Le 29 avril, une nouvelle journée de « grève générale » est prévue en Belgique. Après une manifestation record le 13 février à Bruxelles et une première journée largement suivie le 31 mars, le mouvement syndical tente de stopper les mesures d’austérité et de régression sociales voulues par le gouvernement Arizona. Retour sur le mouvement en cours.
Ce 31 mars 2025, c’était « grève générale » en Belgique ! Dans ce pays, ce terme signifie surtout une grève interprofessionnelle. Monde de la culture, enseignants, soignants et même les policiers ont cessé le travail. La circulation aérienne était largement bloquée et le service public ferroviaire a été contraint d’appliquer le service minimum. Une carte syndicale en ligne indiquait quel piquet rejoindre « près de chez vous » et des « piquets volants » ont obligé de nombreux commerces à fermer. Un mouvement très suivi : cela fait dix bonnes années qu’on n’en a pas vu de tel dans le pays. Mais comment en est-on arrivé là ?
Depuis la fin d’année 2024, un vaste mouvement social est en cours dans le pays. Le 13 décembre, 3 500 manifestants initient une première journée d’action à Bruxelles. Les trois principaux syndicats (FGTB social-démocrate, CSC démocrate chrétien et CGSLB libéral) s’opposent au programme de ce que l’on appelle déjà « l’Arizona », une coalition de partis allant du centre gauche – dont le Parti socialiste flamand – à la droite dure. Le nom est choisi car les couleurs des partis qui constituent la coalition (orange, bleu, rouge et jaune) rappellent le drapeau de l’État de l’ouest américain. L’alliance semble alors en capacité de dégager une majorité à l’échelle fédérale et de gouverner. Et ses velléités austéritaires inquiètent le monde du travail.
Les syndicats donnent rendez-vous un mois plus tard. Le 13 janvier 2025, 30 000 manifestants se rassemblent dans la capitale européenne. Le renforcement de la mobilisation doit alors beaucoup à la forte grève des enseignants flamands, explique la RTBF.
Vers la grève générale du 31 mars
Malgré tout, l’Arizona arrive au pouvoir le 2 février. Bart de Wever, un nationaliste flamand ancré très à droite devient Premier Ministre. L’accord de gouvernement confirme les craintes des syndicats. Sur 200 pages, l’Arizona égraine les mesures de régressions sociales. Et dans son préambule Bart de Wever répète une petite musique que l’on connaît aussi très bien en France :
« Notre situation budgétaire est préoccupante. La charge fiscale pesant sur les travailleurs est trop élevée. La compétitivité de nos entreprises est mise à mal. Nous ne parvenons pas à mettre suffisamment de personnes au travail alors que notre taux d’emplois vacants est le plus élevé d’Europe ».
Solution ? « Flexibilité débridée, violation des accords sociaux », dénonce la FGTB. Pour faire des économies, l’Arizona prévoit de rogner sur les retraites, les allocations chômage et l’allocation d’insertion ou encore de s’en prendre au statut des cheminots ou des intermittents. Le gouvernement annonce également vouloir réduire l’immigration. Selena Carbonero Fernandez, secrétaire fédérale de la FGTB, insiste : « Une des principales mesures du gouvernement Arizona, c’est que les travailleurs gagnent au moins 500€ de plus que les chômeurs. Mais ils veulent créer ce différentiel en réduisant les droits des chômeurs ! Nous y sommes fermement opposés. C’est pareil pour les retraites : on va travailler plus pour gagner moins. »
Les syndicats organisent alors une mobilisation nationale à Bruxelles le 13 février. Le succès est au rendez-vous : plus de 100 000 participants. La journée est qualifiée « d’historique ». Dans la foulée, la grève générale du 31 mars vient confirmer la force du mouvement, même si le syndicat libéral CGSLB n’appelle pas à la rejoindre. « Ils ne nous suivent jamais sur le mot d’ordre de grève général », explique Orville Pletschette, délégué syndical FGTB au sein de la coopérative Smart et cofondateur de l’Union syndicale étudiante en 2013.
Quelles perspectives pour la lutte ?
Regonflés par des journées réussies, la FGTB et la CSC appellent à une nouvelle journée de grève générale et de manifestations le 29 avril. Trop tardif pour faire plier l’Arizona ?
« En réalité, il y a des grèves et des actions sectorielles toutes les semaines. Les fonctionnaires, et notamment les enseignants wallons, luttent contre la fin de la statutarisation, décrypte Séléna Carbonero-Fernandez. Les cheminots ont acté deux jours de grève par mois. Les secteurs du soin, du non marchand, de la culture, se mobilisent le 22 mai. Comme le gouvernement s’attaque à la fois aux droits communs des travailleurs, comme les retraites ou les allocations chômage, mais aussi à des secteurs en particulier, il nous faut essayer de penser un calendrier qui permette au spécifique et au global de s’articuler ».
Pour le 29 avril, la stratégie syndicale diffère légèrement. « Cette fois, on ne multipliera pas les piquets devant les entreprises mais on s’appuiera sur des rassemblements dans plusieurs villes du pays pour aller à la rencontre des citoyens. C’est difficile d’appeler plus souvent à des grèves générales car on doit aussi faire avec la réalité de chaque secteur. C’est facile de décréter une grève, l’organiser c’est autre chose », explique la syndicaliste.
Avec 1,5 millions d’adhérents à la FGTB, autant à la CSC, et environ 300 000 pour les libéraux de la CGSLB, la Belgique affiche pourtant un taux de syndicalisation de près de 50%. Si ce taux est cinq fois supérieur au taux français, ce n’est par pour autant que les grèves reconductibles fleurissent.
« C’est un syndicalisme très différent du syndicalisme français. Ici, les syndicats gèrent des caisses de paiement, notamment pour les allocations chômage. Il y a donc une relation de service plus développée avec les adhérents et moins politique que dans les syndicats français. Pour lutter contre l’Arizona, on n’est pas sur une stratégie dure avec grève illimitée et des mots d’ordre clairs appelant à la chute du gouvernement. Nos organisations syndicales veulent plutôt mobiliser en masse pour obtenir des marges de négociation », explique Orville Pletschette, qui se dit critique de cette stratégie syndicale.
Reste que le syndicalisme belge n’est pas qu’un long fleuve tranquille. En témoigne la condamnation du secrétaire général de la FGTB, Thierry Bodson, et d’autres syndicalistes pour le blocage d’une autoroute en 2015. Récemment, la CSC s’est également inquiété des violences envers les grévistes.
Crédit photo : FGTB.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.