatent que ce n’est pas la réalité, avec quel image de la vie partent-ils ? Les services publics devraient être similaires pour tous, peu importe où l’on se trouve en France. Les citoyens de demain ne peuvent pas commencer leur vie avec un sentiment d’injustice et de discrimination, ni avec un retard dans leurs études. Or on sait qu’ un élève du 93 perd en moyenne un an et demi de scolarité par rapport à un élève français moyen.
Cette mobilisation vous a-t-elle permis de tisser des liens avec des parents que vous n’aviez pas encore rencontrés. Cela vous a-t-il donné d’autres idées pour la suite de la mobilisation ?
Oui, cela m’a permis de rencontrer des parents que je ne connaissais pas. On se connaît bien entre parents d’élèves en maternelle et à l’école primaire car nous amenons et récupérons nos enfants à l’école. Ce n’est pas le cas au collège. La mobilisation crée des liens car nous sommes tous indignés de la même manière. Quant aux idées, nous en avons beaucoup mais nous écoutons aussi les enseignants car tout cela est un peu nouveau pour nous.
Pour l’instant, nous suivons les propositions qui nous sont faites, mais nous commençons à en discuter entre nous car nous comprenons que la mobilisation doit se poursuivre. C’est pourquoi. Nous nous retrouverons tous sur le parvis de la préfecture à Bobigny ce dimanche 24 mars à 14h ce dimanche. L’objectif est de venir en famille, avec nos enfants, pour démontrer notre engagement et notre mobilisation collective, dans un esprit festif.
Photo : Simon Mauvieux.
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