À la faveur du mouvement social contre la réforme des retraites, les syndicats lycéens retrouvent du poil de la bête. Mais c’est quoi au juste un syndicat lycéen ? Quelles sont leurs activités et quel poids ont-ils vraiment ?
« Les travailleurs, les chômeurs, les étudiants, les lycéens, tout le monde est d’accord pour dire que cette réforme est injuste et injustifiée. » Debout devant les poubelles qui bloquent le lycée Voltaire, dans le 11e arrondissement de Paris, Manès Nadel répond du tac au tac aux questions de BFMTV. En ce 31 janvier 2023, journée de manifestation record contre la réforme des retraites, son syndicat, la Voix lycéenne (VL), a décidé d’appeler au blocage des établissements scolaires. Ce jour-là, le jeune homme de 15 ans, scolarisé en seconde générale au lycée Buffon, (15e arrondissement) fait clairement le buzz : sa prise de parole est reprise en masse sur les réseaux sociaux et d’autres médias lui tendent désormais le micro. « L’interview de BFMTV a permis de faire connaître la VL, nous avons reçu des demandes d’adhésion par la suite », se réjouit-il.
Son succès n’est pas simplement dû au contraste, particulièrement télégénique, entre son visage quasi poupon et son élocution parfaitement maîtrisée. Si la vidéo fait le tour de France, c’est aussi parce qu’elle marque le retour à l’écran du syndicaliste lycéen. Depuis Louis Boyard (ex syndicaliste à l’UNL, ancêtre de la VL) cette figure se faisait particulièrement rare dans les médias. En 2023, à la faveur d’un nouveau mouvement social contre la réforme des retraites, la séquence de 2 minutes pendant laquelle Manès Nadel s’exprime, rappelle que les lycéens ont des idées et peuvent s’organiser en syndicats pour les faire entendre.
Pourtant, s’ils possèdent le privilège d’incarner une parole lycéenne revendicative dans les médias, il reste difficile de mesurer le poids de ces syndicats, savoir comment ils fonctionnent et tentent de mobiliser la jeunesse.
Associations ou syndicats lycéens ?
Qu’est-ce qu’un syndicat lycéen ? Précision d’importance : sur le plan juridique, il n’existe pas de syndicats lycéens, ni même étudiants. Le terme de « syndicat » n’est réservé qu’aux structures professionnelles. En revanche, différentes organisations lycéennes, constituées en associations, revendiquent le nom de syndicat. Elles adoptent les codes de ces derniers, prônent la défense des intérêts des lycéens et tentent de se structurer sur le modèle des syndicats professionnels en constituant des fédérations départementales et des directions nationales. Elles expriment aussi leur position lorsque des réformes majeures sont annoncées. Les dernières en date : Parcoursup, le Service national universel (SNU), le nouveau baccalauréat et bien sûr les réformes des retraites de 2019 et 2023.
Autres particularités du syndicalisme lycéen : il est cantonné à un rôle purement consultatif et la courte durée de la scolarité lycéenne (3 ans) implique un renouvellement constant des effectifs. Ces syndicats conservent donc des liens avec d’anciens membres, bien souvent devenus étudiants, comme le précise un rapport du ministère de de l’Éducation nationale sur le fonctionnement de ces associations, rendu en 2021.
Enfin, la plupart des syndicats lycéens proposent des adhésions gratuites et tirent la majeure partie de leurs financements de dotation du ministère de l’Éducation nationale. Le même rapport indique toutefois des défaillances dans la gestion financière de la plupart de ces syndicats.
La Voix lycéenne, « premier syndicat » ?
À l’heure actuelle, trois associations lycéennes revendiquent le nom de syndicat et une influence nationale : la Voix Lycéenne (VL), la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) et le Mouvement national lycéen (MNL). Tous trois sont opposés à la réforme des retraites. Historiquement, ces trois syndicats lycéens sont classés à gauche, notamment du fait de leur proximité avec le Parti socialiste. Suite à la perte d’influence de ce dernier, ces liens se sont fortement distendus.
La VL, se revendique premier syndicat lycéen. « Nous avons 45 fédérations et nous devons être 20 à 25 personnes par fédération. Sur Discord on doit être 2500. Donc oui je pense que je suis habilité à dire qu’on est le premier syndicat lycéen », détaille Manès Nadel, secrétaire fédéral du 75. L’affirmation demeure toutefois difficile à vérifier, comme l’indique le rapport de l’IGESR. La VL est issue d’une refondation de l’UNL (Union nationale lycéenne) en 2021, après un placement en redressement judiciaire, l’association étant car criblée de dettes.
Fondé en 1994, l’UNL fait ses armes lors de la bataille – victorieuse – contre le CIP (Contrat d’insertion professionnelle). À sa naissance, il est proche du parti socialiste et du syndicat lycéen l’UNEF. Un de ses premiers secrétaires généraux, Michaël Delafosse, est d’ailleurs aujourd’hui maire (PS) de Montpellier. « L’UNL de 2020 n’avait plus grand chose à voir avec celle de 1994. On est satisfaits de ne plus être proches du PS », explique un ancien secrétaire général de l’UNL, souhaitant rester anonyme.
Depuis le mandat de Louis Boyard, ex secrétaire général de l’UNL, devenu député Insoumis, la question du lien entre le syndicat lycéen et le mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon se pose. « Il n’y a pas de mainmise de la FI sur la Voix lycéenne », soutient Manès Nadel. Quant à savoir si les jeunes membres de la FI sont surreprésentés parmi les effectifs du syndicat : « Il y a évidemment des militants de la VL qui sont dans des partis politiques. Oui, à la FI mais aussi au PS, chez EELV ou encore dans la frange radicale du NPA », assure Manès Nadel.
La FIDL, syndicat le plus ancien
Si la VL est le syndicat lycéen le plus visible, la FIDL est en revanche le plus ancien. Il est créé en 1987 par des lycéens proches de SOS Racisme et du Parti Socialiste. Une relation qui a d’ailleurs causé de nombreux torts au syndicat lycéen. Le dernier en date : en 2018, les militants de la FIDL accusent SOS Racisme d’ingérence et leur reprochent d’avoir eux même décidé qui serait placé à la tête de la FIDL.
Arrivés après ces événements, les militants de la FIDL que nous avons interrogés parlent d’un renouveau de leur syndicat dans ces dernières années. « On refait surface depuis deux ans » , explique Gwenn Thomas-Alves, secrétaire fédéral de la FIDL dans le Val-de-Marne (94) et élève de terminal au lycée Jean-Macé de VItry. Le syndicat revendique aujourd’hui 500 membres actifs. « On a un Conseil National de la FIDL dans trois mois », précise Angelo, élève de seconde en lycée professionnel à Tours et membre de la FIDL.
Précision importante, qui distingue les militants de la FIDL de leurs homologues de la VL et du MNL : ces derniers fournissent des prestations de sensibilisation auprès des collectivités territoriales, notamment contre le racisme ou les LGBTphobies. « Comme on ne touche plus de subvention de du ministère, il nous arrive d’aller chercher des financements auprès des mairies », explique Gwen Thomas-Alves. Parfois, ces prestations sont faites aux côtés d’autres associations, comme SOS racisme.
Le MNL : les syndicats lycéens doivent être des « outils »
De son côté, le MNL est issu d’une scission de l’UNL, survenue en 2016 suite à « des problèmes de démocratie interne », explique Charlotte Moisan, secrétaire générale du MNL. Il se distingue par l’affirmation de son caractère révolutionnaire. « Le MNL est un outil, pas une fin en soi », soutient Charlotte Moisan, également élève en classe de première au lycée parisien Janson-de-Sailly (16e arrondissement). « On pense qu’un réel changement de société ne peut passer que par la lutte dans la rue. Notre syndicat n’est proche d’aucun parti politique et se revendique de la charte d’Amiens. Il nous arrive aussi de travailler avec l’union nationale Solidaires », détaille la lycéenne. Le syndicat revendique 70 à 80 fédérations. « On est bien représentés à Angers, dans l’Isère, dans le Tarn-et-Garonne… », égrène Charlotte Moisan.
Réprimer les blocages de lycées
À quoi sert un syndicat lycéen ? Malgré des histoires différentes, les 3 syndicats lycéens précédemment cités sont d’accord sur une chose : « Le blocage d’un lycée, c’est le seul moyen qu’on a de se faire entendre », résume Angelo de la FIDL.
Pourtant les blocages ont la vie dure depuis le début du premier mandat Macron et les réformes de Jean-Michel Blanquer. On se rappelle les lycéens de Mantes-la-Jolie, mis à genoux par la police en 2018. Outre cette séquence largement médiatisée, le recours à la police pour débloquer un lycée n’est plus chose rare, la mise en garde à vue de lycéens et les blessures infligées par des tirs de LBD, non plus.
« Depuis le mouvement lycéen de décembre 2018, on a constaté une explosion des violences policières. C’est une caractéristique du gouvernement Macron », déclarait Élie Saget, ex vice-président de l’UNL auprès de Rapports de Force, en 2021.
Malgré un mouvement puissant contre la réforme des retraites en 2023, les blocages de lycées sont encore loin d’être massifs. Le 31 janvier 2023, la Voix lycéenne annonce 200 lycées bloqués le matin (dont 30 Paris) et 300 lycéens mobilisés, de son côté l’Éducation nationale annonce 11 lycées bloqués. Même en prenant en compte le chiffre syndical, le nombre de lycées en lutte demeure relativement faible comparativement aux 3750 lycées que compte le territoire français.
Qui bloque ?
En outre, les blocages de lycées sont loin d’être tous causés par l’action de syndicalistes lycéens. « A Paris, les blocages se passent la plupart du temps sans les syndicats. Les lycées ont des traditions de lutte autonomes », explique Charlotte Moisan du MNL. Certains de ces lycéens s’organisent au sein de la CLAP (coordination Lycéenne autonome de paname) et viennent en renfort sur des actions de blocage. De nombreux blocages surviennent également de manière spontanée, sans qu’une quelconque organisation ne soit à la manœuvre.
« Évidemment il faut bloquer pour se faire entendre et nous soutenons toutes les initiatives de blocages. Mais il faut aussi s’interroger sur la pertinence de bloquer un établissement sans y organiser d’assemblée générale ni faire de travail préparatoire en tractant, en expliquant pourquoi on veut bloquer. Sans AG, c’est difficile d’avoir des blocus qui tiennent plusieurs jours. Et on peut aussi avoir des blocus qui se passent mal », nuance de son côté Manès Nadel, de la VL.
Des syndicats lycéens pour agir dans son lycée
Le syndicalisme lycéen ne se limite pas à la question du blocage. « J’ai rejoint la FIDL parce que je souhaitais avant tout m’engager dans mon lycée. J’ai d’abord été élu au conseil de la vie lycéenne (CVL). Je souhaitais mener des projets pour améliorer le quotidien des lycéens : organiser le bal de fin d’année, prévoir des journées thématiques comme celle du droit des femmes. Mon but, c’est que le lycée ne soit pas seulement un endroit où on passe avant de rentrer chez soi. Ensuite je me suis présenté au CAVL (conseil académique de la vie lycéen). C’est par ce biais que j’ai rencontré la FIDL », explique Angelo de Tours.
Gwen Thomas-Alves, de la FIDL 94, est lui aussi venu au syndicalisme pour agir dans son établissement. « J’étais membre du CVL et on voulait absolument faire rénover les toilettes de mon lycée, qui étaient dans un état lamentable. On a fait des lettres à la région Île-de-France, sans succès. C’est là que je me suis dit que j’aurais peut-être plus de poids en rejoignant un syndicat ». Du côté du MNL : « En plus de mener des batailles nationales, nous aidons les lycéens dans leurs établissements. Ils et elles peuvent se rapprocher de nos fédérations locales. Nous sommes particulièrement actifs sur la question la question des élèves visés par des OQTF (Obligations de quitter le territoire français) », expose Charlotte Moisan.
Jouer le jeu institutionnel
« On a l’habitude de dire qu’on est un syndicat qui marche sur deux jambes, un pied dans les instances, un pied dans la rue », explique un ancien secrétaire général de l’UNL.
Conseil de la vie lycéenne (CVL) à l’échelle des lycées, CVAL pour les académies, CNVL et Conseil supérieur de l’éducation (CSE) au niveau national, les syndicats lycéens doivent se faire représenter au sein de ces instances s’ils veulent obtenir un cadre formel de dialogue avec la hiérarchie de l’Éducation nationale. Leur niveau de représentativité au sein de ces dernières leur permet également d’espérer obtenir davantage de financements du ministère. Pour mieux y parvenir aux prochaines élections du CSE 2023 , la VL, la FIDL et le MNL ont d’ailleurs déposé, pour la première fois, une liste commune.
« Mais le problème qu’on soulève de longue date c’est : « pourquoi n’y a-t-il aucune instance lycéenne décisionnaire ? » À ce qu’on sache ce sont bien les lycéens qui sont les plus nombreux dans les lycées », souligne le même ancien secrétaire général de l’UNL.
Qui a peur du syndicalisme lycéen ?
Malgré ce rôle strictement consultatif, et un niveau de développement relativement bas, le syndicalisme lycéen est surveillé comme le lait sur le feu par le ministère de l’Éducation nationale. La preuve la plus éclatante de cela reste l’affaire dite « Avenir Lycéen », du nom d’un syndicat lycéen monté de toute pièce par le numéro 2 du ministère de l’Éducation nationale.
Fin 2020, Libération révélait que l’entourage de Jean-Michel Blanquer avait largement contribué à la création de cette association « pour servir la communication du ministre, et surtout rompre tout dialogue avec les syndicats lycéens » opposés à ses réformes, notamment celle du bac. L’argent confié aux membres d’Avenir Lycéen avait par la suite été dilapidé en frais de bouche ou avait tout simplement disparu des radars, poussant le parquet à ouvrir un enquête pour détournement de biens publics.
Refondée sous la forme du collectif « Les lycéens ! », l’association lycéenne aux idées proche du gouvernement n’est toutefois pas tout à fait un échec. Elle a réussi à occuper 2 des 4 postes au CSE lors des élections d’avril 2021, réalisant son objectif d’évincer des syndicats historiques de cette instance. Dans la foulée, le collectif est devenu une association : « Nous lycéens ».
On peut en revanche douter que ce syndicat maison parvienne à atteindre son autre objectif : mettre fin à la contestation des réformes aux blocages des établissements scolaires. « On n’a jamais vu un membre de ses soi-disant syndicats tracter contre le blocage d’un lycée, ça n’existe pas ! Ce sont nos idées qui sont majoritaires », assure Manès Nadel. Son syndicat appelle d’ailleurs à une grande journée de mobilisation de la jeunesse le 9 mars, en plein dans une séquence de grèves interprofessionnelles qui démarrent le 7 mars et pourraient être reconductibles.
Crédit photo : Ricardo Parreira
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.